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Pourquoi il est difficile de ne pas parler de "guerre" au sujet du terrorisme si l'on observe ses conséquences depuis le 11 Septembre
©Reuters

Bonnes feuilles

Pilotes de combat, officiers des forces spéciales ou commandants de sous-marin nucléaire, ces Français, Allemands, Britanniques ou Italiens ont été engagés en opérations extérieures en Afrique, en Afghanistan, dans les Balkans ou en Irak à la tête de régiments de légion étrangère, de parachutistes, d'artillerie ou de logistique (...) et ont tous mesuré la fragilité de la paix et la montée des violences. Dans cet ouvrage, ils livrent leurs réflexions, leurs interrogations, leurs convictions. La stratégie de Daesh est-elle si nouvelle ? La technologie est-elle dépassée ? Les opérations militaires seront-elles toujours plus légères ? Extrait de "La guerre par ceux qui la font - stratégie et incertitudes" dirigé par Benoît Durieux, aux éditions du Rocher 1/2

Angelo Ristuccia

Angelo Ristuccia

Angelo Ristuccia est un général de l'armée italienne. 

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Il y a pourtant quelques certitudes. Les attaques du 11 septembre à New York et Washington illustrent les interactions entre sécurité nationale et sécurité globale dans des domaines multiples, économique, social, culturel. L’usage terroriste et criminel des moyens disponibles à bas coût dans le " village planétaire " permet de générer un impact aussi dévastateur que celui d’une guerre avec un investissement limité. Si le coût des attaques du 11 septembre est difficile à établir, selon des estimations non officielles, Al-Qaïda n’a pas dépensé plus de 500 000 dollars pour commettre ce crime, tandis que les dommages infligés et les coûts de la lutte contre le terrorisme qui pèsent sur l’économie américaine se chiffrent en milliards de dollars. Au-delà de ces conséquences " locales ", l’impact sur l’économie mondiale a également été considérable. Des coûts ont été générés, par exemple, par la baisse brutale et immédiate du cours des actions, la forte baisse des réservations de places dans le transport aérien, l’augmentation des primes d’assurance pour la couverture des risques liés aux actes de terrorisme, l’adoption des mesures et des équipements de sécurité supplémentaires dans les aéroports et aux postes-frontières, la reconsidération des stratégies de sécurité dans les secteurs publics et privés, la hausse soudaine des dépenses de défense, l’augmentation des coûts des transports transfrontaliers de marchandises et des échanges internationaux, les implications importantes sur la géographie " des affaires ", c’est- à-dire la concentration urbaine de biens financiers et commerciaux vitaux, et même l’architecture des constructions abritant des industries sensibles. On pourrait également citer la réduction de la consommation et la hausse du prix de l’énergie. Sans doute la création, par l’incertitude, de distorsions dans l’allocation des ressources et la modification des habitudes des particuliers en matière de consommation, d’économie et d’investissement ne représentent pas un phénomène nouveau et n’est pas la conséquence des seules actions des groupes islamistes. Elles sont, par exemple, difficiles à isoler des conséquences d’autres actes de terrorisme récents à Madrid, Beslan, Londres, Mumbai ou Charm-el-Cheick.

Dans tous les cas, au regard des conséquences de ces actes, il est légitime de se demander si nous pouvons éviter de qualifier d’actes de guerre des actes terroristes comme ceux qui ont été perpétrés le 11 septembre. C’est le terme choisi par le président Bush le 12 septembre 2001 en visitant les lieux de l’attentat contre le Pentagone. C’est le sens de l’analyse des alliés de l’OTAN, lorsque pour la première fois dans l’histoire et en cohérence avec le concept stratégique de 1999, ils ont décidé que " s’il est établi que l’attaque contre les États-Unis était dirigée depuis l’étranger, elle sera assimilée à une action relevant de l’article 5 du Traité de Washington ". L’emploi de ce vocabulaire a pourtant suscité des interrogations : 

" L’emploi de ce mot pour désigner la lutte contre ce type de fléaux plutôt que contre un ennemi désigné a toujours été métaphorique: il symbolise, pour ceux qui l’emploient, leur mobilisation, leur refus de toute complaisance ou de tout compromis. "

La guerre a traditionnellement désigné une confrontation ouverte et déclarée entre deux États. En Europe, en particulier, elle se définit comme " limitée par le droit international et caractéristique du jus publicum europaeum ". Elle consistait en la succession de batailles et de campagnes et avait un début et une fin. Par contraste, le terrorisme désigne une conflictualité non conventionnelle caractérisée par la violence criminelle, la clandestinité et le but criminel. Le terrorisme a commencé à être assimilé à la guerre dès qu’il a commencé à représenter un danger imminent et grave pour les valeurs de la civilisation occidentale.

Cependant, dans le cas du 11 septembre, l’emploi du mot " guerre " est allé au-delà de la métaphore. Les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone, par leur soudaineté, l’ampleur des destructions et la désorganisation qu’elles ont causées, ont, pour la première fois dans l’histoire du terrorisme moderne, atteint un niveau de violence comparable à celui qu’aurait provoqué une opération de guerre.

Sans doute, on objectera que le terrorisme est un phénomène, qu’on ne peut pas livrer une guerre contre un phénomène, qu’on peut seulement combattre un parti identifiable dans un conflit et qu’il serait plus judicieux de parler de " lutte contre le terrorisme " plutôt que de " guerre contre le terrorisme ", la notion de lutte revêtant de multiples facettes. Dans ce contexte,

" la lutte qui s’est engagée au lendemain du 11 septembre 2001 est une entreprise de longue haleine, multiforme, qui implique la répression policière et judiciaire, le renseignement, l’action diplomatique et militaire. L’existence même de cette lutte démontre pourtant que le terrorisme produit des ravages aussi considérables qu’un ennemi déclaré et provoque la volonté de traiter comme tel l’ensemble de ceux qui en sont responsables ".

Face à une attaque sans précédent, et agressée sans raison explicable – selon sa rationalité –, la communauté internationale a réagi en mobilisant les moyens les plus symboliquement à même de répondre à l’intensité de l’hostilité dont elle a été l’objet : ce fut le lancement des opérations militaires en Afghanistan.

Pourtant, il est très vite apparu que cette " guerre " allait avoir des effets dépassant très largement la sanction des auteurs des attentats. La guerre s’est " installée dans les réactions politiques, mais aussi dans la stratégie et les concepts juridiques dont les États-Unis se sont servis pour mener cette lutte globale contre le terrorisme international ".

Il faut donc bien l’admettre, à partir du moment où chacun parle de guerre et utilise les moyens de la guerre, à partir du moment où les conséquences sont celles d’une guerre, il est difficile de ne pas parler de guerre. Ceci évoque l’observation de Clausewitz qui remarquait que la guerre est un véritable caméléon. C’est toujours un acte de violence organisé qui change de forme en fonction des circonstances, des acteurs et de leurs buts. Une fois la guerre engagée, les buts initiaux peuvent changer selon l’évolution positive ou négative des opérations. Le succès peut devenir un piège qui conduit à aller au-delà des objectifs initiaux. Le jeu se brouille et dans cette nouvelle partie on peut perdre le gain initial.

Général de brigade Angelo Michele Ristuccia

Extrait de La guerre par ceux qui la font - stratégie et incertitudes de Benoît Durieux, aux éditions du RocherPour acheter ce livre cliquez ici

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