Baisse des charges sur... zéro revenus : le plan de sauvetage de l’agriculture qui ne pourra la sauver qu’une fois guérie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Baisse des charges sur... zéro revenus : le plan de sauvetage de l’agriculture qui ne pourra la sauver qu’une fois guérie
©Reuters

Réunion de crise à Bruxelles

A l'occasion d'une réunion de crise à Bruxelles, les ministres de l'Agriculture de l'Union Européenne se sont rassemblés et ont discuté des différentes solutions possibles pour mettre un terme à la crise. Stéphane Le Foll a présenté un certain nombres de mesures intéressantes... pour l'après-crise.

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard est économiste, ancien directeur de recherche à l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont La régulation des marchés agricoles (L’Harmattan, 2007).

 

Voir la bio »

Atlantico : Ce lundi 14 mars, les ministres de l'Agriculture de l'Union Européenne se sont retrouvés dans le cadre d'une réunion de crise, chacun invité à exposer ses solutions face à la crise agricole. Stéphane Le Foll réclame notamment des mesures pour réduire et stabiliser la production de lait ; relever les niveaux de stockage du lait en poudre, renforcer l'aide à ce niveau, et relever les plafonds d'aides ministérielles… Que dire de ces pistes ? Dans quelle mesures peuvent-elles venir en aide, aujourd'hui et demain, à nos agriculteurs ?

Jean-Marc Boussard :: Il y a deux types de mesures proposées par Stéphane Le Foll : d’abord, des subventions ou des allègements de charges : ce sont des mesures de court terme. Cela peut toujours servir, certes, mais ça ne pourra pas véritablement résoudre le problème à long terme. Un autre ensemble de mesures proposées consiste à revenir sur les différentes mesures de libéralisation : en particulier permettre la signature de contrats, sur le long-terme, au niveau européen avec les industriels de la filière pour réduire la production, en dérogation aux règles de la concurrence établies par Bruxelles. Il semble que cela soit accepté par le commissaire européen Phil Hogan. C’est presque une révolution, parce que cela signifie que les libéraux bruxellois ont en partie au moins avalé leur chapeau. Cela dit, c’est encore une mesure de court terme, car, dans le plus long terme et sur les marchés internationaux, la place ainsi laissée par les Européens sera prise par les autres producteurs, comme les Néo-Zélandais ou même les Indiens (sans parler des Américains !). En vérité, dans un système globalisé, il est impossible de stabiliser le prix d’un produit comme le lait en un endroit sans le faire pour le monde entier... Et imposer cela au monde n’est pas encore à l’ordre du jour ! 

Les baisses de charges annoncées, les paiements directs, etc., auront, sans doute un très léger effet d'atténuation, qui coûtera en revanche assez cher aux contribuables. Les mesures pour réduire la production, si elles sont efficaces, ce qui n’est pas sûr, auront le même type de conséquences au bout de quelques mois. Tout cela gommera une partie des effets les plus évidents de cette crise.  Quant à savoir si cela aura un effet sur l'après-crise, c'est une autre affaire : 

Il est primordial de réaliser que le vrai problème, si cette crise se développe, c'est que d'ici six mois, 30 à 40% des agriculteurs seront en faillite et contraints de quitter leurs fermes. C'est très ennuyeux  pour eux, mais  les autres citoyens peuvent se sentir peu concernés. Pourtant, c'est là tout le risque : car quand il n'y aura plus assez d'agriculteurs, la pénurie alimentaire pourrait devenir une réalité, et alors, les « autres citoyens » seront dans de mauvais draps !  .

Dans ces conditions, les mesures de court terme qui viennent d’être prises  auront certainement un impact sur l'après-crise. Dans la mesure où elles éviteront peut-être quelques  faillites, elles permettront de maintenir un certain niveau de production pour l'après, et ce sera toujours autant de gagné. Mais elles ne pourront pas éviter la répétition de crises analogues dans l’avenir... .

Stéphane Le Foll se vante d'ores et déjà d'avoir converti à son analyse de nombreux pays européens. Qu'en est-il dans les faits ? La voix de la France est-elle effectivement relayée, et avec quelle force ?

Cette idée relève  sans aucun doute d’un effort de communication de la part du ministère de l'Agriculture. Dans la réalité,  il est difficile de discerner le vrai du faux. Ce qui est vrai, c’est que  cette crise ne touche pas que la France. Je voyais récemment une photo des  tracteurs qui ont envahi la place centrale d'Helsinki pour manifester contre la politique agricole européenne : elle a du aussi faire réfléchir  le ministre de l’agriculture finlandais !  Il est évident que des tracteurs qui envahissent les rues font désordre, et par conséquent incitent les décideurs politiques à revenir sur leurs convictions !  Le vent me semble en train de tourner : les personnalités politiques européennes en charge du secteur agricole réalisent qu'ils étaient dans l'erreur en supprimant les quotas laitiers. De là à dire que nous, Français, avons convaincu qui que ce soit, il y a un pas.

