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Procès Luxleaks : les révélations sur les pratiques luxembourgeoises loin d'avoir épuisé les responsabilités dans l'évasion fiscale des multinationales
©Flickr/James Cridland

Intérêts communs

Le procès du scandale Luxleaks s'ouvre ce mardi devant le tribunal correctionnel de Luxembourg. Pointer du doigt les pratiques du grand duché ne réglera pas le problème de l'évasion fiscale : tant que la France appliquera sa politique de l’assommoir fiscal, il y aura des schémas abusifs.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : Si le Luxembourg est régulièrement pointé du doigt en matière fiscale, l'immobilisme politique face aux pratiques du grand duché semble encore dominer. En quoi les grands pays de l'Union Européenne tirent-ils un bénéfice à voir le Luxembourg agir de la sorte ? Le pays agit-il comme une soupape de sécurité pour des contribuables qui pourraient également choisir de partir dans d'autres zones géographiques, comme l'Asie ou les Caraïbes ?

Thomas Carbonnier : La fiscalité luxembourgeoise est au moins tout aussi complexe que la fiscalité française. Il est donc impératif de se garder d’émettre un jugement à l’emporte-pièce ! La fiscalité des revenus du travail est belle et bien existante. En revanche la fiscalité des revenus du capital est globalement plus douce, un peu comme en Belgique.

Le Luxembourg a toujours eu pour objectif de favoriser son propre développement économique avant tout. Pour ce faire, il a fallu attirer des capitaux étrangers en masse pour développer l’activité économique, soutenir la croissance et des emplois hautement qualifiés.

Le grand-duché a dû se doter de moyens puissants d’attraction des cerveaux. Clairement, ce n’est pas son rayonnement culturel ou gastronomique qui ferait le poids face à des voisins tels que la France…

Les grands pays européens ne voient pas forcément d’un très bon œil la fiscalité du patrimoine pratiqué par le voisin luxembourgeois. Ils ont donc tout mis en œuvre pour faire voler en éclat, avec succès, son secret bancaire. C’est d’ailleurs sans état d’âme que, privé du secret bancaire, le Luxembourg a adopté une fiscalité Uber légère pour attirer les banquiers européens. 

Avec l’Allemagne, le Luxembourg est le deuxième pays européen à avoir transposé la directive européenne AIFM (Alternative Fund Investment Management) dans son droit interne pour améliorer son attractivité financière.

De cette manière, le Luxembourg a pris un avantage concurrentiel sur ses voisins européens qui ne l'avaient pas encore transposée.

Cette directive européenne visait à harmoniser la législation financière applicable en matière d’agrément et de surveillance des gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs en Europe.

La capitale européenne de l'administration et de la commercialisation d'OPCVM souhaitait se diversifier et devenir un centre d'excellence pour la commercialisation de fonds d'investissements alternatifs. Le Luxembourg a pu commercialiser plus aisément ses fonds à travers toute l'Europe dans des conditions juridiques harmonisées.

Cette commercialisation facilitée en Europe, doublée d'une législation fiscale stable et très favorable, ne laisse place à aucun doute sur le renforcement de l'attractivité du Luxembourg.

La France ne cesse d’innover pour plomber son économie : taxe à 75%, taxe sur la cabane de jardin, hausse de la TVA, une surtaxe sur les résidences secondaires, la fin de la déductibilité de la CSG, la taxation sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises, gel du barème de l’IR, la taxation des CDD… . Pendant ce temps, le Luxembourg innove pour améliorer le financement de ses PME en créant "une société en commandite simple".

Bien que l'accent soit souvent mis sur les pertes lorsque des particuliers ou des entreprises pratiquent l'évasion fiscale, en quoi la France peut-elle également tirer des avantages de l'existence de pays européens à la fiscalité avantageuse comme le Luxembourg ? La France bénéficie-t-elle de retombées économiques, notamment au travers des zones frontalières au Luxembourg, à la Suisse, ou à Monaco ? De la même façon, est-il possible d'estimer les montants investis dans l'immobilier français par des ressortissants étrangers, et ce, au travers de montages fiscaux irréguliers vis-à-vis de leur pays de résidence ?

Il serait idiot de croire que l’économie française fonctionne en autarcie. L’économie française s’inscrit dans un flux d’échanges commerciaux mondiaux qui dépasse largement le cadre européen.

Tant que la France pratiquera sa politique de l’assommoir fiscal, il y aura des schémas abusifs au regard du droit fiscal. En tout état de cause, si on en croit les études d’UBS, le niveau de vie en Suisse et au Luxembourg est très largement supérieur à celui d’un parisien enfermé dans la grisaille.

Sur un plan plus macroéconomique, on constate que la Suisse et le Luxembourg veulent rejoindre la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII ou AIIB en anglais) initiée par la Chine pour financer des infrastructures en Asie. 

Le monde économique a été largement modifié et le Luxembourg, au même titre que la Suisse, a pris conscience bien avant la France ou d’autres pays de l’UE. D’ailleurs, le Luxembourg réfléchit en ce moment à de profondes réformes fiscales pour renforcer encore un peu plus son attractivité (réduction du taux d’IS, suppression de l’Impôt sur la Fortune prélevé exclusivement sur les sociétés, une fiscalité plus avantageuse pour les sociétés fortement capitalisées, etc.). 

Que perdrait la France si les avantages fiscaux offerts par le Luxembourg disparaissaient ? En quoi serait-elle contrainte de réformer sa fiscalité ? Quelles seraient les conséquences au niveau européen ? La présence du Luxembourg, ou de l'Irlande, au sein de l'UE, permet-elle d'enrayer une compétition fiscale entre Etats ?

Dès 1999, la commission finance du Sénat français s’est penché sur la question de la concurrence fiscale au sein de l’Europe (procès-verbal de la séance du 30 juin 1999, enregistré à la Présidence du Sénat le 26 juillet 1999). A l’époque déjà, l’union économique et monétaire était perçu comme susceptible d’exacerber la concurrence fiscale entre Etats-membres. Cette concurrence était perçue comme dangereuse pour la France puisqu’elle risquait d’assécher les recettes de l’Etat...

A cette époque déjà, on pouvait lire que "la situation de la France au regard de la concurrence fiscale apparaître globalement mauvaise". Et depuis… les choses se sont-elles améliorées ? La réponse est bien entendu négative. La recommandation était de favoriser la coopération fiscale entre Etats membres. Certes, elle s’est améliorée. Mais la France a conservé son idéologie de fiscalité punitive alors que d’autres Etats-membres ont préféré une idéologie d’encouragement. 

Avec l’échec du projet ACCIS (CCTB en anglais) visant à créer une assiette commune consolidée à l’impôt sur les sociétés au sein de tous les pays membres, l’UE a démontré son incapacité à dégager une esquisse de projet commun capable d’enrayer cette concurrence fiscale féroce.

A l’heure où certains Européens travaillaient d’arrache-pied, les intermittents français du spectacle occupaient le théâtre de l’Odéon pour peser sur les négociations qui ont plombé encore un peu plus le budget de la sécurité sociale. 

C’est ce climat morose qu’un client a pu me résumer sa pensée par l’expression suivante : "Pauvre France de merde". Ite missa est.

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