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Victimes silencieuses de la loi El Khomri : ces petites et moyennes entreprises oubliées autant dans la 1ère que dans la 2ème mouture (alors que ce sont elles qui embauchent le plus)
©Reuters

Discrimination

Alors que le Gouvernement communique à tout-va autour de la loi El Khomri, celle-ci semble pourtant taper à côté de la cible : les très petites ou moyennes entreprises. En effet, si celles-ci sont les entreprises qui créent le plus d'emplois, elles sont de fait écartées de plusieurs dispositions du texte, axées sur les grandes sociétés.

Hervé Lambel

Hervé Lambel

Hervé Lambel est candidat à la présidence du Medef et co-fondateur du CERF (Créateurs d'emplois et de richesse en France).

D’une lignée d’entrepreneurs, il est diplômé de l’EPSCI (Essec). Il entre en 2000 à la CGPME, puis fonde en 2003 le CERF, dont il devient Président et porte-parole en 2004. Il fait notamment partie des premiers lanceurs d'alerte sur la crise économique et les problèmes de trésorerie des entreprises. Il est également le créateur d’HLDC, société de service et d’investissement.

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Atlantico : Alors que le Gouvernement répète depuis 2012 que ce sont les petits patrons qui embauchent, la loi El Khomri ne va-t-elle pas au contraire aider avant tout les grandes entreprises ?

Hervé Lambel : Nous sommes ici en présence d'une loi qui se veut être un projet ambitieux de réforme du Code du travail, amorçant une demande que je porte personnellement depuis plusieurs années : l'inversion de la hiérarchie des normes. Jusqu'à maintenant, nous avions une loi, décidée au plan national par les partenaires sociaux, qui s'appliquait à tous et qui était éventuellement complétée par une convention collective, normalement plus généreuse que la loi. Ensuite dans l'entreprise, on pouvait discuter et mettre en place un accord d'entreprise qui avait l'obligation d'être plus généreux que la loi ou la convention collective. Il en est de même ensuite dans le cadre d'un contrat entre un employeur et un salarié pour les plus petites entreprises.

A partir du moment où le texte prévu dans la loi El Khomri modifie effectivement ou permet par la négociation d'entreprise de déroger à la loi, nous pouvons dire que nous sommes en train de lever l'un des freins majeurs que rencontrent les entreprises aujourd'hui et d'avancer dans le sens qui permettra à ces dernières de s'adapter. Sauf que nous parlons effectivement ici d'une dérogation à la loi dans le cas d'un accord d'entreprise. Or, pour avoir un accord d'entreprise, il faut avoir une représentation du personnel. Il n'y en a pas dans les entreprises jusqu'à 10 salariés et il n'y en a globalement pas dans un très grand nombre d'entreprises jusqu'à 20 salariés, et pour un certain nombre jusqu'à 49 salariés. Nous voyons ici les fameux effets de seuils, que l'on évoque depuis un certain nombre d'années, qui fixent des obligations de représentation et engendrent des coûts supplémentaires pour les entreprises.

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Globalement, aujourd'hui, on compte à peu près 2,95 millions de salariés qui relèvent de très petites entreprises (TPE), 4,15 millions des PME, 3,36 millions des ETI et 4,49 millions des grandes entreprises. Il y a une représentation du personnel dans les grandes entreprises, dans les ETI et dans un certain nombre de PME. Nous avons donc globalement 2,95 millions de salariés, voir un peu plus, qui ne relèvent pas d'un accord d'entreprise possible, c'est-à-dire qui ne relèvent pas d'accords dans des entreprises qui ne trouvent pas dans cette loi la possibilité de s'adapter à une évolution du marché du travail ou une évolution du marché purement économique. Ce fait est absolument majeur parce qu'aujourd'hui, dans une TPE soumise à un donneur d'ordre, dans le cas de l'industrie par exemple ou dans certaines entreprises de services, il se trouve que le donneur d'ordre externalise son risque, c'est-à-dire qu'il fait réaliser certaines tâches par des entreprises sous-traitantes. Or, c'est à ces entreprises sous-traitantes qu'il demande de s'adapter ou qu'il fait porter les adaptations en cas d'évolution du marché.