Je crois tout de même  que Stéphane Le Foll est persuadé dans son for intérieur de l'erreur commise en libéralisant  le secteur agricole de façon excessive. Par ailleurs, il est vrai aussi que l’intelligentsia économique française est plutôt moins aveuglément libérale que celles des pays du Nord de l’Europe. Cela donne du crédit à l’idée que c’est lui qui est à l’origine du (modeste) revirement dont nous venons de parler. Cela dit,  en tant que ministre, jusqu’ici,  il n'avait  pas pris beaucoup de dispositions moins libérales que les autres. Aussi bien, il ne pouvait pas le faire, lié qu’il était par les traités. 

D'après Antoine Jeandey de WikiAgri, la logique engagée aujourd'hui devrait mener à la disparition inévitable de 30 et 50 000 agriculteurs français. Partagez-vous ce constat ? Pourquoi ?

Je ne connais pas les chiffres, mais ceux-là ne sont pas invraisemblables. A l'évidence, la disparition d'une partie conséquente des agriculteurs français est un risque considérable, probable, que nous ne pouvons pas ne pas envisager. Ces gens sont virtuellement en situation de cessation de paiement. Entreprendre et faire fonctionner une exploitation agricole n'est pas sans frais, loin de là. Les avances, souvent de plusieurs millions, qui sont nécessaires pour cela ne sont aujourd'hui pas remboursables pour bien des agriculteurs. C'est à cette situation qu'ils doivent faire face, avec la crainte de voir leurs terres saisies par les banques, puis mises en vente. C'est en effet un scénario probable, si la situation n'évolue pas. 

En ce qui concerne le lait, le fond du problème vient  de la suppression des quotas : de nombreux agriculteurs ont investi à tour de bras dès les derniers mois avant la fin des quotas, s’attendant à pouvoir augmenter leur production et donc leurs recettes si les prix n’avaient pas changés. Et beaucoup d’organisations professionnelles leur avaient seriné que le marché chinois allait ouvrir des perspectives de ventes illimitées. Ils déchantent maintenant ! 

Jusqu'où faut-il craindre des résurgences de cette crise à l'avenir ? Fondamentalement, les armes pour la régulation, à ce titre, sont-elles à notre portée ?

Depuis bientôt  trente ans, nous nous acharnons à supprimer une à une les armes que nous avions pour cela.  Jusqu'en 1992, l'agriculture européenne demeurait pour l’essentiel  isolée du marché. Les principaux prix étaient fixés par les gouvernements, et non par l’offre et la demande. Des produits restaient libres, comme la viande de porc. Mais les produits de base,  des céréales au lait en passant par les oléagineux, restaient isolés du marché. A partir de cette date, on a progressivement mais  systématiquement détricoté ce système qui avait fait ses preuves en apportant aux européens des denrées de base dont le prix, en termes réels, avait été divisés par quatre depuis la fin de la guerre. Depuis, les prix de ces produits augmentent, en moyenne, mais surtout sont excessivement variables, avec les conséquences que nous connaissons ces jours ci quand il leur arrive de baisser brusquement. 

Il est essentiel de souligner que sur les marchés agricoles, (et aussi ceux d’autres matières premières), les équilibres  sont fondamentalement instables. Dans le domaine agricole, l'équilibre du marché, le point où l’offre est égal à la demande, est instable, comme l’équilibre d’une bille à , la pointe d'un crayon : on ne peut jamais l’y maintenir. Cela tient au fait que l’alimentation est une denrée de première nécessité. Quel que soit le prix d'une bouteille de lait, les gens persistent à l'acheter. En même temps, celui qui a eu sa ration aujourd'hui n’est pas tenté par une seconde, même si elle est gratuite : c’est ce qui fait que de faibles variations occasionnelles de l’offre peuvent conduire à des variations de prix extravagantes, aussi bien dans un sens que dans l’autre.

Par conséquent, laisser le marché diriger la production agricole revient à accepter de souffrir des situations comme celle que nous connaissons aujourd'hui. Inversement, d'ici quelques années, il ne serait pas surprenant que les prix aient explosés. La pénurie nous pend au nez. Et il va de soi que si les prix explosent, se lancer dans la production sera autrement plus intéressant que ce n'est le cas actuellement. Sans quota, la surproduction recommencera vraisemblablement à augmenter sans frein... et on se retrouvera devant le problème précédent.... 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !