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"La planche à billets provoque une bulle sur les marchés financiers" : et si le CSA se piquait aussi d’intervenir quand les médias accumulent les contresens économiques ?
©Reuters

Ah bah oui ma bonne dame

Ce mardi matin sur France Info, un chroniqueur expliquait que la Banque centrale européenne alimentait la bulle des marchés financiers... mais où sont les chiffres ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Quand un journaliste ou un gérant d’actifs ou un officiel de la BCE s’exprime sur les "bulles crées par les liquidités injectées dans le système avec tous ces quantitative easing (QE) et tous ces taux d’intérêt négatifs, ma bonne dame", il faudrait lui retirer sa carte de presse, ou sa licence, ou son job. Au passage, quelques sévices physiques se justifieraient, ainsi qu’un stage de requalification dans une cellule de déradicalisation ; stage dont les premières étapes pourraient être les suivantes :

1/ Bienvenue dans le monde réel 

Il ne sert à rien de dire à un bu-bulliste que le CAC40 est à 4300 points et pas à 6500 : il n’a pas d’actions (ou alors, en cachette ou il n’a pas regardé son PEA depuis 15 ans). Il ne sert à rien non plus de lui rappeler que les grandes matières premières sont TOUTES en chute libre depuis l’été 2014, et en fait depuis fin 2011, et en fait depuis l’été 2008 : il croit que c’est un coup des Saoudiens (grands producteurs de fer, de soja, de cuivre, de viande et de charbon, comme chacun sait), et puis il n’a pas bien relié les trois dates en question à quoi que ce soit. Il ne sert strictement à rien de lui raconter la déflation : il n’y croit pas, parce que l’indice des prix à la consommation (CPI : la plus mauvaise mesure de l’inflation de toute la galaxie, celle qui a poussé à monter les taux à l’été 2008 et au printemps 2011) reste positif.

Ne lui demandez surtout pas de préciser sa pensée quand il manipule à tout bout de champs le concept de "liquidités" excessives (qui débordent, comme chacun sait, sur les marchés, à tel point que les crises de liquidité prolifèrent, mais passons) : vous pourriez l’embarrasser, d’autant qu’il ne sait pas bien s’il parle de base monétaire, de crédit, ou d’injections non identifiées (mais certainement bullaires). Il faut aussi éviter de lui parler de toutes ces choses risquées qui chutent les unes après les autres (le High Yield en 2015, par exemple) puisqu’il est persuadé que l’on encourage une prise de risque excessive. Il est à peine plus utile de lui parler d’immobilier : il sait que les prix stagnent ou baissent sur le segment résidentiel en zone euro depuis 2008, il sait aussi vaguement que les bureaux peinent à trouver des locataires même dans les lieux cotés et même après de larges rabais, mais il trouvera toujours un contre-exemple dans sa famille ou chez un collège parti à Londres ou à Hong-Kong. De toute façon, il croit qu’il existe une bulle obligataire, car les taux nominaux ont baissé (et il ne verra pas là une contradiction avec son refus de croire dans la déflation ou une contradiction avec sa croyance dans un lien unitaire entre les taux et les finances publiques).

Alors, quelle méthode éducative adopter avec un bu-bulliste mal comprenant et multi-récidiviste (du genre de ceux que l’on peut lire dans "Taux d’intérêt négatifs, douze regards", Institut Messine, janvier 2016, téléchargeable gratuitement) ?? Je propose de lui parler d’abord doucement des instruments financiers disparus, puisqu’il croit depuis le début que cette crise n’est pas monétaire mais financière, et qu’il a peut-être vu "The Big Short" au cinéma :

1er module, pour sortir de cette secte BRI, sise avenue Axel Weber : revenir sur quelques événements depuis l’été 2007, en particulier la FANTASTIQUE DESTRUCTION (anti-bullaire) opérée partout par les banques et par les quasi-banques ("shadow banking", etc.) sur cette planète. Je me suis amusé ci-dessous à lister les principaux outils financiers qui servaient de quasi-monnaie en zone euro et qui se retrouvent, depuis la crise, endommagés, congelés ou annihilés au moins dans leur fonction de collatéral. Plus bas dans le même tableau, le bilan total de quelques-unes des principales banques européennes (car une méga-bulle sans l’aimable participation des bilans bancaires, on n’a jamais vu ça, nulle part). Que l’on vienne ensuite nous parler de bulle exubérante depuis 2008, en pleine ère glaciaire d’extinctions massives !

