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Berlin en guerre contre Draghi : et voilà donc la véritable idée que se fait l’Allemagne de l’indépendance de la BCE
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Vous avez dit prussien ?

Depuis plusieurs jours, certains membres du gouvernement allemand se sont lancés en guerre contre la politique monétaire menée par le président de la BCE, Mario Draghi. Alors que jusqu'ici Berlin semblait être très soucieuse de l'indépendance de l'institution monétaire, il semblerait qu'il n'en soit pas de même quand la politique menée ne lui convient pas.

Romaric Godin

Romaric Godin

Romaric Godin est journaliste financier. Ancien correspondant à Francfort pour La Tribune, il en est actuellement le rédacteur en chef adjoint.

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Atlantico : Depuis quelques jours, le torchon brûle entre l'Allemagne et la BCE. Il est reproché à la banque centrale de mener une politique monétaire dangereuse.  Le ministre des finances Wolfgang Schäuble a même été jusqu'à accuser la BCE d’être responsable du succès du nouveau parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), crédité de plus de 12 % des intentions de vote. La BCE n'est-elle censée être indépendante vis-à-vis des gouvernements nationaux ? Qu'est-ce que cela peut traduire de la conception que se fait le gouvernement allemand, et en particulier de M. Schaüble, des institutions européennes ?

Romaric Godin : La BCE est indépendante, c'est inscrit dans les traités. C'est un élément fondateur de l'union monétaire. Ce qui est assez paradoxale, c'est que cette indépendance est à l'origine une demande de l'Allemagne. Elle désirait une garantie de la stabilité monétaire contre les pays du Sud, appelés à l'époque les pays du "Club Med", qui, selon les Allemands, avaient pour habitude de mener des politiques monétaires dépendantes des politiques gouvernementales au mépris de leur stabilité monétaire. En effet, il y a une véritable incohérence apparente dans les demandes de certains membres du gouvernement allemand et du parti conservateur. Est-ce que cela traduit d'une approche particulière de la politique monétaire outre-Rhin ? Oui, il y a une volonté allemande de limiter l'indépendance de la BCE, comme il y a une volonté italienne ou française de le faire, lorsque l'intérêt du pays est en danger. Nous croyions jusqu'à présent c'était surtout vrai pour les pays du Sud, nous découvrons que c'est également le cas en Allemagne.

La différence d'appréhension de ce qu'est l'inflation et de ce qu'elle doit être est au cœur des divergences au sein de la zone euro. Les Allemands considèrent que la stabilité monétaire est une inflation proche de 0%. La politique qu'ils ont mené au cours des années 2000, si nous regardons les évolutions de productivité et des salaires, tendait vers une inflation 0, voire une déflation. Celle de la France et de l'Italie tend en général vers plus d'inflation. Pour la France, la différence entre les salaires et la productivité était de l'ordre de 2%, ce qui colle avec la cible d'inflation de la BCE. Il y a une véritable divergence au sein de la zone euro, que met en avant cette polémique. Certains en Allemagne utilisent même un argument ethnique et national pour contrer Mario Draghi, en exigeant que le prochain président de la BCE soit allemand. Ils considèrent qu'un Allemand est le meilleur défenseur de ce qu'ils appellent "la culture de la stabilité". Selon eux, Draghi agit ainsi car il est italien. L'Allemagne réintroduit un débat national, car elle se sent trahi par la politique menée par la BCE.

Par ailleurs, la France tire parti de la politique des taux bas engagée par la BCE. Comment expliquer son silence? Ne pourrait-elle pas s'agacer ouvertement de cette intrusion allemande dans les décisions de Francfort ?

D'abord il faut dire que l'Allemagne profite encore plus que la France de la politique menée par la BCE. L'Allemagne emprunte actuellement à des taux négatif, c'est-à-dire qu'on lui donne de l'argent à chaque emprunt. La France l'est aussi, surtout qu'elle est en déficit, alors que son voisin est en excédent.  Si elle est silencieuse, c'est parce qu'elle se tait sur les questions européennes depuis fin 2010 et l'entrevue entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à Deauville où la France a accepté la politique qui a été mise en place par l'Allemagne dans la zone euro. Paris a une position d'infériorité volontaire vis-à-vis de Berlin. Nous le voyons à chaque retour de la crise grecque, où il y a un suivi d'Angela Merkel. Sur la BCE, la France n'a pas grand-chose à dire. Mais c'est également vrai de nombreux pays qui estiment que ne pas poser de problèmes à l'Allemagne facilite leurs discussions avec la Commission européennes lorsqu'arrivent les revues de procédure de déficit excessif. Par exemple, l'Espagne n'est pas dans la critique, alors qu'elle profite également de la politique de taux. Il n'y a que l'Italie qui est un peu plus offensive, car Matteo Renzi doit faire face en interne à des nombreux eurosceptiques. De plus, Rome a beaucoup plus souffert que Paris des politiques d'austérité et a donc davantage besoin de la BCE.

L'euro avait en réalité été créé sur le modèle du mark et la BCE sur celui de la Bundesbank. Derrière ces institutions se cachait-il une volonté d'hégémonie des Allemands ?

