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Catholiques, musulmans ou athées : ce que nous apprend une enquête d'une ampleur inédite sur la vision du monde des collégiens
©Reuters

Qui croire ?

Selon une enquête menée sur plus de 10 000 collégiens dans les Bouche du Rhône, 83% des musulmans affirment l’importance de leur religion contre 22% des catholiques. Et ce n’est pas le seul enseignement : plus la religiosité est élevée, plus l’intolérance est forte.

Sebastian Roché

Sebastian Roché

Sebastian Roché est docteur des Universités en Science Politique. Il est directeur de recherche au CNRS (Pacte-Sciences Po Grenoble), enseigne à l'École Nationale Supérieure de la Police à Lyon, à l'université de Grenoble et de Genève. Ses travaux portent sur la sociologie du sentiment d’insécurité et des incivilités, l’analyse des politiques publiques de sécurité et la gouvernance de la police. Il a été chercheur invité à l’université d’Oxford (GB) et Princeton (NJ) et invité à donner des conférences aux USA, en Amérique Latine et en Asie.

Il est notamment l'auteur de La société incivile. Qu’est-ce que l’insécurité (Le Seuil) et de Police et démocratie (Grasset).

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Atlantico : Vous avez mené une étude sur la pratique religieuse et la vision du monde chez les adolescents français dans le cadre du projet UPYC (conduit dans le cadre d’un programme de recherche international en sciences sociales). Comment s'est-elle déroulée ? 

Sebastian Roché : Le projet UPYC porte sur la relation des adolescents à la loi (pénale en particulier), et il constitue la 3eme vague d’une étude internationale dite de “délinquance auto-déclarée”, c’est-à-dire d’un protocole qui permet aux adolescents de décrire leurs comportements illégaux, et par exemple les vols, les agressions, les dégradations. Cette étude s’intéresse aux différents aspects de la vie en société des adolescents, leur relation à l’école, à la police, leur famille, le quartier où ils vivent, quels sont leurs copains. Tous ces facteurs orientent leurs actions. Par ailleurs, on les interroge aussi sur leur vision du monde (religieuse ou séculière), et pour ceux qui ont une religion on leur demande laquelle, et à quel point elle est importante pour eux. Et, dans le volet français nous avons exploré, plus en détail que les autres pays, leurs valeurs, leur perception des relations entre l’Etat et la religion, la force qu’ils attribuent aux règles religieuses et civiles. Pour ce faire, avec l’aide du ministère de l’Education nationale et des établissements, nous avons constitué un échantillon représentatif des Bouches-du-Rhône avec une méthode qui permet de bien représenter la population (qu’on appelle un tirage aléatoire), c’est très important pour bien représenter tous les segments de la société. Comme cela s’est passé à l’école, il y a eu moins de problèmes dans les réponses : la participation à l’enquête était volontaire, mais les refus ont été rares et les élèves libres. Enfin, nous avons interrogé suffisamment d’adolescents (au total environ 11.000) pour disposer de larges effectifs, y compris dans les groupes minoritaires. 

Quelles sont les principales observations qui en ressortent ?

Une enquête aussi importante est, au contraire des sondages qu’on lit dans la presse, analysée pendant plusieurs mois, voire plusieurs années avant de livrer toutes les informations qu’elle recèle. Mais, dores et déjà, nous avons des résultats préliminaires. Nous avons ainsi, sur le volet délinquant, à côté des estimations des vols, mesuré l’importance croissante des consommations de produits contrefaits divers (vêtements, électronique, cigarette, parfums) au cours des années du collège. Rares sont les vendeurs parmi les adolescents (3,5%), mais ils représentent environ un cinquième des acheteurs. L’approvisionnement hors des circuits légaux n’est pas exceptionnel. Nous avons également estimé la taille des populations en fonction de leur “vision du monde”, et appris que le groupe le plus important est constitué des athées (38%), le second des catholiques (30%), puis des musulmans (25%) et enfin d’autres religions (5%). Evidemment, ces différents groupes religieux ne sont pas également répartis dans l’espace du département étudié, les quartiers nord et est de Marseille sont nettement plus musulmans et aussi plus défavorisés. 

En quoi le degré d’attachement à leur religion diffère-il en fonction de la confession religieuse des adolescents interrogés ? Pourquoi selon vous ? 