Montants des collatéraux européens, total

NB : depuis deux ans, les choses ont encore empiré pour le bilan des banques, surtout chez Deutsche Bank, et les perspectives ne sont pas plus riantes, en particulier chez HSBC, Barclays, etc. Les banques périphériques sont au tapis, toutes ont réduit la voilure et vivent sur respirateur artificiel (TLTRO, supervision BCE, mécanisme ELA, etc.). Bien sûr, les mêmes qui critiquent les "bulles en séries" viendront se plaindre à intervalle régulier des banques devenues plus frileuses, etc.

Toujours dans le même esprit, et pour relativiser les initiatives soi-disant gargantuesques de la FED depuis 2009, je vous propose les graphiques suivants (il en existe des centaines du même goût) :

Il faudrait relire David Hume (“If the coin be locked up in chests, it is the same thing with regard to prices, as if it were annihilated”). Il faut toujours relire David Hume. Pendant que la FED achetait un peu, Fannie Mae rapetissait, et des classes d’actifs entières étaient sur la touche, à large échelle… mais dans un silence médiatique de cathédrale.  

On est là à des années lumière de Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances et de la propagande ("If you look at what's going on [on] a global level, this increasing public and private liquidity on the financial markets, it's by sure that we are moving to the next bubble. I think we should learn lesson from crises we had", 9/11/2015).

Vous voyez où je veux en venir : si exubérance irrationnelle il y a, elle est d’un genre très années 1930. L’expansion du bilan des banques centrales (FED+BoJ+BoE+BCE) atteint disons $8tn depuis 2009 (huit mille milliards de dollars) : tout le monde en parle, c’est ce qu’on voit. La taille du bilan du système bancaire européen a oscillé autour de €32tn au cours des cinq années qui ont suivi septembre 2008, alors qu’au cours des cinq années précédentes ce dernier avait progressé d’environ €14tn : c’est ce qu’on ne voit pas. Entre septembre 2008 et septembre 2013, la BCE a étendu son bilan de moins de €1tn en face d’une destruction monétaire massive du secteur privé (arrêt des flux d’endettement, remboursements, faillites et défauts, disparitions d’instruments entiers, etc.). Conclusion : les banquiers centraux ont été beaucoup trop complaisants avant 2008 (oublie total du M3 à 4,5%/an, etc.), et beaucoup trop passifs depuis 2008, avec une mention spéciale pour la BCE dans le revirement procyclique (et hypocrite).

Pour quantifier le déséquilibre, on peut par exemple procéder à une comparaison entre l’accroissement des bilans des banques centrales et les pertes (le plus souvent définitives) de production par rapport à la tendance de long terme des économies occidentales : cette estimation, qui date d’il y a deux ans, n’a pas pris beaucoup de rides, et si les bandes bleues foncées ont repris depuis un peu de vigueur les écarts, eux, n’ont pratiquement pas bougé. Nous ne crevons pas d’hyper-activité mais d’hyper-passivité.     

Une autre façon de se représenter les choses consiste à comparer le QE de Draghi à la crise du crédit en zone euro (prêts aux entreprises hors financières), et à mesurer celle-ci non pas à l’aide de flux annuels en % mais via les évolutions cumulatives depuis 2009, en milliards d’euros sonnants et trébuchants : on voit que le "retour de crédit" pronostiqué partout depuis 4 ans est bien timide (ah, je croyais que les taux étaient "bas"…) et que, pour parler comme dans les Dents de la mer, nous allons avoir besoin d’un plus grand bateau : 

Il y a plein d’autres façons de documenter ce bazar conceptuel qui fait croire à beaucoup de gens que le déluge des liquidités a déjà commencé ou menace, en plein assèchement éthiopien. Mais je ne vais pas recommencer à vous parler ici des agrégats monétaires larges.

2/ Oui, on cherche un peu à impacter les prix des actifs. Et alors ? C’est un crime ?

Ces prix ne sont pas en régime de croisière : ils sont nettement dépressifs, souvent à la limite de la spirale. Les banques centrales ont toujours acheté des actifs, tous les jours (comment feraient-elles sinon pour agir sur les taux d’intérêt ou sur la masse monétaire ou sur les taux de changes ?), pour le meilleur et pour le pire, certes, mais conformément au régime monétaire qui est le nôtre et, présentement, en conformité avec le Traité et avec la cible d’inflation qui ne stipulent pas de rester les bras ballants face au désencrage des anticipations d’inflation, et qui n’interdisent que les achats d’obligations souveraines à l’émission, sur le (petit) marché primaire.

