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Et pendant qu'on vous parle de la concurrence Hollande Mélenchon, voilà LA vraie bombe des sondages : plus de 50 % des Français sont désormais prêts à voter pour des candidats eurosceptiques
©Reuters

Franxit ?

Avec plus de 50% des intentions de vote, les candidats à la présidentielle qui prônent un certain euroscepticisme ont franchi un cap. Mais si le thème est porteur, c'est surtout parce qu'il catalyse d'autres mécontentements plus généraux, comme celui de l'incapacité des partis de gouvernement à proposer une alternative viable.

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le dernier sondage TNS Sofres (ici) montre le renforcement d'un courant d'opposition qui s'affiche comme eurocritique, eurosceptique ou anti-européiste : les trois principaux candidats de cette contestation, Jean-Luc Mélenchon (autour de 13%), Nicolas Dupont-Aignan (autour de 9%) ou Marine Le Pen (autour de 29%) représentent-ils la France qui ne croit plus en l'Europe aujourd’hui ?

Dominique Reynié : Ce résultat émane d'un sondage ; ce n'est pas péjoratif, mais on manque de données solides ; l'enquête agrège des opinions et des humeurs très différentes. On ne peut pas mettre sous la même bannière anti-européenne des formations qui sont clairement hostiles à l'Union européenne comme le Front National ou Debout La France et des formations comme le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon qui est favorable au maintien dans la zone euro.

Sur l'Europe, attention aux postures médiatiques qui tiennent plus de la mise en scène pour des raisons liées à la compétition médiatique et électorale que d'une véritable doctrine. Les postures contestataires ne correspondent pas toujours à des programmes révolutionnaires. Ils savent l'état de l'opinion ! Les Français sont globalement pour le maintien dans la zone euro et dans l'Europe. Certes, une partie des Français n'est pas satisfaite par l'Europe, mais ils le sont moins encore par l'Etat, le Président, les partis, etc. Les institutions en général suscitent un scepticisme marqué. En témoigne d'ailleurs aujourd'hui la popularité de nos gouvernants.

L'euroscepticisme d'une partie de l'opinion existe sans doute, mais pas plus que ce sentiment de rejet de nos gouvernants que je qualifie de "stato-scepticisme".  Il faut savoir l'état de délitement politique dans lequel se trouve notre pays où, du point de vue de l'opinion, à peu près rien ne va, que ce soit l'éducation, la sécurité, l'emploi, la croissance, les finances publiques ou les collectivités territoriales. Pour les Français, la gauche est aux commandes et n'arrive à rien ; la droite se cherche un candidat...

Christophe BouillaudEn réalité, il faudrait préciser que chacun de ces possibles candidats à l’élection présidentielle de 2017, s’ils ne croient plus en l’Union européenne tel qu’elle est aujourd’hui, propose sa propre version de l’Europe souhaitable. Aucun de ces candidats ne prône en réalité si on les écoute un tant soit peu l’isolement total de la France vis-à-vis de ses voisins européens. Il faut rappeler par exemple que, tout en appelant à la fermeture des frontières, Marine Le Pen a beaucoup investi ces dernières années dans la construction d’une vraie convergence politque des extrêmes droites européennes – au sein du Parlement européen comme en dehors de ce dernier. Ces trois candidats croient donc toujours à l’Europe, mais ils croient tous les trois à une "autre Europe" que celle qui existe actuellement. 

Par ailleurs, cette tendance à vouloir une autre Europe se retrouve dans tous les discours partisans contemporains sans exception, y compris parmi les dirigeants des partis les plus favorables au projet européen, chez EELV ou au Modem par exemple. Personne ne se risque à affirmer devant les Français que l’Europe peut continuer longtemps ainsi. Un Emmanuel Macron vient lui-même de le dire. Du coup, il n’y a pas nécessairement un recouvrement parfait entre les électeurs qui veulent vraiment que l’Europe change d’une façon ou d’une autre et l’électorat de ces seuls trois leaders. Cependant, il est certain que ce sont ces trois leaders qui tiennent actuellement dans l’espace médiatique les discours les plus critiques de l’Europe telle qu’elle est. 