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Ces grandes entreprises n'ont pas, elles, à faire l'effort d'adaptation sur le plan salarial, elles demandent cet effort aux petites entreprises qui sont leurs fournisseurs. Vous voyez tout de suite la difficulté : si ces petites entreprises ne peuvent pas s'adapter à une variation de l'activité économique et donc de la commande des grandes entreprises, elles se retrouveront en difficulté contrairement aux grandes entreprises qui, elles, s'adapteront. On peut faire une analogie avec la question du crédit ou de la trésorerie en 2008 : là aussi, les grandes entreprises externalisaient leur risque en allongeant les délais de paiement, et ce furent les fournisseurs (TPE et PME) qui durent supporter l'effort de trésorerie, et on a vu en 2008 des banques qui ne finançaient plus la trésorerie TPE... Les grandes entreprises ont demandé aux petites entreprises de financer leur trésorerie en allongeant leurs délais de paiement et les petites entreprises se sont retrouvées dans une situation où elles ne pouvaient pas s'adapter. On a donc assisté à une explosion des défaillances d'entreprise. C'est la même chose avec la loi Travail. Si la petite entreprise se retrouve avec une demande de son client d'adaptation de son volume de travail et qu'elle n'est pas capable de s'adapter, elle se retrouvera alors en difficulté et déposera le bilan. C'est pour cela qu'aujourd'hui on demande une modification de la loi : pour permettre aux entreprises de s'adapter. Ne pas détruire l'entreprise, c'est ne pas détruire du capital. On sait pertinemment qu'il n'y a pas de travail sans capital. Mais en France, on fait le contraire depuis des années et on détruit du capital. Cette destruction de capital se remarque dans la durée puisque la France est le pays de l'OCDE qui détruit le plus d'entreprises depuis 25 ans (jusqu'à deux fois plus que nos partenaires européens anglais ou allemands qui sont revenus à des niveaux de défaillances d'entreprises d'avant-crise, alors que nous sommes toujours pour notre part aux niveaux les plus élevés de la crise). Il est dès lors essentiel aujourd'hui que les petites entreprises soient en capacité de s'adapter aux variations du marché. C'est la raison pour laquelle la loi doit assouplir le cadre dans lequel les entreprises évoluent.

Quelles sont les différentes catégories de salariés français (employés par une grande entreprise, une PME, une TPE...) concernés par une ou plusieurs mesures de la loi ?

Potentiellement, tous les salariés du secteur privé sont concernés par différentes dispositions de la loi El Khomri. Celle sur la négociation d'entreprise concerne les entreprises qui ont la capacité de déroger au Code du travail par accord d'entreprise (celles qui ont une représentation du personnel, à savoir une douzaine de millions de salariés potentiellement concernés par l'accord d'entreprise).

Par ailleurs, il faut savoir que hors période de crise, sur les 40 dernières années, l'emploi et la création d'emplois s'est fait dans les TPE et ensuite dans les PME. C'est un élément majeur mais il n'y a pas là matière à critiquer les grandes entreprises. En effet, pour grandir elle pratiquent à un moment donné ce qu'on appelle la croissance externe. Pour grossir sur un marché, elles sont en effet obligées de fusionner avec d'autres entreprises pour améliorer leurs services, pour améliorer leurs processus, etc. Cette augmentation par croissance externe les conduit à supprimer les postes en doublon.

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2,93 millions de salariés dans les très petites entreprises ne seront donc pas concernés, contre une dizaine de millions qui seront concernés. Il ne faut pas non plus oublier les quelques 5,5 millions de fonctionnaires qui ne seront pas concernés. Nous voyons aujourd'hui certains syndicats de la fonction publique ou proches de la fonction publique prêts à manifester dans la rue pour soutenir la contestation d'une loi qui ne les concerne pas directement, mais qu'ils jugent sans connaître la réalité de la vie d'entreprise et la nécessité de maintenir l'emploi ou l'activité dans ces entreprises.

Quelle est la part de salariés travaillant dans une entreprise où il n'y a pas de syndicats ? Qu'est-ce que cela change pour eux ?

Premièrement, il y a 1 million d'entreprises qui n'ont pas de salariés, donc la question ne se pose pas. Ceci dit, dans ce million d'entreprises, il y en a un certain nombre qui se risqueraient peut-être à embaucher s'il y avait d'autres modalités d'embauche. Il y a ensuite environ 2 millions d'entreprises qui rassemblent 2,95 millions de salariés n'ayant pas de représentants du personnel. Dans ces entreprises-là, il n'y aura pas de possibilité de s'adapter. Les salariés seront soumis à la loi ou à la convention collective. Une loi qui est négociée par des syndicats patronaux et des syndicats de salariés dans lesquelles ces entreprises ne se reconnaissent pas. Ces 3 millions d'entreprises représentent environ 98% des entreprises en France.

Comment évolue le taux de syndicalisation selon la taille de l'entreprise en France ?

Le chiffre communément admis pour le taux d'adhésion aux syndicats de salariés dans le privé est de l'ordre de 5% aujourd'hui. Ce chiffre est évidemment variable en fonction de la taille de l'entreprise. Il est plus important dans les grandes entreprises et dans certaines PME, et quasiment inexistant dans les TPE. Cela fait des années que les TPE s'arc-boutent sur le refus de la représentation syndicale dans les entreprises, parce que chaque fois que le sujet est évoqué, il s'agit de faire venir un représentant syndical extérieur à l'entreprise alors qu'il y a déjà un dialogue social dans l'entreprise qui s'effectue au quotidien.

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