Il est facile de critiquer, de dénoncer doctement des "manipulations de cours", de ressortir du Mises ou du Hayek hors contexte, et de lister les risques qui sont nombreux (aléa moral, absence de "sortie" claire pour parler comme Denis Kessler, etc.). Oui. Et les risques de l’inaction ? Plutôt que du Greenspan put, peut-être faudrait-il parler du Trichet call. Car les critiques, tranquillement installés à Francfort, à Bâle et au Café de Flore, ne proposent rien, en tous les cas rien au niveau des trillions d’euros nécessaires et urgents que nous avons vus plus haut. Ils ne sont pas assez chrétiens pour évoquer la remise des dettes, pas assez wickselliens pour rappeler le déplacement du taux naturel, pas assez friedmaniens pour réclamer une monnaie hélicoptère en cas de crise grave, pas assez rueffiens pour remettre les taux de changes à leur place. Au mieux, on a le droit à une longue liste de courses de réformes structurelles (réformes pour les autres, bien entendu), non financées et sans rapport avec notre sujet, pour ne surtout pas interférer avec le "marché" pris comme concept (alors que les interférences avec les banques prises concrètement et individuellement les gênent beaucoup moins). La même liste qu’avant la crise, sauf que cette liste était pertinente avant la crise et juste odieuse désormais, anti-sociale au sens vrai du mot.

Alors, oui, Bernanke a mis les mains dans le cambouis de Wall Street, et même si on peut critiquer les modalités, les montants, le timing, les instruments, et certaines dérives (par exemple, les transcripts de la FED montrent qu’ils sont 50 dans les réunions… et rien ne reste très confidentiel à 50),… heureusement qu’il l’a fait, pendant que la BCE procrastinait. En 2013, l’indice SP500 a monté de 30%, non sans lien avec le QE3, et les prix immobiliers ont grimpé. Non seulement cela a plus que compensé cette année-là la plus forte austérité budgétaire jamais vue aux USA depuis 1954, mais cela a permis une élévation de la richesse nette des ménages de près de $10 trillions (équivalente à 60% du PIB US de 2013) : et on s’étonne que depuis deux ans la seule chose à peu près résiliente sur cette planète soit la consommation US, dont tout le monde profite au quotidien par divers canaux. En 1933, la performance annuelle du Dow Jones a été de +67 %, du fait de la détente monétaire. Ce n’était pas la création d’une nouvelle bulle, juste la reconnaissance par le marché qu’il est bon d’avoir enfin un pilote dans l’avion, et bon d’obtenir une dévaluation qui s’imposait. Le jour où la Grèce pourra dévaluer, sa bourse ressemblera un peu plus à quelque chose, et ce ne sera pas une dérive bulliste.

Idem pour le Japon depuis 2012. Là non plus, rien de nouveau. Les trois années de capitulation de la Banque du Japon (1999, 2003, 2013) ont été des années merveilleuses pour les performances du Nikkei (respectivement 37 %, 25 % et 55 %). Mais le Nikkei à 39000 points, fin 1989, on en est loin, et cette méga-bulle là ne s’est pas constituée avec des taux à 0% mais avec des taux jugés "normaux" par nos faucons, les taux à 5% des années 1980.

Ce n’est pas l’idéal d’intégrer les prix des actifs dans la fonction de réaction des banquiers centraux, OK. C’est d’ailleurs pour ça que je suis partisan d’une cible de PIB nominal, pas d’une cible de CAC40 ou d’immobilier. Mais faute de grives on mange des merles, et le design de la maison n’est pas un sujet intéressant quand elle brûle. On ne peut plus faire comme si les économies modernes n’étaient pas largement financiarisées, et comme si la finance globale ne participait pas à l’ancrage des anticipations d’inflation. Cela ne signifie pas que l’on crée des bulles automatiquement et "pour le plaisir". La "virginale" BCE a bien du capituler sur ce point, comme sur d’autres, notamment quand elle a dû agir un peu sur les spreads de taux, pour éviter la dislocation finale. Est-ce pervertir les marchés que d’agir en prêteur en dernier ressort quand on avait implicitement promis de le faire ex ante et que pendant des années on ne l’a pas fait ou alors avec une conditionnalité que l’on n’oserait plus avec des pays africains ?

Et puis, soyons logiques : si les prix des actifs sont affectés par la politique monétaire, cela réfute la "trappe à liquidités" et autres fadaises paléo-keynésiennes. Le fait que les marchés ne bougent pas d’un cil quand les impulsions viennent des autorités budgétaires, alors qu’ils sont à l’écoute du moindre sous-entendu dans une parenthèse de Draghi en bas de page, est riche d’enseignements et devrait nous mettre sur la voie, celle du market monetarism. Le marché (comme tout le monde dans une crise monétaire) demande de la monnaie, et lui en donner n’est pas "céder devant un diktat" mais faire une partie du travail. Du reste, on ne lui en donne pas, on lui en prête, ou on lui achète des actifs qu’il a déjà payés et qu’on retire du jeu : mise à part peut-être en Chine fin 2008, aucune "planche à billets" n’a été jusqu’ici appliquée à large échelle.

