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Tensions sur l’héritage français ? 47% des catholiques pratiquants considèrent que la religion catholique est traitée plus sévèrement que les autres en France
©Reuters

Sonder les âmes

Un sondage exclusif IFOP pour Atlantico révèle que malgré la tempête médiatique qui s'abat depuis plusieurs semaines sur l'Eglise au sujet de la gestion des cas de pédophilie, les catholiques pratiquants sont 75% à dire qu'il est facile d'être catholique en France. Un chiffre beaucoup plus haut que les années précédentes.

Laurent Stalla-Bourdillon

Laurent Stalla-Bourdillon

Laurent Stalla-Bourdillon, 45 ans, est actuellement curé de la Basilique de Sainte Clotilde (7e) et directeur du Service Pastoral d'Études Politiques (SPEP), enseignant au Collège des Bernardins et à l'Institut Supérieur de Formation de l'Enseignement Catholique d'Ile-de-France.

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Philippe  Levillain

Philippe Levillain

Philippe Levillain est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris X-Nanterre, membre du Comité pontifical des Sciences.

 

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Jérôme Fourquet, vous avez réalisé pour Atlantico un sondage sur la manière dont les catholiques évaluent la facilité d’appartenir à cette religion en France de nos jours, comment elle est traitée dans la société, ainsi que sur la manière dont ils jugent la défense des valeurs du catholicisme par le Pape. Quels sont les enseignements majeurs qui ressortent de votre enquête ?

Jérôme Fourquet : Rappelons d’abord le contexte dans lequel cette enquête a été réalisée. L’actualité est marquée depuis plusieurs semaines par différentes polémiques concernant des cas de pédophilie au sein de l’Eglise catholique impliquant des prêtres. Le cardinal Barbarin a été particulièrement attaqué par une intense campagne médiatique pour sa gestion des affaires ayant eu lieu dans son diocèse.

Nous nous étions donc fixés comme objectif dans cette enquête de déterminer la manière dont le peuple catholique en France réagissait à ce contexte.

A l’instar des résultats d’autres enquêtes conduites par le passé, on observe d’abord des différences sensibles d’opinion entre les catholiques pratiquants et les catholiques non-pratiquants. Je pense qu’il est particulièrement intéressant de focaliser son attention plus particulièrement sur les catholiques pratiquants qui, sur ce genre de sujets, constituent le "cœur battant" de la France catholique et sont les plus impliqués dans la société en tant que catholiques.

On peut remarquer trois points saillant dans les résultats de cette enquête : tout d'abord que malgré le climat assez difficile pour l'Eglise actuellement en France, les catholiques semblent faire bloc. En effet, les pratiquants sont 75% à déclarer qu'il est facile, voire très facile, d'être catholique en France. Il y a un an, en mars 2015, ils n'étaient que 61% à répondre dans ce sens, alors même que le climat médiatique et politique à leur égard était à l'époque apaisé.

Deuxième point, les catholiques pratiquants estiment à 47% (une majorité relative) que leur religion est plus durement traitée que les autres.

Troisième point remarquable de l'étude : le fait que le pape François remporte un large jugement favorable (64%) de la part des catholiques dans leur ensemble, et particulièrement des pratiquants (76%) dans sa manière de défendre les valeurs du catholicisme.  

Atlantico: Père Laurent Stalla-Bourdillon, ce sondage montre que les catholiques pratiquants sont une grande majorité (75%) à estimer qu'il est facile, voire très facile, d'être catholique aujourd'hui en France. C'est entre 11 et 12 points de plus qu'en octobre 2014 et mars 2015. Ils sont même plus nombreux à avoir cette opinion que les non-pratiquants (71%). Votre rôle d'aumônier des parlementaires fait de vous un observateur de premier plan de la société française. Quel est votre sentiment sur le sujet ? Comment expliquer cette progression ? Vous semble-t-il plus facile d'être catholique en France en ce moment qu'il y a un ou deux ans ?

