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Pourquoi les emplois industriels ne reviendront jamais (même en cas de relocalisation des usines sur le territoire)
©Reuters

La fin d'une ère

Alors que de nombreuses personnalités politiques proposent de rapatrier les usines délocalisées sur notre territoire, l'expérience américaine démontre l'inefficacité de ces mesures sur l'emploi industriel. En effet, les relocalisations conduisent surtout à embaucher... des robots.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Alors que depuis 2009, la production manufacturière a connu une croissance de plus de 20% aux Etats-Unis, l’emploi manufacturier n’a, de son côté, connu qu’une croissance de 5%. Comment expliquer une telle différence entre ces deux variables ? En quoi la relocalisation de certaines unités de production n’a pas permis de réenclencher une dynamique de ces emplois ? Peut-on considérer qu’il s’agit d’une conséquence de la robotisation et de l’automatisation des tâches ?

Sarah Guillou : L’écart entre la croissance de la valeur ajoutée et la croissance de l’emploi est le signe qu’une unité de valeur ajoutée est produite avec moins d’emplois. L’écart peut s’expliquer soit par une augmentation de la productivité (si la valeur ajoutée est mesurée hors évolution des prix, donc en volume), soit par une augmentation du prix de la valeur ajoutée ou une baisse du prix des consommations intermédiaires, notamment de l’énergie (si la valeur ajoutée est exprimée en valeur). La croissance de la productivité du travail par emploi peut refléter en effet une mécanisation/robotisation des emplois qui en augmente la productivité. Mais la productivité du travail a plutôt connu une faible croissance depuis la crise. La robotisation des emplois est une tendance lourde mais progressive. La croissance de la valeur de la production reflète elle, des biens de meilleure qualité vendus plus chers, une spécialisation productive à "plus forte valeur ajoutée" notamment parce que le contenu en services qualifiés augmente. Ceci étant dit, la faiblesse de la croissance de l’emploi industriel montre que la relocalisation des entreprises aux Etats-Unis a concerné peu d’emplois, non seulement parce que les entreprises n’ont pas été si nombreuses, mais aussi parce que se sont relocalisés les emplois dont le niveau de qualification pouvait supporter le niveau du coût du travail, donc des emplois qualifiés avec un effet de levier plus important sur la valeur ajoutée.

En France, la stabilisation de l’indice de la production industrielle depuis 2012 n’aura pas évité la destruction de 131 000 emplois manufacturiers (sur la même période). Dès lors, peut-on en tirer une conclusion similaire ? L’emploi manufacturier est-il tout simplement destiné à disparaître ?

L’emploi manufacturier diminue de manière inexorable en raison du changement technologique. C’est une tendance structurelle de long terme qui touche ou touchera toutes les économies. Dans les pays développés, elle s’est intensifiée en raison de deux causes additionnelles. D’une part, depuis le début du 21ème on a assisté à la localisation de la production manufacturière dans les pays émergents et notamment en Chine, devenue "l’usine du monde" afin de bénéficier du coût du travail avantageux mais aussi afin d’accéder à des marchés en forte croissance. D’autre part, une partie des emplois dits "manufacturier" sont des emplois de services : de la conception ou la R&D aux services associés à la vente par exemple. Or, ces emplois sont aujourd’hui de plus en plus externalisés (notamment en raison du processus de fragmentation de la production) et se déplacent dans les emplois de services. Cependant, au-delà de cette tendance, le recul des emplois industriels reflète aussi une perte de compétitivité hors-coût. Le maintien d’un coût du travail compatible avec le système de protection sociale, le niveau d’infrastructure et d’éducation des pays développés impose que la spécialisation productive se polarise vers des produits qui se distinguent par leur qualité et donc associés à des emplois plutôt qualifiés. C’est là que réside l’inquiétude quant à la dynamique décroissante des emplois industriels en France.

Que peut-on en conclure sur la pertinence des politiques publiques visant à inciter les entreprises à relocaliser leur production sur le territoire ? Ces politiques sont-elles vouées à l’échec, ou existe-t-il, quand même, des effets positifs ?

De telles politiques sont bien difficiles à justifier économiquement. Elles reposent sur des erreurs de raisonnement quant aux motifs de la localisation des entreprises. Tout d’abord, une entreprise qui ouvre des filiales à l’étranger est une entreprise qui s’inscrit le plus souvent dans une stratégie de croissance et de conquête de marchés. On souhaiterait plus nombreuses, en France, les entreprises qui seraient dans cette dynamique. Ensuite, les entreprises décident de la localisation de la production en prenant en compte un faisceau d’éléments : de l’environnement juridico-institutionnel au coût du travail en passant par les infrastructures de transport, les qualifications, le coût de l’énergie, la fiscalité et même l’apport en capital induit par des participations locales. Produire moins cher est l'un de ces éléments, mais pas le seul. Et tant les Etats-Unis que la France ont des capacités d’attraction sur de nombreux éléments. Les gouvernements l’ont bien compris et se mènent une concurrence non avouée mais bien réelle pour attirer les entreprises. Les politiques qui consistent à décréter le retour ou à freiner les départs des entreprises ne sont que des effets d’annonce démagogiques. En revanche, les politiques qui participent à la création d’un environnement attractif pour les entreprises ne sont pas vaines. Mais elles supposent de trouver un solide et sain équilibre entre des dépenses publiques nécessaires à l’éducation, aux infrastructures et à la sécurité et un niveau de la fiscalité qui reste incitatif. Autrement dit, la recette de l’attractivité, c’est un Etat efficace.

Le succès de Donald Trump aux Etats Unis s’explique notamment par l’absence de croissance de revenus pour les classes moyennes. En France, le Front National surfe sur un mécontentement équivalent. Quels sont les moyens dont disposent les pouvoir publics face à une disparition progressive des emplois manufacturiers ?

On est bien en peine de comprendre aujourd’hui la montée des partis contestataires et populistes voire extrémistes qui surfent sur les peurs des populations même dans des pays dont l’économie - et le marché de l’emploi - ne se porte pas si mal, qu’il s’agisse des Etats-Unis, de l’Allemagne, de l’Angleterre ou de l’Irlande. L'une des clés de compréhension est en effet d’observer la juxtaposition entre la population contestataire et celle qui a vu son revenu relatif diminuer ou stagner. Le creusement des inégalités de revenus peut en effet expliquer ce paradoxe entre un vote contestataire et un marché de l’emploi dynamique, ce qui au demeurant n’est pas le cas de la France. Mais des raisons plus socio-politiques doivent être aussi mobilisées pour comprendre la réussite des partis contestataires.

Les gouvernements doivent se concentrer sur l’amélioration de leur fonctionnement et de leur efficacité. Par ailleurs, il faut élargir la compréhension de la dynamique des emplois au-delà des secteurs manufacturiers sachant que de nombreux emplois de services sont liés à l’activité industrielle et c’est cet ensemble qu’il faut surveiller.

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