Cependant les raisons de déclarer vouloir voter à la présidentielle pour tel ou tel candidat que vous citez ne se résument pas à leur attitude vis-à-vis de l’Union européenne. Par exemple, le vote possible pour Marine Le Pen tient avant tout à une explication du monde qui met les étrangers, l’extérieur, et bien sûr l’immigration à la source de tous les maux du pays. Dans ce cadre, l’Union européenne n’est dans le fond qu’un débat accessoire. La nation est menacée, et l’Union européenne dans sa forme actuelle n’est que l’une des plaies qui l’afflige. C’est assez semblable pour N. Dupont-Aignan, même si, pour son électorat, la question européenne est sans doute plus centrale, parce que la filiation gaulliste/souverainiste sous-tend tout son discours de sauvegarde de la nation. Enfin, si l’on est attiré par le discours de J.-L. Mélenchon, c’est sans doute plus pour son côté social, voire révolutionnaire, que pour ses diatribes contre l’Union européenne. Pour la plupart des électeurs, l’Union européenne n’est pas intéressante en elle-même, la vision qu’on en a est filtrée par d’autres considérations.

Qu'est-ce qui explique cet attrait pour des hommes politiques aux positions anti-Europe aujourd'hui ? S'agit-il d'une véritable aversion pour l'Europe ou d'une aversion plus systémique et générale pour la réalité politique ? 

Dominique Reynié : Très franchement, depuis quand n'a-t-on pas entendu notre classe politique défendre une vision pro-européenne ? Personne n'assume plus de tels propos, hélas ! Dans les partis de gouvernement, à droite comme à gauche, on le sait, l'Europe est devenue la cause de tous nos malheurs. Dites "'Europe" et toutes vos responsabilités seront effacées, dissimulées à tout le moins, comme par magie. Nos gouvernants ne défendent pas l'Europe. Ils adoptent au mieux une attitude ambivalente ; au pire, ils se livrent à une critique en règle, comme si l'Europe n'était pas le résultat de leur action, ou de leur inaction. Imaginant plaire à l'opinion, ils dénoncent l'Europe ou demeurent silencieux devant les critiques dont elle est l'objet.

En réalité, les gouvernants qui accablent l'Europe pour dégager tout ou partie de leurs responsabilités, s'accablent eux-mêmes, car nul n'ignore qu'ils ne défendent pas ce qu'ils ont construit et qu'ils pratiquent tous les jours. Une partie de l'opinion y voit une forme de lâcheté, une autre partie repère la dimension tactique, le jeu politicien. La duperie ne prend pas, mais ces ruses et ces retournements ne sont pas de nature à rassurer les Français sur la capacité de leurs gouvernants ni à conforter leur autorité.

La majorité est aujourd'hui engluée dans un pouvoir et n'est plus capable de la moindre efficacité. Toutes les réformes sont abandonnées les unes après les autres. Dans le même temps, l'opposition, se concentre sur la primaire, donnant immanquablement l'impression de s'opposer à elle-même. La majorité ne gouverne plus, l'opposition ne s'oppose plus, les Français vont penser que personne n'est à son poste, qu'il y a une vacance de tous les pouvoirs. A l'Elysée, symboliquement, le pouvoir est vacant ; dans l'opposition, le pouvoir de remplacer le président actuel n'a pas encore été attribué. Il est donc logique qu'une partie de l'opinion se rallie aux candidatures déclarées qui ne dépendent pas d'une primaire : Mélenchon à gauche, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan à droite. Mais quand les socialistes et les républicains auront leur candidat, en novembre, les résultats des enquêtes d'opinion seront différents. Ce n'est pas contre l'Europe que les personnes interrogées par les sondeurs répondent Dupont-Aignan, Mélenchon ou Le Pen, c'est contre l'indétermination des candidatures principales, à gauche comme à droite. 

Christophe BouillaudIl me semble qu’il existe en réalité un lien entre aversion pour l’Europe et une aversion plus systémique pour la réalité politique du présent. Il faut bien constater, en France, mais aussi ailleurs en Europe, la montée en puissance d’une opposition entre les partis de gouvernement (socialistes, libéraux, conservateurs, démocrates-chrétiens) qui sont nécessairement mouillés jusqu’au cou dans les affaires européennes - même s’ils font semblant de ne rien décider à Bruxelles ou s’ils critiquent eux-mêmes les diktats ou l’inaction de Bruxelles - et les autres partis (extrême-gauche et extrême-droite) qui n’ont pas participé aux gouvernements des 50 dernières années ou qui l’ont fait dans un rôle mineur et qui donc n’ont pas de passif bruxellois à faire oublier aux électeurs. Une frange croissante de l’électorat se détourne donc des partis de gouvernement traditionnels et s’intéresse à des offres partisanes, nouvelles ou anciennes, qui ont le mérite de ne pas être responsable de la situation actuelle ni en France ni en Europe.