Père Laurent Stalla-Bourdillon : Ce résultat pourrait sembler réjouissant à première lecture : il donnerait un signal positif quant à la tolérance de la société en vers ceux qui sont catholiques et il semble indiquer que vivre selon la foi au Christ est une chose facile. Les catholiques semblent avoir confiance. Or, cette progression dit autre chose que je relie à deux phénomènes : d’une part, à la perte croissante de la juste appréciation de ce qu’est la foi catholique (par des "catholiques" eux-mêmes). Se dire "catholique" va de paire avec une libre expression de ses choix personnels et une prise de distance avec l’instance normative. D’autre part, ce chiffre exprime la volonté de s’autoriser à rompre sans crainte avec l’uniformité du système de pensée qui a gouverné notre société ces 20 ou 30 dernières années. Se dire catholique n’est plus une tare, c’est le gage d’une authentique décision de répondre avec sérieux au sens de la vie, de la mort, du bien commun…

La combinaison des deux phénomènes conduit à une affirmation de l’identité catholique comme une nouvelle autonomie d’appréciation de choix personnels.

Cela sous-entend que l’on pourrait être catholique sans nécessairement aller au fond des choses, au cœur de la foi et de ses conséquences dans la vie concrète. Le sentiment d’appartenance des chrétiens à "l’Eglise catholique" a beau être réel comme le sondage le montre, cela s’accompagne d’une prise de distance sérieuse avec les principes qui hier encore gouvernaient la vie concrète. Ce chiffre indique un probable renversement par rapport à la perception de l’identité catholique depuis des années : aujourd’hui être "catholique" devient "exercer sa liberté".  

Pour une personne de confession catholique, la pratique du culte à l’église se prolonge logiquement dans une pratique de l’écoute, de l’accueil, du don gratuit dans la vie quotidienne. Pratiquer à l’église et pratiquer dans la vie sont les deux faces d’une même réalité. Or, il n’a jamais été facile d’écouter, d’accueillir et de donner. Seule une bonne intelligence du message chrétien y engage. Il faut comprendre pour agir. Si les catholiques défendent la liberté de conscience pour tous, ils se l’appliquent à eux-mêmes.

Qui voudrait être catholique aujourd’hui quand on sait ce qu’il peut en coûter, ici ou ailleurs dans le monde ? Il demeure que 28% des personnes sondées estiment qu’il reste difficile d’être catholique. C’est toujours dans la cohérence entre la foi et les actes qu’apparaît la véritable exigence d’une vie chrétienne.

Au fond, ce chiffre de 75% s’inscrit dans la tendance globale de l’affirmation des identités religieuses. Il signifie que désormais les identités religieuses sont de retour pour participer à la composition du visage de la société.

Comment expliquer que les catholiques non-pratiquants soient moins nombreux que les pratiquants à trouver facile le fait d'être catholique en France ? En effet, 71% des non-pratiquants disent qu'il est facile d'être catholique en France et 17% que c'est "très facile", contre respectivement 75% et 28% chez les pratiquants.

Jérôme Fourquet : Ce phénomène s'explique selon moi de plusieurs manières. Tout d'abord, alors que l'Eglise est particulièrement attaquée en ce moment, les catholiques pratiquants font bloc et réaffirme leur identité en affirmant qu'il est facile d'être catholique en France, dans une démarche quasi militante. Ce réflexe de protection est logiquement moins fort chez les catholiques moins engagés dans l'Eglise, moins pratiquants. Pour eux qui ont un rapport plus distendu à la religion catholique, ces attaques ont moins d'effet. Leurs réponses sont donc plus atténuées, ils répondent plus largement qu'il est "assez facile" (54%) d'être catholique (contre 47% chez les pratiquants). Les catholiques non-pratiquants sont ainsi également plus nombreux que les pratiquants à dire que la société les traite moins sévèrement que les autres religions (6 points de plus).

On constate que les catholiques pratiquants sont 47% à estimer que leur religion est plus sévèrement traitée que les autres en France, contre 35% qui pensent qu’elle est traitée comme les autres religions. C’est beaucoup plus fort que dans l’opinion moyenne des Français qui ne sont que 25% à penser que la religion catholique est traitée plus sévèrement et 46% qu’elle est traitée comme les autres. Qu’est-ce que ces chiffres révèlent ?