Je ne sais pas si nous pouvons parler de "volonté d'hégémonie". Du point de vue allemand, abandonner le mark était un sacrifice considérable. Un des grands éléments stables de la politique allemande depuis la réunification, c'est la défense des intérêts nationaux. Cet élément est très fort en Allemagne. Dans la tête des Allemands, il fallait des compensations à l'abandon du mark. Ils ont donc souhaité transformer l'euro en mark. Ils pensaient que l'indépendance de la BCE était un des éléments suffisants pour cela. Mais l'hégémonie est plus venue dans la gestion de la crise de la dette de la zone euro, en 2010, quand ils ont décidé de prendre en main la politique économique de la zone. Le Two Pack, le Six Pack ou le Pacte de stabilité sont des inventions de l'Allemagne, en contrepartie du "sauvetage" des pays du Sud. Il y a eu là des éléments d'hégémonie économique.

La question est moins en termes d'hégémonie politique que d'hégémonie culturelle. L'idée de l'Allemagne est de faire de la zone euro une zone où tous les pays acceptent la culture de la stabilité, qui est au cœur de la création de la RFA en 1949. Pour eux, c'est la garantie que l'euro restera l'équivalent du mark et qu'il n'y aura pas de poussée inflationniste. Dans beaucoup d'autres pays de la zone euro, comme en France ou en Italie, il y a d'autres perceptions de la stabilité monétaire. C'est cela qui pose aujourd'hui problème, même si la BCE est aujourd'hui totalement dans son mandat. L'inflation dans la zone euro est largement en dessous de l'objectif des inférieurs mais proche des 2% accepté par les pays dont l'Allemagne en 1998, comme un élément de la stabilité monétaire.

Hans-Peter Friedrich, représentant CSU au parlement national, a récemment déclaré dans Bild que "les politiques de Mario Draghi ont sérieusement entaché la crédibilité de la BCE". Il estime que, comme vous le rappeliez précédemment, le successeur de l’actuel président devrait "être un Allemand partageant la tradition de stabilité de la monnaie de la Bundesbank". Sur quels moyens de pression l'Allemagne pourra-t-elle compter pour faire changer la politique de Draghi ?

Il y a trois éléments. Le premier, comme je l'ai déjà dit, est assez inquiétant. C'est que la politique monétaire relève de la nationalité des gens qui la font. Ainsi, un non allemand ne peut pas comprendre la stabilité monétaire et remplir ce rôle. Cela signifie qu'il y a une défiance fondamentale au sein de la zone euro, sur des critères nationaux, donc radicaux. Il y a un problème de confiance entre les peuples. Mais nous l'avions déjà vu durant la crise grecque, où les hommes politiques et les médias allemands avaient été très sévères à l'égard de la Grèce, ainsi que des autres pays, la France n'étant pas une exception. Nous sommes dans une phase qui suit cette crise et nous voyons que la pensée se referme sur les consciences nationales. C'est le fruit de la crise de la zone euro, qui a été gérée de manière nationale, avec des gens qui défendaient les intérêts des contribuables qu'ils représentaient.

Il faut ensuite réfléchir à ce qui se passe à l'intérieur du gouvernement allemand. La crise des réfugiés à laissé des traces. La CDU et son allié la CSU sont au plus bas dans les sondages. Il y a un parti d'extrême droite qui pour la première fois depuis la fin de la guerre semble s'ancrer dans le paysage politique. Il y a des tensions au sein du gouvernement allemand. Et la CSU, qui est le plus montée au créneau contre la BCE, veut incarner l'aile conservatrice de la droite allemande de plus en plus. Elle joue donc contre la BCE et contre Merkel, qui représente le courant européiste de la droite allemande. Il y a une sorte de jeu un peu trouble au sein de la droite allemande, et le débat avec la BCE est utilisé dans ce cadre-là. Schaüble a pris parti pour l'aile conservatrice contre Merkel et ce n'est pas la première fois, il l'avait déjà fait au moment de la crise des réfugiés et pendant la crise grecque.

Le troisième élément porte sur les moyens de pression de l'Allemagne. Il faut avant tout s'interroger sur ce que l'Allemagne veut réellement. Il va y avoir en 2019 un nouveau président de la BCE. C'est à chaque fois un moment de tensions entre les gouvernements. Il est certain que si Merkel reste chancelière après les élections de 2017, elle aura du mal à défendre un autre candidat qu'un candidat allemand. Car, on lui opposera toujours l'exemple de Draghi. Il faut se souvenir qu'en 2011, elle avait finalement lâché le candidat allemand, Axel Weber, pour se rallier à Draghi. Elle avait donc fait le pari de convaincre ses contribuables qu'on pouvait faire confiance à un non allemand. En politique intérieur, il semblerait que ce pari soit perdu. Pour la présidence de la BCE, tout dépendra des rapports de force au sein de la zone euro en 2019 et de ce que fera la France à ce moment-là. Ce dernier élément est impossible à deviner, car nous ne connaissons pas le prochain président de la République et sa politique européenne. Il y a cependant de grande chance que l'Allemagne parvienne à ses fins, ce qui ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour la zone euro. Car sans cette politique, la croissance serait largement inférieure.

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