3/ Souvenez-vous des épisodes précédents

Des milliers de citations montrent que les déflations (années 1930 aux Etats-Unis, années 1990-2000 au Japon, etc.) sont TOUJOURS accompagnées d’un flux continu de commentaires et d’alertes sur les risques de bulles, de la part des journalistes, des banquiers centraux, des gérants d’actifs, même quand les indices sont en chute libre, même quand la civilisation est menacée, même quand l’inflation ne risque pas de revenir avec un chômage à 25%, même quand les banques sont à la limite du dépôt de bilan et le crédit en panne sèche. La lecture des grands éditorialistes de l’époque est instructive.

Combien de fois depuis 2007 a-t-on entendu des brokers commenter une réunion de la BCE avec ce genre de titres : Monetary policy did not play a central role in the ECB’s policy meeting today. Mais que peuvent-ils faire d’autre que de la politique monétaire dans un comité de politique monétaire en pleine crise monétaire ? Eh bien la lecture des transcripts de la FED avec 5 ans d’écart montre sur des centaines de pages que nos banquiers centraux passent la moitié de leur temps à disserter sur des risques imaginaires, sur des mécanismes "de sortie" à peine le dispositif de soutien entré en application, avec de longs monologues disculpatoires sur les remous provoqués par leurs politiques. J’imagine que c’est encore pire à la BCE, mais là les transcripts des réunions sont publiés avec un écart de… 50 ans ! (Et la pression médiatique est faiblarde pour plus de transparence, on est loin des hurlements de Wikileaks ! ). C’est bien la peine de passer son temps à se border dans des dizaines de réunions, si c’est pour mourir bien avant tout examen approfondi des positions exactes et des alertes précises des uns et des autres !

4/ Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans l’argumentaire sur les "banquiers centraux pyromanes"

Car allons au fond des choses : qui a rendu les banquiers centraux indépendants des politiques mais aussi des marchés et, de plus en plus, des données ? Qui leur a donné la supervision bancaire, c’est-à-dire l’obligation d’agir tout en surveillant les risques de l’action ? Des gens comme Hervé Hannoun, par exemple, ancien de la BRI, qui dans la publication mentionnée plus haut sur les taux négatifs n’a pas de mots assez durs contre les vilains risques pris par les aventuriers de la monnaie, et contre la "surresponsabilisation" des banques centrales. Mais qui les a fait rois depuis les années 1980 ? Et qui parmi les journalistes a vraiment enquêté sur les origines et sur les résultats du processus indépendantiste ?

Vous avez voulu une banque centrale indépendante, supranationale et supra-puissante. Vous obtenez le même résultat que dans les années 1930, avec Montaigu Norman et le docteur Schacht et le français Moreau : des apparatchiks consanguins très éloignés de la recherche en cours, une belle déflation à la clé. Des gens qui ne s’intéressent pas tant à la bourse (comme le notait Friedman, les technocrates n’ont que mépris pour les ploutocrates) qu’à la préservation de leurs privilèges indépendantistes, lesquels dépendent certes parfois d’une bourse qui ne chute pas trop… mais ils n’iront pas jusqu’à s’engager loin dans cette direction. Le vrai reproche que l’on peut faire aux banquiers centraux ce n’est pas de tuer le marché ou de l’alimenter dans le sens inverse à jets continus : sinon la volatilité serait réduite à presque rien. C’est au contraire d’agir mais sans ligne directrice à peu près claire ou cohérente dans le temps, les récents épisodes de retour de la volatilité étant logiquement liés à la visibilité apportée par la FED ou par la BCE aux marchés qui se compte désormais en jours. La moindre épicerie de province fournit à ses clients, à ses comptables et à ses fournisseurs des indications plus fiables et plus longtermistes sur ses perspectives et sur sa stratégie.

5/ La raison de tout cela : moimoïsme et diffraction du blâme (une fois que l’on cerne mieux la structure des incitations des banquiers centraux indépendants, tout s’éclaire) (encore faut-il abandonner l’hypothèse journalistique d’un dictateur bienveillant)

Certains annoncent une grande crise tous les ans pour plastronner sur les écrans lorsque leur "prédiction" se réalise (une montre, deux fois par jour, donne l'heure exacte…). D’autres, ont un niveau si faible en macroéconomie qu’ils n’ont pas le choix : importer rapidement de la crédibilité passe par une stratégie "plus-faucon-que-moi-tu-meurs", le genre plus à droite que la Bundesbank, pour ne surtout pas être accusé d’hétérodoxie (la vieille stratégie du mexicain qui vote Trump pour s’intégrer). C’est un axe privilégié par les journalistes français, dont le niveau est lamentable sur ces questions. Mais aussi par de nombreux experts financiers, qui ont appris à décortiquer un bilan mais pas un bilan de banque centrale.