Jérôme Fourquet : Quand on leur demande si les catholiques bénéficient d’un traitement de faveur ou si au contraire on est plus sévère vis-à-vis de l’Eglise catholique que des autres religions en France, les Français sont très partagés : 46% considèrent qu’on les traite de la même façon ; quasiment la même proportion estime qu’on les juge plus sévèrement (25%) et moins sévèrement (29%). C’est donc très équilibré au plan global.

Néanmoins, les choses se précisent très clairement quand on analyse les résultats selon l’appartenance religieuse et le degré de pratique : 47% des catholiques pratiquants (une majorité relative) dit "nous sommes traités plus sévèrement", 18 % disent "moins sévèrement", et 35% "de la même façon".  On retrouve bien là aussi une logique de protection et de défense des catholiques pratiquant qui font bloc avec leur institution qu'ils estiment attaquée avec une dureté excessive, en raison du fait qu'il s'agit de l'Eglise.

Chez les non-pratiquants, 33% disent que les catholiques sont traités "plus sévèrement" et 43% "de la même façon". Il y a un vrai différentiel entre les deux groupes. Et chez ceux qui sont sans religion ou adeptes d’une autre religion, le score descend encore à 15% pour "plus sévèrement" au profit de ceux qui disent "moins sévèrement" ou "de la même façon". Le regard est donc très différencié selon le degré d’implication dans la foi catholique.

Les plus pratiquants sont quasiment 1 sur 2 à estimer qu’ils sont systématiquement moins bien traités que les autres religions. Il y a un sentiment de discrimination qui se renforce et qui est, selon moi, beaucoup plus répandue en cette période où l’Eglise catholique est sous le feu de la critique.

Père Laurent Stalla-Bourdillon, partagez-vous cette opinion de 47% des catholiques pratiquants ?  Pourquoi selon vous un nombre important de catholiques estiment que leur religion fait l'objet d'un traitement de "défaveur" ? Et comment expliquer le fait qu'ils jugent malgré tout qu'il est facile d'être catholique en France ?

Père Laurent Stalla-Bourdillon : Si les catholiques pratiquants estiment être traités plus sévèrement, c’est aussi parce que la société de son côté n’entend pas laisser émerger les identités religieuses. Elle n’entend pas se laisser dicter d’autres principes que celles qu’elle se donne. Les catholiques pratiquants ressentent la difficulté d’être reçus dans la société. Ils peinent à exprimer en quoi ce qu’ils croient, est au bénéfice de tous.

Ces catholiques qui se sentent moins bien traités que d’autres religions disent que la laïcité – la neutralité de l’Etat – a gagné la société qui se voulant elle aussi neutre, n’admet pas leur expression religieuse.

Et si les catholiques ont le sentiment d’être plus durement traités, c’est parce que nous sommes dans une période où la société tend à regarder le "passif du passé". L’apport du christianisme au développement des peuples est globalement ignoré, même si tant d’aspects de nos vies et de notre organisation procèdent directement des apports du christianisme. En cela, les catholiques pratiquants ne se sentent pas reçus.

Il n’est pas déplacé de dire que ni la sphère politique, ni la sphère médiatique n’ont perçu la nécessité de faire droit à la richesse de l’héritage chrétien. Ainsi, les catholiques pratiquants ressentent une profonde ingratitude alors qu’ils s’efforcent de conserver au bénéfice de tous les acquis du christianisme. Ces acquis fondent pourtant notre devise républicaine. Notre époque veut les fruits sans considération pour les racines qui les rendent possibles…

Quelles sont les différences de traitement que l'on peut effectivement constater entre le catholicisme et les autres religions pratiquées en France ? 

Père Laurent Stalla-Bourdillon : Il faudrait préciser et distinguer le traitement politique du catholicisme et son traitement médiatique. Les deux ne se recouvrent habituellement pas. Votre question induit un jeu concurrentiel du traitement des religions avec le sous-entendu que les catholiques seraient moins bien traités, légitimant ainsi leurs plaintes.

