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Sans défense face au terrorisme ? Pourquoi l'Europe doit entièrement revoir son dispositif sécuritaire né de 1945 si elle veut vraiment faire face à la menace
©Reuters

Table rase

Les dernières attaques terroristes coordonnées à Bruxelles prouvent que l'Europe est toujours aussi vulnérable face à la menace djihadiste. Il est temps pour elle de rénover de fond en comble son architecture sécuritaire qui repose encore trop sur des accords et alliances issues de l'après-guerre et de la Guerre froide comme l'OTAN.

Jérôme Pigné

Jérôme Pigné

Jérôme Pigné est chercheur associé à l’Institut Thomas More et président du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s).

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Arnaud Danjean

Arnaud Danjean

Arnaud Danjean est député européen Les Républicains,membre de la Commission des Affaires étrangères et de la sous-commission Sécurité/Défense, et conseiller régional de Bourgogne. Il est ancien fonctionnaire de la DGSE.

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Atlantico : Les dernières attaques terroristes coordonnées à Bruxelles prouvent que l'Europe est toujours aussi vulnérable face à la menace djihadiste. Pourquoi certains au sein de l'Union rechignent-ils encore à l'idée de créer un fichier des passagers aériens (PNR) ? Est-ce lié à l'histoire de certains pays membres, dans lesquels le souvenir de la dictature est encore vif ?

Arnaud Danjean : Il convient de bien préciser que le PNR -dont je suis un ardent promoteur- n'est pas une baguette magique qui nous prémunira de toutes les attaques terroristes. Mais il s'agit d'un instrument utile qui a pris une valeur symbolique importante car il est l'un des rares dispositifs véritablement collectif, européen alors que la plupart des outils anti-terroristes en vigueur sont du strict ressort national. Son adoption a été retardée d'abord du fait de légitimes, mais parfois excessivement tatillonnes, questions juridiques comme le fait de savoir qui peut accéder à quelles données, pendant combien de temps et selon quelles procédures. Ces questions étant désormais résolues depuis le compromis trouvé en décembre 2015, les oppositions de la gauche et de l'extrême-droite sont désormais purement idéologiques. La protection des données personnelles souvent invoquée peut se comprendre jusqu'à un certain point, mais lorsque les garanties sont apportées, continuer à s'opposer au PNR relève de la posture, pas de l'examen objectif de ses avantages et de ses limites.

Jérôme Pigné L’Europe et plus largement le monde occidental sont aujourd’hui vulnérables face à la menace djihadiste. Face à une idéologie forte, impulsée et véhiculée par des groupes tels que Daech ou Al Qaida, il faut être honnête, la communauté internationale semble être désemparée. Sans aller jusqu’à parler de choc des civilisations ou de guerre globale contre la terreur, on ne peut nier cette confrontation entre des modes de société qui s’opposent. Le PNR ne réglera pas tous les maux de l’Europe mais il est vrai qu’il pourrait faciliter davantage le contrôle des flux de personnes. Les différents pays réfractaires à l’idée du PNR ont certainement leurs raisons. En effet certains pays sont peut-être plus sensibles aux questions de libertés, notamment en lien avec leur histoire récente. L’articulation sécurité/libertés est une véritable problématique pour les pays européens. Autrement dit, comment préserver les libertés individuelles tout en assurant la sécurité des citoyens ?

Peut-on continuer à reporter ce type de décision indéfiniment ? Le temps n'est-il pas venu de trancher, de sortir de l'ambiguïté en faisant sans ceux qui seraient encore tentés de tergiverser ? Que faudrait-il faire alors des accords de Schengen ?

Arnaud Danjean : Pour le PNR, le texte est prêt. Les trois institutions concernées – à savoir le Conseil européen, la Commission et Parlement - ont trouvé un accord en décembre dernier. Il faut désormais un vote formel du Parlement européen. Impossible de faire sans. Les gauches et l'extrême-droite doivent assumer leur obstruction...

Sinon, chaque pays bâtira en effet son PNR. Avec une efficacité moindre et surtout avec une garantie de droits amoindrie également pour les citoyens européens, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes à assumer pour les opposants !

Schengen est un autre dossier. Ce qui est en jeu est la sécurisation des frontières extérieures de l'UE. C'est un chantier qui a été négligé lors de la mise en place de Schengen parce que l'accent a été trop exclusivement mis sur la liberté de circulation. En oubliant que ce beau principe ne vaudrait que si la protection extérieure de cet espace était assurée et si la coordination policière et douanière était optimisée à l'échelle des pays membres. Ce volet "sécuritaire" ayant été négligé, c'est tout l'édifice qui s'effondre aujourd'hui...

Jérôme Pigné Les accords de Schengen, au même titre que le PNR, sont des dispositifs qui doivent être revus, repensés, adaptés au monde d’aujourd’hui. J’insiste encore une fois sur le fait qui ni Schengen, ni le PNR ne régleront tous les problèmes liés à la sécurité et au terrorisme international. Des décisions politiques fortes doivent être prises et c’est dans le temps long que l’Europe arrivera à préserver sa sécurité et son mode de vie, si tenté qu’il y ait un « mode de vie » à l’européenne. Les sociétés occidentales sont bouleversées par les changements en cours et il vrai que la situation que nous vivons actuellement, d’un point de vue sécuritaire, marquera de manière indélébile notre époque. Néanmoins, je pense qu’il ne faut pas tomber dans le piège de la surmédiatisation ou surpolitisation de la question de Schengen. La problématique migratoire est réelle, elle inquiète l’Europe et d’autres mais regardons les choses avec sang-froid et le recul nécessaire pour prendre les bonnes décisions.