En mettant l’accent sur les risques et sur les bu-bulles qui vont se créer à chaque étape, le banquier central (et son journaliste accrédité, un idiot utile) fait d’une pierre d’achoppement plusieurs sales coups :

  • il passe pour un sage

  • il justifie son attentisme, et il se fait prier

  • il prétend faire son job, qui est désormais aussi celui d’un superviseur et d’un régulateur

  • il coupe l’herbe sous les pieds de ceux qui l’accuseraient de ne pas avoir bien conscience de ses grands pouvoirs, et de ses responsabilités sociétales & intertemporelles

  • il fait un Bingo si le risque se concrétise un jour (30 ans de "je vous avais prévenu")

  • il écarte tout procès ultérieur en greenspanisation

  • il assure sa retraite chapeau à la BRI, où la soupe est bonne, tous les anciens de la Banque du Japon peuvent en témoigner

  • et le tout pour un risque mineur, le risque d’être détecté comme Tartuffe dans les colonnes d’Atlantico (l’asymétrie de ses incitations face aux risques n’a pas été détectée par grand monde en zone euro, et n’a été dénoncée par presque personne).

L’ancien président de la FED de Dallas, Richard W. Fisher, qui n’était pas un faucon mais un vélociraptor, et qui a fait perdre pendant des années des points entiers de croissance au PIB mondial par ses poses sur les marchés "hyper overpriced", a accédé 24 heures après son départ de la FED au board de PepsiCo, en mars 2015. Il dénonçait les bulles, maintenant il en produit en grande quantité. Même remarque sur Weber, Smaghi, Stein, etc. N’oubliez jamais qu’une expérience au sommet du monde rapporte un beau carnet d’adresses, qui peut se monnayer très cher, dans un conseil d’administration ou ailleurs, mais… à la condition de passer pour un sage, pas pour un excité qui a cherché à résoudre la crise via des outils inhabituels : tous ceux qui ont eu 100 fois raison au cours de cette crise dans le petit milieu des banquiers centraux (Blanchflower, Svensson, Kocherlatoka, Posen…) ont été saqués, au mieux ils ont retrouvé leur poste dans leurs universités. Milton Friedman notait déjà que la plupart des pauvres cloches de la FED du début des années 30 avaient parfaitement réussi leur reconversion. Rien n’a changé.

Le problème stratégique des banques centrales depuis 2007, c’est qu’elles ont opté pour l’approche retenue par les envahisseurs de Vega contre Goldorak, qui envoyaient leurs méchants "Golgoths" un par un se faire battre par le gentil robot japonais. Ils s’acharnèrent pendant des dizaines d’épisodes dans la reproduction d’une procédure certes connue, rassurante, mais totalement inadaptée, défaillante. Contre un ennemi aussi retors qu’une déflation, il faut envoyer tous ses vaisseaux, rapidement et massivement, et sans se pavaner dans le même temps dans des symposiums sur la gestion des risques de long terme. Il aurait fallu des taux peut-être très négatifs et surtout un vaste QE dès la fin de l’année 2008, à l’époque où Trichet attendait les chars et les Américains, et alors nos taux seraient en ce début 2016 à 3%, et le bilan de notre banque centrale "normalisé" depuis un bon moment. Au fond, on a sous-estimé la crise, puis on a agi comme des garçons-coiffeurs ou comme des envahisseurs de Vega, avec une culture de moyens, pas une culture de résultats, et chaque fiasco a été présenté comme une victoire (souvenez-vous, la liquidité bancaire à l’été 2007, les plans sur la Grèce, l’OMT, le plan Juncker, les LTRO, la ZIRP, j’en passe). Et toujours ce surmoi Bundesbank, ce mépris pour les expériences étrangères, ces prévisions et ces stress-test biaisés, et ces fausses excuses sur la nécessité de la "modération". La réalité, elle, dans une déflation qui s’installe et qui se déploie, n’est pas modérée. Et elle débouche ensuite un peu partout sur des résultats électoraux qui ne sont pas modérés du tout, mais qui là encore sont conformes aux épisodes précédents. C’est Sisyphe. On parle de bulle, mais on vit dans un cercle.

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