Jusqu’où peut-on dire que les catholiques sont victimes d’un traitement plus défavorable ? Certes, les actes de malveillances contre les églises sont nombreux et peu médiatisés. Certes, les remarques blessantes à l’égard des catholiques semblent incessantes, certes la volonté d’effacer la visibilité de l’héritage chrétien est récurrent à travers les débats sur les crèches à Noël, sur les sonneries des cloches, mais nous sommes loin des tensions et des violences du XIXème siècle. Les attaques se retournent généralement contre ceux qui les lancent.

Il y aura toujours matière à se plaindre, mais quels avantages gagneraient les catholiques à entrer dans la spirale de la victimisation ? Le fait est que la société s’est peu à peu affranchie des repères anthropologiques qui inspirent la représentation chrétienne de la personne humaine et de la vie en société. On peut s’en désoler, mais c’est un fait que les majorités législatives successives n’étaient plus inspirées par l’héritage chrétien.

Le pape François ne cesse de dire qu’un catholique est d’abord établi comme le témoin d’une force d’amour, seule à même d’unir et de guérir les fractures d’une humanité meurtrie par les haines et les bains de sang qui se succèdent sans que l’on parvienne à arrêter l’hémorragie et établir la paix. La dernière chose qu’un catholique puisse demander serait un traitement de faveur de la part de l’Etat ou de la société civile. Aussi éprouvantes que soient les vexations que les catholiques endurent, l’Eglise catholique n’attend pas de satisfecit de l’Etat, ni de la sphère médiatique. Elle sera là aujourd’hui et demain pour offrir son expertise et travailler à l’édification de la société. Les catholiques ne se lamentent pas sur leur sort, mais s’interrogent sur la fragilisation constante des fondements de la société. Ils ne demandent sans doute rien d’autre que la juste reconnaissance de l’apport spirituel et culturel chrétien, que l’Etat garde sa neutralité, et que l’héritage culturel soit enseigné aux jeunes générations. Il va de soi que le déni de l’histoire reste une cause de préoccupation pour l’avenir.

Autre point : inévitablement, le traitement politique et médiatique de l’islam occupe une surface plus importante compte tenu des questions nouvelles que les Français de confession musulmane semblent poser à nos élus. Les élus, comme les médias, seront en peine d’y apporter des réponses satisfaisantes tant que la signification même de l’islam dans l’Histoire ne sera pas posée. Et je pourrais ajouter de la même façon la signification du peuple juif, et celle du christianisme. Nous manquons cruellement d’une vision théologique de l’Histoire. Or, l’actualité internationale nous fait de plus en plus l’obligation d’élargir nos horizons de réflexions et interroger nos propres croyances.

Enfin, jouer de la comparaison de traitements réservés à chaque religion constitue à mon sens un danger : il poserait le principe, à priori, que les religions sont identiques et pourraient  être alignées purement et simplement sur un même plan. Pourquoi faudrait-il un même traitement à l’égard de ce qui est différent ? Mais précisément, les médias ne savent plus distinguer les religions quant au fond. Ils se contentent de la forme extérieure : le vêtement, les aliments, les pratiques de la prière. Il faudra aller plus avant pour ne pas rester embourber dans un "religieusement  correct" : ainsi du "ramadan" et du "carême" qui sont abusivement comparés et qui ressortent de deux logiques radicalement différentes ; ainsi des interdits alimentaires qui n’existent pas dans le christianisme, de la relation aux textes sacrés, etc… Seul un effort collectif consentit dès l’école permettra à tous, croyants et non-croyants, politiques, journalistes, enseignants, élus locaux d’apprécier à leur juste mesure les questions que posent les religions dans notre modernité. 

Philippe Levillain: Le catholicisme a, depuis la Révolution, toujours été considéré comme l'ennemi à abattre. Les autres religions, elles, ont été tolérées depuis en raison de la liberté religieuse. L'anticléricalisme est dirigé contre l'excès de présence de l'Eglise catholique en France. Les protestants sont bien traités, de même que les juifs qui sont par ailleurs très respectés, et les musulmans, comparativement aux catholiques en raison de l'émergence en France d'un nouveau phénomène venu suppléer l'anticléricalisme : l'antichristianisme. L'antichristianisme tire ses fondements du fait que la France ne tolère pas que son histoire soit rattachée systématiquement à l'Eglise catholique; de fait, les racines chrétiennes de la France ont été refusées, comme on s'en souvient. L'antichristianisme vise prioritairement le catholicisme. Il s'agit là d'une volonté de montrer qu'il existe une France laïque, républicaine, démocratique et libérale capable de dresser des frontières avec les excès de l'Eglise au XIXème siècle. Cette situation date d'un peu plus de vingt ans et qui relève d'un phénomène de crainte vis-à-vis du catholicisme.