Plus largement, quelles sont les lacunes de l'architecture sécuritaire européenne révélées par ces attaques ? Peut-on imaginer une organisation telle que l'OTAN qui s'attache spécifiquement à nous protéger du terrorisme transnational actuel ?

Jérôme Pigné Cette architecture sécuritaire que vous pointez du doigt s’articule essentiellement autour de trois axes essentiels. La coopération policière, en matière de renseignement et sur le plan judiciaire. Le mandat d’arrêt européen (2004) est le fruit de cette coopération accrue, par exemple. Ce qu’il faut dire en premier lieu, c’est qu’elle fonctionne entre pays européens cette coopération. L’échange d’informations est réel, perfectible certes mais réel. Lutter contre le terrorisme international, aujourd’hui incarné par Daech ou Al Qaida, est un travail de longue haleine qui doit se manifester à travers des actions politiques et stratégiques sur le court terme et sur le long terme. L’action militaire et sécuritaire est nécessaire, incontournable, mais ne constitue en aucun cas la solution pour lutter contre des phénomènes et des mobilisations violentes à long terme. Saluons à cet égard le travail accompli par l’Opération Barkhane au Sahel ; opération française régionale qui a pris le relais de l’Opération Serval au Mali, en août 2014. Mais cela n’est pas suffisant. Les réponses doivent être multidimensionnelles, échelonnées dans le temps, et surtout correspondre aux réalités locales des pays où les actions sont menées. En cela, l’Union européenne a beaucoup à faire dans la conceptualisation, puis mise en pratique, de ses politiques de coopération (au sens large). La pierre angulaire de notre sujet sera d’articuler sécurité et développement, perspectives à court et long termes.  Ayant dit cela, l’OTAN ne sera jamais la réponse pleine et entière face au terrorisme international. Cette organisation peut permettre de structurer une réponse militaire et opérationnelle sur un théâtre d’opération mais n’a pas le mandat ni la vocation à couvrir le spectre de l’antiterrorisme dans son entièreté. 

Arnaud Danjean : Je ne vois pas très bien ce que l'OTAN, alliance militaire, aurait à faire sur ce sujet... Il faut comprendre que l'anti-terrorisme repose sur le triptyque renseignement-police-justice. Le militaire peut être amené à jouer un rôle d'appoint comme c'est le cas actuellement en France, ou évidemment sur un segment d'intervention extérieure comme au Sahel ou en Syrie et en Irak. Mais sur le sol européen, il s'agit fondamentalement de coopération policière, judiciaire et de renseignement. Cela existe, cela peut évidemment être amélioré, mais il serait chimérique de croire que de grandes superstructures européennes soient la panacée. La fluidité des échanges peut être améliorée, des fichiers peuvent être mieux interconnectés et harmonisés. Mais de grâce qu'on ne se leurre pas avec une super agence européenne de renseignement. Avant de mutualiser, il faut collecter ! Et cela exige des structures au plus près du terrain. Pas une bureaucratie bruxelloise supplémentaire.

A l'inverse, l'Europe n'aurait-elle pas intérêt aujourd'hui à se rapprocher de la Russie pour assurer plus efficacement notre sécurité ? Quelle forme pourrait prendre cette nouvelle entente ?

Jérôme Pigné Je parlais de l’Afrique et du Sahel tout à l’heure, là où la Russie est relativement loin de son champ d’action. En revanche, il est vrai que sur le dossier Syrien ou sur la question iranienne, c’est un acteur incontournable. Certains diront qu’il faut se rapprocher de la Russie, d’autres penseront qu’il faut la combattre. On ne peut répondre en quelques lignes à cette question hautement politique, stratégique et diplomatique. Toutefois, l’avenir de l’Europe (notamment dans sa dimension politique et sécuritaire) est lié à la Russie. Cela ne concerne d’ailleurs pas uniquement les questions de terrorisme. L’Europe doit, selon moi, équilibrer et penser de manière pragmatique ses partenariats, à l’Est (Russie), comme à l’Ouest (relation avec les Etats-Unis). Pour ce faire, il me semble que l’UE doit se doter d’une vision stratégique solide et unifiée, ce qui n’est pas le cas à l’heure où nous parlons…

Arnaud Danjean : De quelle sécurité parle-t-on ?La Russie reste dotée d'une doctrine de défense qui place les pays occidentaux en menace numéro 1 et il ne me semble pas que l'attitude russe vis-à-vis des pays d'Europe centrale et orientale soit particulièrement rassurante pour leur sécurité !

S'il s'agit de la lutte anti-terroriste, il y a certainement matière à coopérer avec la Russie. Mais il ne faut pas être naïf. On a pu voir en Syrie que la lutte contre les djihadistes n'était pas la priorité de l'intervention russe. Il y a une confiance à bâtir avant d'envisager un réel partenariat dénué d'arrière-pensées mutuelles... Nous n'en sommes malheureusement pas là.

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