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Explosion de l'obésité en Chine : ce qu'elle nous apprend sur la société française et ses modes de consommation
©Reuters

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Une nouvelle étude publiée dans le "European Journal of Preventive Cardiology" constate une explosion de l'obésité chez les adolescents habitant les zones rurales de la Chine. Un phénomène dû aux changements socio-économiques qui bouleversent le pays.

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste. Il est membre du Think Tank ObésitéSIl a dernièrement écrit Le S.A.V. des régimes aux éditions Marabout.

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Atlantico : Une nouvelle étude (voir ici) indique que 17% des hommes et 9% des femmes ayant moins de 19 ans et vivant dans des zones rurales en Chine souffrent d'obésité, contre seulement 1% en 1985. Que vous inspirent ces chiffres ?

Arnaud Cocaul : Ces chiffres prouvent ce que l'on soupçonnait depuis longtemps : la Chine connaît l'explosion d'obésité la plus rapide du monde.

Comme expliquer cette explosion inédite du nombres d'adolescents obèses en Chine ?

Pour expliquer ce phénomène, il faut d'abord comprendre que l'obésité n'est pas une maladie seulement due aux modes d'alimentation, mais aussi à la structure des sociétés.

D'un point de vue alimentaire, la transition socio-économique et nutritionnelle rapide de la Chine a entraîné une augmentation de la consommation d'énergie, c'est-à-dire que le mode d'alimentation traditionnel chinois (repas pris en famille, ingestion d'aliments non-transformés en petite quantité comme le riz ou le poulet) a été remplacé par un mode d'alimentation industriel, composés d'aliments transformés, riches en gras, en sucre et en sel, en général ingérés rapidement sur le pouce (d'où le développement de nombreuses chaines de fast food) et accompagnés de toutes sortes de boissons sucrées. De plus, les ravages causés par les anciennes famines qui ont touchées le pays ont aussi conditionné les corps à stocker les aliments sous forme de graisse pour constituer une réserve capable de faire face à un éventuel manque de nourriture.

D'un point de vue structurel, la transition socio-économique rapide de la Chine a aussi entrainé une baisse de l'activité physique. Tout est pensé pour que les citadins aient le moins à marcher possible, avec le développement des transports en commun, des ascenseurs, des routes, sans compter l'augmentation très forte de la pollution atmosphérique, qui, outre le fait qu'elle empêche de faire du sport lors des pics, a une action au stade fœtal qui conduit l'organisme à créer plus de cellules graisseuses. Enfin, l'apparition du chauffage et de la climatisation demande moins d'efforts au corps pour s'adapter à l'environnement.

L'obésité chinoise touche principalement les garçons, au stade de l'adolescence, issus de milieux ruraux. Pouvez-vous expliquez cette particularité ?

Je pense que si les adolescents chinois sont plus touchés que les filles par l'obésité, c'est d'abord parce que, dans la culture chinoise, la préférence de la société traditionnelle pour les garçons, en particulier dans les zones rurales, peut signifier que les garçons sont susceptibles de profiter de plus de ressources nutritionnelles de la famille. En milieu rural également, la politique de l'enfant unique a conduit à privilégier les naissances masculines, d'où un gonflement des statistiques de l'obésité chez les jeunes hommes, tout simplement plus nombreux que les filles.

L'épidémie d'obésité touche aussi majoritairement les adolescents, car c'est la première génération qui a grandi dans la nouvelle Chine, et qui a donc totalement délaissé le modèle de nutrition traditionnel pour une alimentation industrielle transformée, basée sur le modèle du fast food.  Contrairement à leurs parents et à leurs grands-parents, ils n'ont rien connu d'autre depuis qu'ils sont nés.

Enfin, cette obésité touchent principalement les adolescents issus des milieux ruraux, car ce sont les zones qui subissent les plus grandes transformations. Prenez la ville de Shenzhen par exemple. Située en bordure de Hong Kong, la municipalité était encore largement rurale dans les années 1970. En 1979, une partie de son territoire acquiert le statut de zone économique spéciale et devient l'un des principaux lieux d'expérimentation de la politique d'ouverture aux investissements étrangers. Bénéficiant de sa position géographique privilégiée, elle connaît un essor économique et démographique spectaculaire. En 2010, elle compte environ 10 millions d'habitants et constitue une des municipalités les plus riches de Chine.

La France a elle aussi connu une transition socio-économique importante lors de la révolution industrielle, et n'a pas pour autant connu d'épidémie d'obésité. Comment expliquer cette différence ?

C'est une question de temps. La transition socio-économique de la France s'est faite sur trois ou quatre générations, car les progrès étaient beaucoup plus lents à se mettre en place et à se diffuser dans les années 1900.

En Chine, la transition socio-économique s'est faite sur une seule génération. Des corps habitués à des modes d'alimentation vieux de milliers d'années se sont d'un seul coup retrouvés à consommer des produits industriels transformés, et n'ont pas trouvé d'autres solutions que de les stocker sous forme de graisse.

Qu'est-ce cette épidémie d'obésité chez les adolescents chinois peut nous apprendre sur la société française et sur ce qu'on devrait adopter comme comportement alimentaire ?

D'abord, il est important de souligner que, même si notre pays est relativement préservé de ce fléau, la France est elle aussi touchée par les problèmes d'obésité :   6,5 millions de nos citoyens sont considérés comme obèses (soit 14,5% de la population adulte). La proportion des personnes obèses est passée de 8.5% à 14,5% entre 1997 et 2009. L'augmentation de la prévalence est observée dans toutes les tranches d'âge de la population, y compris les seniors. Cependant, celle-ci semble plus importante chez les femmes (15,1%) que chez les hommes (13,9%).

Il y a, de plus, une vraie analogie entre l'épidémie d'obésité chez les adolescents chinois et l'augmentation de l'obésité chez les adolescents français issus de l'immigration, qui sont en France les plus touchés par cette maladie. Ils ont, en effet, eux aussi subi une acculturation, c'est-à-dire que leur mode d'alimentation traditionnelle s'est retrouvé complètement chamboulé par leur naissance dans un nouveau pays, déstabilisant les repères héréditaires de leur métabolisme.

Pour lutter contre l'obésité en France, il faudrait, tout comme en Chine, d'un point de vue strictement nutritionnel, obliger les industriels à faire différents types de portions dans les repas préparés, car nous avons tous des besoins nutritionnels différents, et manger moins de produits transformés. Ensuite, d'un point de vue sociétal, il faudrait revoir la construction des villes afin de favoriser la marche, aménager des espaces verts pour faire du sport et diminuer la pollution atmosphérique.

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