Au quotidien, on ne perçoit pas véritablement cette différence de traitement car les églises sont gardées au même titre que les mosquées, les synagogues et les temples protestants ; le catholicisme fait donc partie de cet espace de sécurité à l'instar des autres religions en France. Sur le plan politique, les discours du pape sont pris en considération ; une vraie précaution est prise pour établir un traitement d'égalité entre les grandes autorités des autres religions en France. 

La diversité est l'un des éléments de langage les plus utilisés dans la communication et l'action gouvernementales, et notamment à l'égard des communautés religieuses autres que la communauté des catholiques. N'y aurait-il pas une politique du "deux poids, deux mesures" appliquée à l'encontre de la communauté des catholiques, au bénéfice des autres communautés religieuses ? 

Père Laurent Stalla-BourdillonJ’entends dans votre question que le recours à la notion de "diversité" permettrait habilement de noyer les spécificités de chaque tradition religieuse et de se tenir à distance de l’héritage chrétien. C’est sans doute vrai, mais, objectivement cette diversité est aujourd’hui un fait et la France n’est plus un pays monocolore d’un point de vue religieux. La couleur dominante est clairement l’indifférentisme religieux, sorte d’athéisme pratique. Ce qui est hélas occulté est l’apport inestimable du christianisme au développement du système éducatif, social et de la santé. Globalement ce que l’on appelle "les racines chrétiennes de l’Europe". Il s’en suit un sentiment d’ingratitude.

L’Etat fait face à deux problématiques différentes selon qu’il fait face au catholicisme ou à l’islam. Dans le cas du catholicisme, il entend se maintenir à bonne distance d’une communauté dont l’influence ou l’ingérence politique resterait forte. La loi de 1905, ayant posé la neutralité de l’Etat, a finalement aussi insensibilisé l’Etat à la problématique religieuse. Dans le cas de l’islam, l’Etat et les collectivités locales doivent faire l’effort de permettre aux croyants de confession musulmane plus récemment installés au regard de l’histoire, de s’approprier et de vivre selon le référentiel républicain. De ces deux approches vient le sentiment d’un "deux poids, deux mesures".

Dans tous les cas, l’Etat peine à intégrer la dimension politique du religieux et le rapport insécable entre culte et culture. Il entend s’assurer que l’identité religieuse ne prime pas sur la citoyenneté française. Selon lui, c’est en tant que Français que des musulmans, des catholiques, des juifs, des bouddhistes doivent contribuer à l’édification de la société.

Je pense personnellement que l’Etat se dévitalisera s’il ne fait pas l’effort de distinguer les citoyens de leurs doctrines religieuses. Nous avons tous la responsabilité de veiller à ne pas essentialiser les croyances : avant d’être chrétien, musulman, juif ou hindou, nous sommes tous absolument faits de la même pâte humaine. L’Etat a alors la responsabilité de poser le cadre garantissant aux traditions religieuses de contribuer au bien de la société, en servant son unité et sa fraternité. C’est à l’aune de ces deux critères que l’Etat doit agir. Mgr Vingt-Trois suggérait à la suite des attentats de novembre : "Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour que les appels à la cohésion nationale puissent se concrétiser ? En encourageant les lieux de socialisation comme l’école, la famille, les églises et les associations".

L’ignorance religieuse en France a atteint un tel degré depuis l’école jusqu’aux strates les plus élevées de l’administration, que plus personne ne s’étonne de l’emploi d’expressions telles que "les religions du Livre" pour designer les monothéismes, sans réaliser que cette expression est propre à l’islam et que jamais le catholicisme ne se considère comme une "religion du Livre", mais comme une "religion de la personne". La liste serait longue.

