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4,1% de croissance en Suède : pas de pétrole, même continent que nous, même contexte mondial... mais comment font-ils ?
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Quel est le secret ?

Affichant un PIB inférieur à celui de l'Île-de-France, la Suède peut néanmoins se vanter d'une croissance plus de deux fois supérieure à celle de l'Allemagne. Son beau 4.1% a de quoi impressionner, particulièrement en France. Pourtant, derrière tout ça, rien que des recettes éculées... dont l'Hexagone pourrait tout à fait s'inspirer.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Le Royaume de Suède, membre de l'Union européenne (mais pas de la zone euro), accuse un taux de croissance à 4.1% quand la croissance allemande s'élève à 1.7% en 2015. Quels sont les ingrédients d'une telle potion magique ? Comment la Suède parvient-elle à de tels résultats ?

Mathieu Mucherie : Modérons un peu. Ils ne font pas 4% de croissance chaque année. Et ce niveau ne peut pas durer, dans une économie très manufacturière, donc très affectée par le ralentissement global. De plus, ils ont un sérieux problème avec l’inflation, qui est négative et franchement en-dessous de la cible à 2%/an de façon récurrente depuis 2008 (ce n’est pas un drame, sauf quand on s’est engagé fermement sur cette cible auprès de tous les agents). Au passage la Banque de Suède s’est ridiculisée maintes fois dans ses prévisions (les lignes jaunes du graph’ ci-dessous, la ligne bleue étant l’inflation effectuée), ce qui a fini par provoquer un audit et un changement de méthodologie, mais ce qui en dit long sur les marges de progression qu’ont encore les dirigeants de ce pays, il est vrai, plutôt bien géré.

Au fond, la performance suédoise, ce n’est pas une potion magique mais l’application de vieilles recettes qui ont fait leurs preuves : souveraineté et flexibilité monétaire, sérieux budgétaire, ouverture systématique des marchés, investissements dans le capital humain. Rien que du classique, à condition bien sûr de ne pas faire partie de la zone euro (comme la Finlande) ou de se mettre en changes fixes avec elle (comme le Danemark).

A condition aussi de ne pas en rajouter à longueur de colonnes sur les performances sociales du pays, un cliché éculé. Les inégalités dont nous parlons en France (des dispersions de revenus) seraient bien plus élevées en Suède si une partie des élites ne résidaient pas à Londres, à Paris et à New York. Quant aux patrimoines, fonciers notamment, ils sont très concentrés, quelques familles possèdent une proportion considérable des terres et des entreprises. La vraie réussite suédoise réside dans l’insertion dans les échanges et dans le reengineering de l’Etat en lien avec une politique monétaire au service du pays et non dans la redistribution étatique ou dans je ne sais quelle ambiance de Bisounours new age.     

Le PIB de l'Île de France est plus important que celui de la Suède. Sa population est largement inférieure à celle de notre pays et pourtant la Suède a su garder une monnaie souveraine et maintenir une croissance largement supérieure à la nôtre. Le pays bénéficie-t-il toujours du miracle suédois entamé dans les années 90 ?

Aucun miracle : une situation « désespérée » en 1994 (dettes, stagnation), une dévaluation, des réformes financées par le surcroît d’activité autorisé par la déflation. Tout ce que l’on réclame depuis des années pour la France (qui a connu la même séquence vers 1960) ou pour l’ensemble de la zone euro, tout ce que d’autres ont fait ou font (Pologne…), et tout ce que la BCE nous refuse (le taux de change effectif de l’euro, contre un panier large de monnaies, n’a presque pas bougé depuis 4 ans). 

Aujourd’hui, la plupart des modèles concluent à une sous-évaluation de la Couronne d’environ 30% contre l’euro et contre le dollar US, ce qui est bien agréable dans une phase de ralentissement global et de basses eaux du commerce international, a fortiori quand on a quelques actifs assez chers.

On parle régulièrement de l'action des banques centrales, mais que peut-on dire des hommes qui les dirigent ? Quels ont été les directeurs marquants de la Banque de Suède ? Pourquoi ? 

