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Mediawan : l’arme idéologique au-delà du projet économique du trio Niel-Pigasse-Capton
©Reuters

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Mardi 12 avril, Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton ont officiellement lancé Mediawan, groupe dont l'ambition est de devenir leader européen des contenus audiovisuels. Au-delà de l'intérêt financier du projet, c'est une vision d'avenir partagée qui a poussé ces trois hommes à s'associer.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Atlantico : Depuis mardi 12 avril, les souscriptions au nouveau projet d'investissement dans les médias, Mediawan, sont ouvertes. De quoi s'agit-il exactement ? 

Pascal-Emmanuel Gobry : Le trio Niel-Pigasse-Capton a opté pour un procédé nouveau pour eux, même s'il est relativement répandu dans le monde de la finance : une "special purpose acquisition company". En clair, une entreprise qui n'est qu'une coquille vide va lever de l'argent en bourse aux fins d'acheter une autre entreprise. Les fonds d'investissement pratiquent parfois cela afin de diversifier leurs sources de financement. Comme pour toute introduction en bourse, les premiers "lots" d'actions sont vendus à des investisseurs institutionnels à la suite d'un "road show" où le projet leur est présenté, et ceux-ci les revendent ensuite sur le marché coté. Au départ, le groupe devait s'appeler Media One, il a été finalement nommé Mediawan. En l'occurrence, Mediawan cherche à lever 250 millions d'euros. Avec l'effet de levier (en clair, de la dette), l'entreprise pourrait viser jusqu'à 1 milliard ou 1,5 milliards d'euros d'acquisitions. 

L'ambition des trois hommes est clairement affichée : créer un groupe de médias d'envergure mondiale. D'ailleurs ils le disent clairement : dans leur prospectus, l'intention est affichée de créer un groupe autour de la première "pépite" achetée par Mediawan. Et il va falloir y aller : Mediawan est obligée de dépenser 75% de ses fonds sous 24 mois, ou l'argent est rendu aux actionnaires.

Quelle est la nature de leur projet ? Mediawan pourrait-il permettre à la France de rivaliser avec les pays anglo-saxons dans le domaine des contenus audiovisuels ?

L'idée d'un grand groupe français de médias d'envergure mondiale est un rêve qui existe depuis longtemps. C'était le rêve notamment de Jean-Marie Messier avec Vivendi et d'Arnaud Lagardère ; et, dans le cinéma, de Luc Besson avec EuropaCorp et la Cité du cinéma. Et c'est visiblement l'ambition des trois hommes. Il y a notamment eu des rumeurs selon lesquelles ils voudraient racheter Lagardère Active (Doctissimo, Europe 1, RMC, Réservoir Prod, Paris Match, JDD, Elle et bien d'autres...). 

Ils pourraient aussi potentiellement s'inspirer de la stratégie de grands groupes européens tels Axel Springer ou Schibsted, qui utilisent leur fond de commerce dans la presse pour se diversifier sur Internet. Ainsi, Axel Springer, grand groupe allemand, a racheté SeLoger.com et Business Insider. Schibsted, groupe de presse suédois, est aussi le créateur du très rentable Leboncoin. Il y a également eu des rumeurs selon lesquelles ils voudraient créer une sorte de "Netflix européen", ou regarderaient les actifs médias d'Europe du Sud, sous-évalués. 

Quoi qu'ils en pensent en leur for intérieur, les trois hommes disent en public qu'ils seront opportunistes et qu'ils n'ont pas encore de cible précise en tête. Selon le prospectus, il devra s'agir d'un "acteur majeur" du secteur du contenu ou de la production audiovisuelle. 

Au-delà des considérations purement économiques, quel est le projet, la vision d'avenir des trois investisseurs ? Sur quelle idéologie reposent-ils ? Quelles en sont les implications politiques et sociales dans les années qui viennent ?

Les trois hommes sont différents. Je ne les connais pas mais leurs profils sont parlants. 

Pierre-Antoine Capton est un entrepreneur. Il a créé son entreprise de production télévisuelle, qui a réussi à se hisser à un beau rang. Il sera le dirigeant opérationnel de Mediawan. L'opportunité pour lui est énorme. 

Pour Xavier Niel, le fait d'investir dans les médias s'inscrit dans une grande tradition française. Les grands groupes et "tycoons" français, depuis des décennies, investissent dans les médias pour des raisons politiques. La liste est connue et longue : Bouygues et TF1, Bernard Arnault et Les Échos, Serge Dassault et Le Figaro, Jean-Luc Lagardère à l'époque où son groupe était à moitié dans la défense et à moitié dans les médias. Parfois pour peser dans le débat politique, parfois pour obtenir de l'influence et des avantages pour son groupe. Mais parfois tout simplement pour se protéger d'un État qui, en France, peut du jour au lendemain décider de taper sur l'activité d'un grand groupe sans réelle raison. Xavier Niel a souffert de ne pas être du "cénacle" d'énarques et polytechniciens dont sont d'habitude issus les capitaines d'industrie, personnellement mais également du fait des barrières réglementaires que l'État a essayé de placer en face du groupe Free. Depuis son rachat du Monde, Niel a acheté sa place dans l'establishment français. Ensuite, investir dans les médias, ça devient addictif. Après Le Monde, il y a eu l'Obs. Et étant donné que Niel voit tout en grand, Mediawan semble, a posteriori, logique. 

Pour ce qui est de Mathieu Pigasse, c'est celui des trois qui a l'approche la plus idéologique. L'homme se revendique de gauche (alors que Niel se revendique apolitique). Qu'on aime ou pas son profil de banquier d'affaires qui écoute du punk et déclare qu'il est rebelle parce que gagner de l'argent c'est de la rébellion, ce côté gauche caviar progressiste, version libérale-libertaire, Mathieu Pigasse n'est pas dans les médias pour gagner de l'argent. Après Le Monde, L'Obs, Les Inrockuptibles et Radio Nova, il arbore une nouvelle tentacule. Il aurait aspiré à un portefeuille ministériel si Ségolène Royal avait été élue présidente. Il est de plus passionné de presse et s'y intéresse de près, il ne s'agit pas seulement d'un pion. 

Dans un pays où les médias sont d'ores et déjà très majoritairement de gauche, voilà, il ne faut pas en douter, une nouvelle flèche dans le carquois du progressisme.

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