Si une majorité des Français gardent un lien avec l’Eglise catholique, ils pratiquent surtout des "cultes alternatifs", tel que le bien-être, l’argent, la santé, le progrès, les jeux d’argents, le divertissement… C’est dans ce domaine que le "deux poids, deux mesures" est le plus net. On communie religieusement à la prolifération des marques sur les vêtements des élèves à l’école mais on leur interdit un signe religieux. Il faudrait que nous sachions qu’il y a "culte" là où il y a un "sacrifice". Regardons attentivement ce à quoi les Français sont prêts à sacrifier de leur temps, de leur argent, et d’eux-mêmes, et nous pourrons préciser la cartographie de la diversité des cultes en France.

Depuis la Révolution, l'anticléricalisme subsiste, avec des intensités plus ou moins fortes selon les moments de l'Histoire. Peut-on considérer que cet anticléricalisme est plus fort que l'hostilité pouvant être exprimée à l'égard des autres religions ? Quelles sont les manifestations actuelles de l'anticléricalisme ? Qu'est-ce qui le fait survivre ? 

Philippe Levillain : Il convient plutôt, comme je le disais plus haut, de parler d'antichristianisme plutôt que d'anticléricalisme. Cette laïcité va de pair avec une neutralité exigeante qui fait que la liberté de conscience est laissée à la discrétion de chacun, mais également avec le fait que les églises sont protégées comme les autres lieux de culte, sans pour autant que l'Eglise catholique soit prioritaire sur les autres cultes.

Ce qui fait survivre cet antichristianisme, c'est le fait d'avoir désaxé depuis maintenant près de 40 ans les fêtes de Pâques, de s'interroger sur la réalité du lundi de Pentecôte, etc. En somme, de considérer que le calendrier chrétien est un calendrier obsolète et qu'il faut dont le faire rentrer dans les rangs. Dans le même temps, on respecte le rite des autres religions : il y a comme une mise au pas, un nivellement de toutes les religions dans un même mouvement en France. L'Eglise catholique ne doit pas avoi plus de droits que les autres Eglises : telle est la volonté affichée. 

Père Laurent Stalla-BourdillonL’anticléricalisme est coextensif à la naissance de l’Eglise catholique, il nait du souhait de contrer son pouvoir. En France, il plonge ses racines dans la volonté de substituer l’Etat-providence à l’Eglise catholique, en s’appropriant ses prérogatives en matière d’éducation, de santé et de service social. Le résultat est qu’aujourd’hui, l’Etat étouffe sous les coûts exorbitant des droits et services qu’il ne peut plus fournir là où hier la gratuité et la charité avaient toute leur place dans la société. Nous sommes surement à un tournant de notre histoire. Soit nous nous  entêtons à regimber contre la permanence de la religion catholique, à la déclasser par les forces de progrès et de modernité, soit nous décidons de nous  appuyer sur elle pour remobiliser les forces intellectuelles et spirituelles, pour nourrir la recherche du bien commun.

L’anticléricalisme visait surtout un clergé au service du peuple chrétien. Ce peuple ne se distingue pas du peuple français, lui étant uni comme un levain dans la pâte. Le clergé ne relève pas de l’autorité de l’Etat et cela reste partout dans le monde une source d’inquiétude pour tous les pouvoirs. Aujourd’hui, la crise des vocations affaiblit la prégnance du clergé dans la société. Les fidèles catholiques sont donc appelés à assumer leurs responsabilités dans la société et dès lors l’anticléricalisme se porte aussi sur eux, lorsqu’ils expriment leur conviction. L’anticléricalisme se manifeste plus facilement par le mépris et l’indifférence, sinon la caricature, le soupçon, les rumeurs. A un anticléricalisme d’opinion a succédé un anticléricalisme crasse fait d’ignorance. L’anticléricalisme est finalement proportionné à l’influence de l’Eglise catholique. La personnalité du pape François et son dynamisme susciteront nécessairement des oppositions. Au fond, cela oblige les catholiques à se renouveler pour répondre aux nouveaux défis que nos sociétés doivent affronter. Les catholiques ne relèvent pas d’une idéologie mais d’un sens de l’histoire et de la présence du Christ à cette histoire. A ce titre, rien n’altère leur confiance. 

