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Nuit Debout, Macron partout, Rama Yade, Hijab Day et compagnie : pourquoi tant d’obsession médiatique pour des sujets déconnectés de la réalité des Français
©Reuters

Passionnant

Parce qu'ils cherchent des histoires à raconter, que le "manque d'actualité" (vraiment intéressante) se fait sentir, ou tout simplement par manque de temps, les journalistes peuvent parfois amplifier des événements sans lien avec leur véritable importance dans la réalité. La preuve cette semaine...

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet est communicant et co-fondateur de l'agence de conseils en communication MCBG Conseil.

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Atlantico : On constate souvent que certains sujets occupent une place considérable et durable dans les médias, parfois de manière tout à fait disproportionnée en comparaison avec leur importance dans le réel ou dans les préoccupations de la majorité de la population. Pas une semaine sans sa ou ses "bulle(s) médiatique(s)". Vous qui scrutez et analysez avec attention les médias, quel est le sujet majeur de la semaine dont vous pensez qu'il n'a quasiment aucune existence dans la réalité ?

Philippe Moreau-Chevrolet : Parmi les bulles médiatiques de la semaine, il faut citer en premier lieu la candidature de Rama Yade à l'élection présidentielle. C'est un non-évènement, car elle est certes très populaire, mais politiquement elle ne pèse plus rien. Sa présence au journal de 20h de TF1 jeudi soir semble tout à fait disproportionnée par rapport à la réalité de son poids politique et la seule probabilité qu'elle remporte l'élection présidentielle, ou qu'elle accède au second tour, voire même qu'elle y joue un rôle important, est quasiment nulle.

Les médias s'intéressent à elle car, personnalité de droite, elle décide de tenter sa chance en dehors du cadre de la primaire. Si elle avait été une candidate de plus à la primaire, elle n'aurait pas eu autant de couverture médiatique.

Cette semaine, les médias ont continué à couvrir de manière particulièrement intense les manifestations de Nuit debout. N'y a-t-il pas également là une disproportion entre, d'une part un évènement assez limité en termes de participants et d'impact politique, et d'autre part l'attention très élevée qu'y portent les médias ?

Il y a une très forte couverture médiatique de Nuit debout qui est pourtant un événement essentiellement parisien, et ne constitue pas à proprement parler une manifestation de masse.

Cette attention s'explique, en partie, par le fait que les journalistes et les observateurs cherchent depuis le début du quinquennat où va se faire le réveil politique de la gauche de la gauche. Dès que des signes donnent le sentiment que ce réveil est en train de se produire, les projecteurs se braquent dessus. On craint de passer à côté d’un événement qui pourrait se révéler important. En l'occurrence, il se pourrait que nous ayons surévalué Nuit debout. Mais seul l’avenir le dira.

Par ailleurs, la géographie a toujours une importance dans l'intérêt plus ou moins fort des médias pour un évènement. On retrouve cette logique dans la "loi du mort kilométrique", que connaissent tous les journalistes. Plus un événement est éloigné, moins il intéresse. Un mort à Paris suscite plus d'intérêt que 200 morts à l'autre bout du monde. Les plus grandes rédactions de France se trouvent à Paris. Ce qui se passe à Paris a donc infiniment plus de répercussions dans les médias que ce qui se passe à l'étranger et même en régions. Par ailleurs, les médias sont de plus en plus sensibles aux tendances dominantes sur les réseaux sociaux, en particulier Twitter. Or beaucoup d’influenceurs sont parisiens.

Que dire de l'emballement médiatique autour du "Hijab day", cet événement organisé par des étudiants de Sciences Po incitant les étudiant de l'école à porter le voile pendant une journée en solidarité avec les musulmanes voilées ?

L'emballement médiatique autour du "Hijab day" est parti d'un simple évènement créé sur Facebook. C'est donc un micro-événement qui a pris des proportions considérables dans les médias cette semaine. Cela s'explique par le fait que la question du voile et de l'islam en général est sensible dans l'opinion. Dès qu'on touche à ces thématiques, on déclenche quoiqu'il arrive une tempête médiatique. C’est l'effet papillon appliqué aux médias. Le moindre petit évènement en lien avec l'islam prend des proportions immenses.

En l'espèce, la place majeure qu'a pris cette affaire dans les médias cette semaine est liée au fait qu'elle avait lieu à Sciences Po, qui est considéré par un grand nombre de gens comme le temple de l’élite. Or une grande partie de la droite, comme l’extrême-droite, accuse les élites de favoriser l'extension du port du voile et de brader le pays à l'islam.

Cette initiative partait d’une bonne intention - promouvoir la tolérance - mais ses organisateurs ne se sont pas rendu compte des forces qu'ils allaient mettre en mouvement. Même à gauche, une partie des militants et leaders d'opinion s'est structurée autour du Printemps républicain contre le port du voile et pour une laïcité stricte.

Dans les "bulles médiatiques" comment ne pas parler de l'omniprésence médiatique d'Emmanuel Macron… Y a-t-il une réalité dans l'opinion derrière tout cela ?

Le phénomène médiatique Macron est un peu différent des exemples cités précédemment. Tout d'abord parce qu'il y a une construction d'image qui est délibérée de sa part ; il entretient à dessein la machine médiatique. Par ailleurs, il s'agit de quelque chose de plus porteur que le phénomène de bulle médiatique qui entoure Rama Yade, pour prendre un exemple comparable. Enfin, Emmanuel Macron correspond aux aspirations des électeurs de voir émerger des personnalités neuves, non-politiques, modernes, aux parcours atypiques, qui présentent un profil différent de celui des autres personnalités politiques. En revanche, quand on regarde le détail des sondages, on s'aperçoit que sa popularité est essentiellement parisienne. Dans le reste du pays, sa popularité est bien moindre. Il en a d'ailleurs conscience lui-même, et son objectif semble de faire se rejoindre sa cote médiatique et sa cote politique. C’est son plus grand défi à ce jour.

Quel peut-être l'impact de la surmédiatisation sur la réalité d'un événement ? Autrement dit, un événement de faible importance dans la réalité, peut-il prendre plus d'importance grâce (ou à cause) de l'attention très forte que lui portent les médias ?

Il ne faut pas exagérer l’impact des médias sur le réel. Même si les médias surmédiatisent un événement comme l'hypothèse d'une candidature d'Emmanuel Macron, la candidature de Rama Yade, le "Hijab day" ou Nuit debout, cela n'a pas d'impact sur le réel car la population se méfie beaucoup et assimile, à tort le plus souvent, les journalistes aux élites. Or la défiance vis-à-vis des élites ne fait que croître. Pour que la couverture excessive d'un événement ait un impact sur le terrain, il va falloir que la réalité rejoigne l'image renvoyée par la loupe des médias. Concernant Macron par exemple, la surmédiatisation aura un impact sur le réel quand seront montés à travers tout le pays des comités de soutien. Alors, la surmédiatisation pourra avoir un effet démultiplicateur. Sinon, le soufflet retombera. Les gens sont assez lucides et critiques vis-à-vis de ce qu'ils peuvent lire, entendre et voir dans les médias. Ils ont appris à relativiser la réalité qu’on leur présente. Ils savent comment cela se passe, et si ce qui est présent dans les médias ne correspond pas à ce qu'ils peuvent constater dans la réalité, ils sont capables de comprendre qu'ils sont face à un phénomène médiatique. En France, le peuple est très politique, il y a une grande culture des médias. Il n'est pas si aisé que certains le pensent d'influencer l'opinion des Français. Elle est régie par des phénomènes plus profonds, plus souterrains, et plus sur le long terme.

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