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Mais où les enfants et les adolescents ont-ils appris à se servir aussi intuitivement de tous ces outils numériques qui ne les passionnent même pas vraiment ?
©Reuters

Bonnes feuilles

L’auteur analyse la manière dont la jeunesse a (sur-)investi les univers numériques, pour le meilleur et pour le pire. Il explique qu’une utilisation optimale des ressources culturelles de la Toile dépend en grande partie de l’environnement, mais aussi des « stratégies » mises en place par les adultes. Extrait de "Génération 3.0", de Pascal Lardellier aux éditions EMS 1/2

Pascal Lardellier

Pascal Lardellier

Pascal Lardellier est professeur à l'université de Bourgogne, spécialiste du couple et du célibat. Les Réseaux du coeur. Sexe, amour et séduction sur Internet (F. Bourin, 2013) est son dernier livre paru sur le sujet.

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" T’as pas le droit tu prends le gauche ! " 

Ceci n’empêche pas qu’ils sont pourtant dans une méconnaissance confondante des implications juridiques de ce qu’ils disent, postent et montrent online. Parlant assez régulièrement de ces sujets dans des collèges et des lycées, j’ai toujours été interloqué de constater qu’en effet, tout dire et tout montrer leur semblait naturel, et paraît n’avoir pour eux aucune conséquence  possible ; un peu comme si ces propos, parodiques et parfois injurieux et diffamatoires tenus sur les forums et les réseaux sociaux, comme si ces images de soi et d’autrui (prises et postées sans aucune demande d’autorisation) n’allaient avoir aucune conséquence, n’engageaient qu’eux-mêmes, allaient forcément être lues et regardées par leurs seuls proches avec du deuxième degré, sans aucune autre implication qu’un rire et puis voilà. On sait que malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. Mais ils l’ignorent, ou feignent de l’ignorer. J’ai souvent fait ce test avec des jeunes fondus de TIC : vous leur demandez quelle serait leur réaction, en surprenant un adulte en train de les observer " en douce " alors qu’ils sont sous la douche dans un club de sport. Réaction unanime, et unanimement violente et outrée : " on va dénoncer ce pédophile, on va lui casser la g…, il va passer un sale quart d’heure, etc. ".

Ensuite, je leur montre des photos juste ambiguës, tout-venant des mises en scène de soi récupérées sur des blogs adolescents et des profils de réseaux sociaux. Ambiguës ? Intéressant, d’ailleurs, de les faire réfléchir sur cette notion. Comment les photos font-elles passer de lieux publics à des lieux privés, voire intimes (chambres et salles de bain), de tenues " normales " à des tenues plus suggestives (maillots de bain, voire soutien-gorge), et de poses classiques à des poses suggestives (couchées sur des lits, enlacées…) ? Et là, c’est toujours le choc : ce qu’ils n’admettraient pas dans la vraie vie – un regard adulte sur leur corps – ils passent leur temps à l’induire en ligne. Car comme je le leur rappelle, ces images sont vues par leurs amis, directs ou indirects, mais aussi par des personnes pas forcément bien intentionnées, pour des utilisations que vous pouvez imaginer, et d’autres que vous n’imaginez même pas. En tout cas, s’il y a bien un effort à faire auprès de cette génération hyper-connectée, c’est une sensibilisation sur les implications juridiques de leurs dires et de leurs pratiques numériques.

Car des " déchets info-actifs " se baladent ad vitam aeternam sur la Toile et peuvent nuire à ceux dont ils parlent, des mois et même des années plus tard. Mais quand on s’en aperçoit, il est souvent trop tard. A l’avenant, ils alimentent systématiquement leurs exposés et travaux scolaires avec des images trouvées sur Internet. Et peu importe pour eux de connaître l’origine, l’auteur de cette image, et de s’enquérir des limites d’utilisation de ces données " pêchées en ligne ". Les enseignants s’en plaignent et sont relativement désarmés à moins de passer un temps infini à vérifier (pour certains, pas tous) les exposés qu’ils récoltent toutes les semaines. Les logiciels de repérage du copier/coller s’avèrent peu utiles face à la masse. D’ailleurs, ce qu’on dénonce et pourchasse chez les collégiens et les lycéens vaut aussi à l’Université, de la première année au troisième cycle, et même à la production de la recherche.

… et tout, tous seuls !

Il y a sans doute lieu de comprendre le stress des adultes – et déjà des parents ! – en apprenant que tout ce que leurs enfants savent faire en ligne, ils ont appris à le faire tout seuls. Peut-on invoquer là une " blessure narcissique ", dans cette dépossession, et cette impression que les choses échappent, à travers ce qu’on est dans l’impossibilité de transmettre ? Dans la même lignée de ce sentiment d’angoisse, il faut aussi rappeler que les connexions des ados se font très majoritairement " en solo ", et non encadrées par des adultes. Car quand les jeunes sont " en ligne ", il y a quelques activités accompagnées par les éducateurs et les parents, et toutes les connexions solitaires, très majoritaires. En tout cas, la proportion statistique du temps passé en " connexion solo " n’a cessé de croître, à mesure que les possibilités de connexions (wifi, 3G, 4G..) s’étendaient à l’infini. Il y a une petite dizaine d’années, il y avait un ordinateur fixe dans un lieu de passage de la maison. Cette époque est révolue.

Chacun, dans la famille, possède son smartphone et son ordinateur (et bientôt sa tablette). D’ailleurs, il y a les " machines " personnelles, et celles qui sont familiales et utilisées par tous, parents et enfants :  tablettes, justement, ou ordinateurs communs donc. Quant aux ados, on y revient, ils sont sur-équipés, connectés partout et tout le temps. Donc les adultes n’ont aucune maîtrise, ni aucun contrôle de ce que leurs jeunes font et disent " en ligne ". Et cette zone aveugle des " connexions solo " est hyper-majoritaire. Elle déborde même souvent sur les activités quotidiennes, familiales, sociales, au grand dam de bien des parents, qui ne comprennent pas l’attraction magnétique qu’exercent les TIC sur leurs ados. Il y a là une véritable faille sociétale : l’Observatoire du numérique constate que seuls 17% des parents contrôlent les activités connectées des enfants. Commentaire (drôle !) de Cosima, 22 ans : " Est-ce que dans 10 ans cette tendance va nettement basculer ? En tout cas, ma génération aura des enfants et sera à même de bien plus contrôler ces connexions puisque nous connaîtrons ces outils. Les miens, d’enfants, ils pourront “se gratter”, pour espérer pouvoir accéder à Facebook avant leurs 15 ans ! ".

Extrait de Génération 3.0 - Enfants et ados à l'ère des cultures numérisées, de Pascal Lardellier aux éditions EMSPour acheter ce livre cliquez ici

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