On note également que l’ensemble des catholiques (64%) jugent très majoritairement que le pape François défend plutôt bien les valeurs du catholicisme. A cette question, Benoit XVI n’a jamais obtenu un tel assentiment. Comment l’expliquer ?

Jérôme Fourquet : Sur l’ensemble des catholiques, 2/3 d'entre eux disent que le pape défend plutôt bien les valeurs du catholicisme et 1/4 dit qu'il les défend "ni bien ni mal". Ce quart est quasiment essentiellement composé de non-pratiquants (67% contre 17% de pratiquant), ce qui montre encore une fois le rapport beaucoup plus distendu des non-pratiquants avec ce qui concerne l'Eglise.

Pour les pratiquants donc, 76% trouvent qu’il défend bien, 17% "ni bien ni mal" et 7% "mal".

Il faut également souligner qu'en trois ans, il n’y a pas eu de dégradation du jugement des catholiques vis-à-vis de leur pape.

L’autre enseignement majeur est celui du décalage spectaculaire entre la cote d’appréciation de François aujourd’hui et celle de son prédécesseur Benoît XVI qui, au plus haut de sa popularité, n’a jamais recueilli que 45% d’opinions favorables en fin de pontificat. Il est même tombé à 22% au moment des polémiques en mars 2009, soit 40 points de moins que son successeur. De plus, quasiment une majorité absolue de catholiques français (49%) estimaient qu’il défendait mal les valeurs du catholicisme.

Cette différence de popularité tient à l’image personnelle des deux hommes qui n’ont pas du tout les mêmes parcours. Le facteur humain joue énormément. Cette image personnelle est également liée à l’image que renvoie l’institution, aux combats prioritaires, et aux prises de parole en fonction de ces combats : on voit que François a à cœur de donner une image beaucoup plus humble de l’Eglise catholique, beaucoup plus proche de ceux qui souffrent et des déshérités, et il a eu l’occasion de le témoigner à de nombreuses reprises soit en direction des migrants, soit en direction des SDF, soit en direction des malades. Ces déplacements et ces attitudes apparaissent, il me semble, comme relativement sincères et c’est aussi le regard que portent les catholiques sur leur pape.

Le pape François apparait aux yeux des catholiques, et même du reste de la population, comme particulièrement sincère dans son action. Par ailleurs on constate une parfaite maîtrise de ce pape de la communication et de grandes réussites dans ce domaines. Cette communication efficace au service d'une action sincère est particulièrement appréciée.

Père Laurent Stalla-Bourdillon : En effet, la cote de popularité de François est ici confirmée : il défend bien les valeurs du catholicisme parce qu’il les incarne. Je constate aussi cette bonne appréciation auprès des élus de tous bords politiques et de différentes convictions. Cette large appréciation du pape François vient de ce qu’il restitue aux catholiques la beauté de leur foi, et sa dimension "charnelle". On touche le Christ dans les plaies de toute l’humanité. On comprend la réalité du mal en se faisant proches de ceux qui en supportent les conséquences. François rappelle que si "Dieu s’est fait homme", c’est donc "dans l’homme" que nous trouverons Dieu ! Rien de nouveau en soi, mais il veut vivre cela lui-même et y engager l’institution entière. François réforme par un retour aux fondamentaux de la foi : l’amour seul est digne de foi. Il rend à la foi catholique sa noblesse par des actes forts, et certains parviennent à s’intéresser davantage au message, à travers son messager. Autrement dit, François parle moins en théologien que Benoit XVI, et cependant il est l’exacte incarnation des discours de son prédécesseur. En ce monde saturé d’images, il sait que les gestes parlent plus forts que les paroles. En cela, il emprunte aux codes de son époque.

François rappelle que l’Eglise catholique a une fonction critique et prophétique au service du monde, et pas contre lui. C’est comme marcher sur une crête, il compte sur la prière des catholiques pour accomplir sa mission. Il reste simple et humble, deux critères que les catholiques savent reconnaître en lui.

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