L’un des  grands avantages concurrentiels du FN n’est autre que son extériorité aux responsabilités passées du gouvernement de la France-  et donc de l’Europe.  La même chose vaut pour N. Dupont-Aignan, qui a toujours été souverainiste, ou dans une moindre mesure pour J.-L. Mélenchon, qui a quitté le PS depuis quelques années maintentant. 

Un candidat comme Nicolas Dupont-Aignan, en progression réelle depuis les élections régionales, pourrait-il imposer la question de la souveraineté dans le débat présidentiel ? Quels Français représente-t-il aujourd'hui ?

Christophe Bouillaud : Les élections régionales avaient effectivement été celles d’un beau score pour les listes de "Debout la France", mais je vois mal comment ce petit parti au leader peu connu du grand public pourrait imposer à lui seul le débat sur la souveraineté. Il me semble aussi que son fondement néo-gaulliste, pour sincère qu’il soit, ne peut motiver que la minorité de Français qui se rappelle ce que fut le gaullisme ou qui l’a appris lors de ses études. Il faut ajouter que N. Dupont-Aignan est tenu par cette histoire qu’il revendique lui-même de rester un homme politique aux propos rationnels. "Ni système, ni extrêmes", comme dit le slogan de ce parti, cela veut dire aussi qu’on s’interdit de faire du "Trump" pour percer dans l’électorat de droite. De fait, son électorat restera réduit tant que les Républicains entretiendront une savante ambiguïté sur l’Europe. 

Qu'est-ce que les Français attendent de l'Europe aujourd'hui ? Peut-on imaginer qu'ils envisagent, comme les Anglais, que leur intérêt soit en dehors de l'Europe ?

Dominique Réynié : Il n'existe pas à ce jour en France un désir majoritaire de quitter l'Union ni même l'euro. Loin de là, c'est parce que les Français attendent beaucoup de l'Europe, qu'ils sont déçus. Ils sont déçus non par l'idée européenne mais pas l'Europe qui n'accomplit pas l'idée européenne. Ils veulent que l'Europe assure un pouvoir dimensionné pour résister aux effets négatifs de la globalisation et réussir à saisir les opportunités nouvelles qu'elle offre. Les Français attendent de l'Europe une force de protection et une capacité de projection. Ils savent que nos nations européennes sont petites ou moyennes, mais qu'elles ne sont plus de grandes nations capables d'affronter seules les défis du nouveau siècle. Ils savent que c'est à travers une puissance publique supplémentaire, l'Europe, que la France parviendra à préserver et à promouvoir ses intérêts et ses valeurs.

Chritophe BouillaudPour l’instant, il y a toujours une majorité de Français pour considérer que la France est mieux dans l’Union européenne qu’en dehors et surtout mieux dans l’euro qu’en dehors. Je ne crois pas que l’euroscepticisme britannique puisse être un véritable modèle pour comprendre ce qui se passe dans l’opinion publique française. En effet, le rapport des Britanniques à l’Europe puise ses racines dans une vision culturelle de longue période – sur l’insularité en particulier – qui ne correspond pas aux inquiétudes françaises, même si des éléments de ressemblance existent, sur l’immigration par exemple. La France par définition est au cœur de l’Europe quel que soit le sens qu’on donne par ailleurs à l’Europe. Par contre, je le répète, les Français les plus intéressés à la politique, les plus militants,  sont très sensibles à tous les discours, pro-intégration ou anti-intégration d’ailleurs, qui leur promettent que l’Union européenne ou une "Autre Europe" peuvent mieux faire que la situation actuelle. En réalité, personne n’envisage sérieusement que la France prenne le large, nous ne sommes pas une île, mais personne ne veut se laisser aller à croire que cela peut durer ainsi. 

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