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Otages de l’Etat islamique en Syrie : quatre hommes, dont deux Français, racontent par le menu le cavaire qu’ils ont vécu avant d’être libérés
©D.R

L'horreur

Réunis pour la première fois depuis leur libération, ces hommes ont connu l'enfer et le racontent. Des conditions de vie si révoltantes que l'un d'entre eux a tenté de se pendre.

Pouvoir survivre à de telles conditions de captivité et de brutalités est le symbole du triomphe de l'esprit humain. Ces quatre anciens otages aux mains de l'EI en Syrie, réunis pour la première fois depuis leur libération par la BBC, ont été libérés à des moments différents, il y a deux ans. Cette rencontre, selon la radio, a été une célébration de l'amitié forgée dans la douleur et l'occasion de se souvenir d'une épreuve terrible.

Le "jeu de la survie"

Ils ont vécu des mois et des mois sans voir la lumière du soleil, des semaines enchaînés, des passages à tabac jour après jour. Ils ont souffert du manque de nourriture, ont rêvé de vêtements propres, de pouvoir faire une toilette convenable, et surtout de retrouver... la liberté. Ces quatre hommes ont pratiqué, avec les autres otages, ce qu'ils appelaient un "jeu de la survie" afin de surmonter ces traumatismes. Ils ont tous fait preuve d'un courage extraordinaire.

Didier, Pierre, Federico et Daniel

Didier François, journaliste français, reporter de guerre depuis 1985, a été enlevé en juin 2013 au nord d'Alep. Il est libéré le 19 avril 2014 en même temps que son camarade de détention, le photographe Édouard Élias. Didier François a repoussé ses ravissseurs et les a regardés droit dans les yeux.

Pierre Torres, photographe français, a été enlevé dans le Sud de la Syrie en juin 2013 et libéré en avril 2014. Il a été durement frappé mais a eu la satisfaction d'ignorer les ordres qui lui étaient lancés.

Federico Motka, travailleur humanitaire italien, a été capturé en mars 2013 et libéré en mai 2014. Il a baissé les yeux mais a relevé sa garde pour éviter les efforts incessants de ses geôliers qui voulaient le détruire moralement.

Daniel Rye Ottosen, photographe danois et gymnaste de haut niveau, a été enlevé en mai 2013 et libéré en juin 2014. Il a fait le grand écart pour les convaincre qu'il n'était pas un espion.

Des gardiens français et britanniques très violents

Le plus difficile pour Didier François, pendant sa captivité, a été de perdre sa "liberté et de subir l'absence de règles, explique-t-il. Les gardiens sont ceux qui prennent les décisions et vous perdez tout contrôle. Donc, la seule chose que vous pouvez conserver c'est votre dignité. Il n'y avait pas de bons gardiens, ils étaient tous mauvais, mais leurs stratégies pour nous garder sous leur coupe étaient différentes. Certains ont eu recours à la violence extrême et d'autres ont utilisé des tactiques plus sophistiquées. Les gardiens français jouaient avec nos sentiments, tandis que les gardiens britanniques étaient plus dans la violence, raconte-t-il. Et nous ne savions jamais quelle méthode serait utilisée. Ils nous ont battus sans raison, juste pour nous montrer qu'ils étaient les patrons. Certains ont mis du spray au poivre sur mon bandeau. Pendant quatre jours, ils nous ont privé d'eau et de nourriture", explique le journaliste français.

Pour Pierre Torres, c'était "un complexe de culpabilité. J'avais le sentiment d'avoir accepté trop de choses facilement et je voulais être en mesure de me battre et de lutter, dit-il. J'ai donc fusillé du regard un gardien. J'étais devant lui, très fier, et avec mes yeux je lui disais : "Tu es de la merde". En colère, il m'a sorti de la prison et m'a cogné avec un bâton. Puis il m'a ramené dans la cellule avec les autres et m'a flanqué un coup de poing dans l'estomac. J'ai déféqué dans mon pantalon. Mais j'étais euphorique, c'était comme prendre de la cocaïne. Je me sentais si grand. J'ai adoré ce moment-là. Ça valait la peine", explique-t-il.