La plupart des jeunes catholiques ne sont pas très pratiquants et pas très attachés à leur religion, et donc pas très fondamentalistes non plus. La religion est un simple héritage pour la presque totalité d’entre eux, et leur religiosité n’est pas très affirmée (seuls 22% le sont). C’est le contraire pour les musulmans : 83% affirment l’importance de leur religion. Les catholiques non pratiquants sont, en tendance, en voie de sécularisation et leur manière de voir est très proche de celle des athées. La religion ne les distingue pas, finalement. Les catholiques affirmés sont un peu plus conservateurs en termes de moeurs. Dans le cas des catholiques, la religion est un choix personnel qui n’entraine pas d’organisation de la vie autour de la religion, pas de sélection des amis sur ce critère par exemple. Dans notre échantillon, nous avons les adolescents des écoles privées catholiques sous contrat, mais leurs élèves ne diffèrent pas des autres jeunes. Pour les musulmans, la religion est une foi, une communauté (sans doute imaginée pour une part, mais très valorisée), et la référence aux enseignements originels est valorisée. La manière de vivre la religion est sans doute individuelle, mais s’inscrit malgré tout plus nettement dans un groupe. La distinction dedans / dehors est importante.

Comment ces différences de religiosité se traduisent-elles dans le rapport à des valeurs et principes tels que la laïcité, ou l’égalité entre les sexes ?

Les athées sont les plus tolérants, les plus favorables à l’égalité des hommes et des femmes, les plus opposés à la séparation des lieux publics suivant le sexe, les plus prompts à reconnaitre le droit à chacun de choisir sa vie sexuelle (et le sexe de son partenaire). Les catholiques non pratiquants leur ressemblent à peu de choses près. Pour eux, les lois de la République valent plus que les règles religieuses. Les catholiques affirmés sont un peu plus conservateurs en termes de moeurs. Les jeunes de foi musulmane portent une vision de la société marquée par la religion, et notamment en ce qui concerne les rôles sociaux des hommes et des femmes, ou encore l’impureté supposée de l’homosexualité. Les plus affirmés des jeunes musulmans le sont encore plus nettement, par exemple 47% d’entre eux ne pensent pas que les homosexuels sont des gens comme les autres, un pourcentage qui tombe à 23,5% chez les catholiques et 12,3% chez les athées. Je constate que l’opposition entre les religions ne portent pas sur les principes (par exemple, la laïcité dont l’acceptation est large et assez proche dans tous les groupes), mais sur le contenu. Ces clivages, réels, ne sont pas cependant totaux comme les pourcentages l’indiquent. Enfin, d’une manière générale, les jeunes musulmans se sentent moins bien traités à l’école, dans les magasins et, surtout, par la police.

Quelles conclusions cette étude devrait-elle permettre de tirer quant à la place des religions dans notre société, et les politiques à mener pour mieux l’organiser ? 

Etant donné la tendance à la sécularisation que la France a connue de manière accélérée après la Seconde Guerre mondiale, cette question a plutôt été abordée par les gouvernements comme marginale, voire folklorique. L’affirmation de leurs valeurs traditionnelles par les catholiques, à l’occasion du mariage pour tous par exemple, et par les musulmans (à travers la question du voile dans les espaces publiques, les accès à la piscine ou même dans une épicerie -dont le gérant avait posé un écriteau régulant les jours d’accès pour les hommes ou les femmes-) a contribué à placer la religion au coeur des questions politiques en France, mais pas uniquement car c’est aussi le cas en Turquie. L’identité religieuse est une chose, l’idéologie en est une autre. Si la religion soude les membres d’un groupe, elle renforce aussi les démarcations d’avec les autres. Les sorties autoritaires de l’exécutif sur le sens de la République m’apparaissent peu utiles sans débat qui permet de s’approprier les arguments. Il est souhaitable, selon moi, pour éviter les mouvements de séparatisme ou d’ignorance mutuelle de trouver le moyen de renforcer la convergence entre les groupes, ce qui implique de discuter de la valeur des références et donc qu’elles perdent leur caractère sacré et non négociable. Dans tous les groupes religieux une partie des personnes sont plus ouvertes que les autres, et il est possible de les mobiliser.

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