Le Royaume doit beaucoup à Lars Svensson. Comme l’Angleterre doit beaucoup à Blanchflower et à Posen, ou la France de jadis à Rueff. Il a alerté sur le rôle des taux de changes dans une petite économie ouverte, il n’a pas confondu CPI et inflation vers 2011, il n’a pas critiqué bêtement le QE, il n’a pas utilisé l’argument de la cherté de l’immobilier suédois pour exiger comme les autres une hausse des taux (c’est une question qui doit être traitée avec la réglementation et les réserves obligatoires pour les banques, pas via l’arme massive des taux), il a cherché à faire progresser l’institution en matière de forward guidance, en bref il nous aurait été bien utile à la BCE il y a 5 ans, et encore aujourd’hui. Depuis que Svensson n’est plus là, le comité suédois est dépeuplé, ce qui confirme qu’un économiste peut à lui seul faire une vraie différence sociétale (ce que les Américains sont en train de découvrir avec le départ de Kocherlatoka, après l’avoir déjà expérimenté avec les départs de Bernanke et de Mishkin, par exemple). Le monde est suspendu sur un fil au-dessus des abysses déflationnistes, et seuls quelques hommes l’empêchent de sombrer, dans l’indifférence quasi-générale de l’opinion publique et même des spécialistes. Au passage ces économistes colombes viennent d’écoles de pensée différentes, ce n’est même pas une question de doctrine, c’est une pure question de bon sens : en cas de crise déflationniste, on agit, et on ne menace pas à tout bout de champ de monter les taux pour calmer une bulle (cf un article dans Atlantico il y a peu).     

Pourtant, en dépit de ce succès, la situation de la Suède est-elle bonne sous tous rapports ? Quelles sont les critiques qu'il est possible de formuler à l'égard du royaume scandinave ?

Il y a déjà cette question vue plus haut d’une inflation réalisée très inférieure à la cible, ce qui menace à terme la crédibilité de cette cible. C’est d’autant plus gênant que le pays se targue d’être un pionnier en matière d’inflation targetting. Ils font un QE pour corriger un peu le tir, mais peut-être devraient-ils passer à une cible de PIB nominal, ou au moins réfléchir un peu à du price level targeting (étant donné le retard accumulé de l’inflation depuis 2008, un ciblage vers 3% pendant trois ans se justifierait très bien). Ce n’est pas leur orientation actuelle, ils préfèrent faire joujou avec les taux négatifs (à -0,5%) et sans vouloir réfléchir beaucoup plus loin ; dommage.  

Ensuite, il y a le problème des dettes, c’est à dire de l’immobilier. Les prix sur le segment résidentiel se situent 45% au-dessus de leur niveau de 2007, ce qui est plutôt rare dans le monde et franchement mauvais signe pour la suite. Du coup, la Suède a un ratio du service de la dette privée qui est l’un des pires du monde développé, à 11% (contre 7% en Espagne, 6,5% en Allemagne, 6% en France et 5% en Italie). Heureusement que les taux ne vont pas monter de sitôt, car la sensibilité du pays aux taux est très importante. 

Cette situation est inquiétante, car certains à la Banque de Suède menacent toujours de la lier à la politique monétaire du pays tout entier, au lieu de passer par d’autres instruments plus spécialisés. 

Et cela en dit assez long sur le besoin de libéralisation foncière du pays. On parle toujours à San Francisco, à Londres et à Stockholm, de ce formidable atout que constitue un marché du travail libéralisé, flexible (par rapport à ces pauvres cloches de français). C’est vrai, c’est un sacré atout. Encore faut-il appliquer le même raisonnement à l’immobilier, au lieu d’imiter là aussi les loosers français avec des « ceintures vertes », des Fannie Mae, du logement social biaisé et des restrictions foncières de tous ordres au bénéfice le plus souvent des insiders. 

Suédois, Suédoises, encore un petit effort pour être totalement libéraux !

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