Les différentes méthodes pour rester vivant

Daniel Rye Ottosen raconte qu'il a commencé à se parler à lui-même et "à élaborer des projets dans sa tête. J'alternais entre de bons et de mauvais moments. Il y a eu un jour où je pensais : "Je ne vais pas survivre". J'ai essayé de m'échapper en tentant de me pendre mais j'ai été sauvé par les gardiens. Ils m'ont dépendu et m'ont dit qu'ils ne voulaient pas me tuer. Je suis allé jusqu'à un point de non-retour mais après j'ai retrouvé mes esprits", explique-t-il.

Pour Federico Motka, il fallait "établir une routine et jouer le jeu. J'ai été conduit dans une cellule plongée dans le noir avec juste des toilettes. Pendant trois semaines j'étais totalement seul, j'arpentais ma cellule en bavardant silencieusement avec mes parents et ma sœur. Quand j'ai rejoint les autres otages, notre seule manière de conserver un peu de dignité était d'essayer de rester aussi propre qu'on le pouvait. Nous avions les mains menottées dans le dos pendant la nuit et menottées devant dans la journée, explique-t-il. Ils ne les enlevaient que pour que l'on puisse laver notre tee-shirt et nos aisselles avec un peu d'eau quand on empestait trop. J'ai conservé les mêmes vêtements pendant plus de quatre mois. Rester propre, c'était devenu mon obsession", dit-il.

Des jeux pour tuer le temps

Didier François dissimulait dans une écharpe de coton des pièces d'échecs fabriqués à partir de boites de Vache Qui Rit. "Nous avons beaucoup joué aux échecs", dit-il.  Pierre Torres raconte qu'ils organisaient des conférences et des jeux et qu'ils faisaient du sport. Il a donné une conférence sur la fabrication du fer.

Federico Motka explique qu'ils utilisaient des couvertures pour faire un bateau et qu'il tentait d'expliquer le travail des voiles pour faire avancer les bateaux. Un autre otage a même donné une conférence sur la manière de pêcher la carpe.

Daniel Rye Ottosen a, quant à lui, donné une conférence sur la plongée sous-marine avec un morceau de papier et un peu d'eau. "Je me souviens que mon cerveau avait soif de connaissances. Je voulais parler de n'importe quoi pourvu que cela se rapporte au monde réel", dit-il. Federico Motka explique qu'ils avaient un autre jeu, surnommé le loup-garou ou la mafia : "Cela consistait à construire une intrigue et à distribuer les différents rôles". Ils ont également confectionné un jeu de dames avec des noyaux d'olives et des dattes.

Une idée fixe : la nourriture

"Nous avons été obsédés par la nourriture qui faisait partie de nos longues discussions, explique Daniel François. Chaque soir, nous avons essayé d'imaginer un menu comprenant le dessert absent du jour. Quand je suis sorti, mon premier repas  m'a été offert par l'équipe du renseignement français. Ils ont ouvert les boîtes de cassoulet, accompagnées des bières. C'était génial", se remémore-t-il. Daniel Rye Ottosen raconte que leur rêve était d'être libérés ensemble et de se rendre dans un hôtel pour partager un buffet. "Nous avons beaucoup parlé du buffet et de ce qu'il y aurait dessus", dit-il.

Des liens indéfectibles

"Entre otages, nous avons conservé un lien très fort, explique Didier François. Vous ne pouvez pas vivre ce que nous avons traversé sans garder quelque chose. Même les mauvais moments. Lorsque nous nous rencontrons nous partageons des choses que vous ne pouvez pas partager avec quelqu'un d'autre. C'est très important", dit-il.

Ces hommes se sont entraidés, jour après jour. Malgré les tortures physiques et psychologiques pour tenter de les briser, ils ont surmonté ces douloureuses épreuves en conservant une cohésion de groupe.

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