Cette startup valorisée à 9 milliards prétendait avoir une solution miracle pour changer la médecine, mais c'était un mirage. Après la chute, quelles leçons retenir ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Elizabeth Holmes, fondatrice et PDG de Theranos
Elizabeth Holmes, fondatrice et PDG de Theranos
©Brendan McDermid / Reuters

Theranos

Après avoir été plébiscitée par tous, l’entreprise de tests sanguins est la cible d’un grand nombre de critiques et d’une enquête fédérale.

Si vous aviez peur des aiguilles, vous aviez beaucoup à espérer de Theranos, l’entreprise miracle de la Silicon Valley, qui promettait de rassembler tous les tests sanguins en une simple piqûre au doigt. Une seule goutte de sang pour obtenir autant de résultats, plus rapidement et de façon plus fiable, qu'avec une batterie d'examens.

La promesse était énorme : les analyses sanguines sont lourdes logistiquement et représentent un énorme coût pour les services de santé ; les médecins hésitent à prescrire ces procédures pas forcément légères et prennent ainsi le risque de diagnostics erronés. En outre, certaines personnes ont des phobies des aiguilles ou d'autres contre-indications. De plus, pour sa fondatrice, Elizabeth Holmes, Theranos permettrait à chacun de prendre le contrôle de sa santé : chacun pourrait aller dans la pharmacie du coin faire son analyse, recevoir ses résultats sur Internet, et savoir par ses propres moyens ce qui va ou ne va pas. Bref, une révolution technologique comme on les aime dans la Silicon Valley.

Cependant, dans les derniers mois, l’engouement suscité par Theranos a été saboté par plusieurs révélations désastreuses. Une grande enquête du Wall Street Journal a révélé que de nombreux tests en théorie réalisés avec la machine révolutionnaire de Theranos étaient en réalité réalisés avec les machines des concurrents, et que la machine de Theranos était beaucoup moins fiable et performante qu'annoncé. A la suite de cet événement, des inspections conduites par des autorités indépendantes ont révélé des défaillances médicales, techniques et humaines ; ensuite, les régulateurs fédéraux ont proposé de radier la PDG du secteur des analyses de sang pour deux ans (voire plus) ; enfin, une enquête criminelle est en cours, pour tenter de savoir si les investisseurs ont été sciemment trompés sur la qualité technologique des innovations de Theranos.

Autrement dit, pour l’entreprise, c’est la dégringolade. Pourtant, tous les grands médias américains avaient vanté le caractère avant-gardiste de Theranos, susceptible de mener une vraie révolution dans le secteur des analyses médicales. Mais l’imbroglio juridique et technologique semble toucher à sa fin, d’après le New York Times.

A vrai dire, l’enthousiasme n’était pas sans lien avec la figure charismatique de la fondatrice de Theranos : Elizabeth Holmes, 32 ans. Elle a quitté Stanford à l’âge de 19 ans, et est rentrée dans le classement Forbes des plus jeunes milliardaires. Seulement, il y a bien d’autres fondateurs qui savent électriser leur public, et ils n’ont pas bénéficié d’investissements s’élevant à des centaines de millions de dollars pour autant. Il ne faut pas oublier qu’à son apogée, Theranos était valorisée à 9 milliards de dollars.

Le symptôme d’une foi démesurée dans le pouvoir des analyses médicales.

Faye Flam, chroniqueuse scientifique chez BloombergView suggère une autre piste pour expliquer l’emballement médiatique pour une start-up dont les résultats n’étaient pas prouvés : ce serait plutôt le symptôme d’une foi démesurée dans le pouvoir des analyses médicales. Ces analyses, et les tests sanguins plus précisément, ne sont plus vus seulement comme des outils de diagnostic, mais aussi comme ayant le pouvoir de prévoir—et de prévenir—la maladie.

Par conséquent, les sceptiques mettent en avant trois défauts liés à ce que les communiqués de presse des laboratoires présentent comme « la médecine préventive ».

D’abord, les tests ne sont pas standardisés. En d’autres termes, des laboratoires différents procèderont différemment à la réalisation de leurs analyses, et obtiendront donc probablement des résultats différents. Ainsi, une étude a été menée sur 60 patients en bonne santé, soumis à 22 tests établis par trois laboratoires d’analyses : LabCorp et Quest, les deux plus gros du pays, et Theranos. Conclusion : à plusieurs reprises, les résultats divergeaient. Par exemple, dans le cas du test de taux de cholestérol, Theranos produisit de mauvais résultats. Et pourtant, les conséquences médicales de ce genre de tests sont potentiellement très importantes.

Seulement, Theranos rencontre des problèmes spécifiques : l’entreprise, en effet, veut faire des prises de sang en piquant votre doigt, et non plus la veine de votre avant-bras. Mais The Conversation remarque que le sang qui circule dans votre doigt n’est pas parfaitement représentatif de sa composition générale : de grosses molécules (comme les protéines ou les lipides) y sont moins présentes, et le sang peut être mélangé à du liquide interstitiel, très concentré dans les doigts. Cela pose des difficultés apparemment insolubles.

Enfin, et c’est le plus important : la médecine ne correspond pas à l’obéissance aveugle à un chiffre donné par une machine, aussi perfectionnée soit-elle. Le Professeur Norman Paradis, du Dartmouth College, l’exprime ainsi : « Je soutiens vigoureusement l’utilité des tests sanguins, mais je n’en conclurai pas qu’il faille immédiatement commencer le traitement ».

En somme, nous avons besoin du fantasme de la médecine et de la technologie toute-puissante, de nous convaincre que ce qui n'est encore en grande partie qu'un art est une science où tout est contrôlé. D'où la tendance de nombreux investisseurs et observateurs à être un peu trop crédules lorsqu'une startup comme Theranos prétend avoir une solution miracle à un problème comme celui des analyses sanguines. Une importante leçon.

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