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Déclin de l’Europe et montée en puissance de l’Asie : ce que la grande crise du XVe siècle nous aide à comprendre de celle de 2008
©Reuters

C'était pas mieux avant

La grande crise du XVe siècle et celle de 2008 ont accéléré le basculement des rapports de force au niveau de l'économie mondiale. Suite à ces deux crises, l'Europe est entrée dans une phase de déclin tandis que la Chine est montée en puissance.

Dominique Barjot

Dominique Barjot

Dominique Barjot est Professeur d'histoire économique contemporaine et Directeur de l'École doctorale d'Histoire moderne et contemporaine de l'Université Paris-Sorbonne (Paris IV).

Ses travaux portent sur l'histoire des entreprises, l'américanisation économique et technologique et, de façon plus large, sur l'histoire de l'industrialisation du travail.

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Atlantico : Dans son dernier ouvrage, The Silk Roads: A New History of the World, l'historien Peter Frankopan compare la crise qui a frappé le monde au XVe siècle à celle que nous avons connue en 2008. S'il existe évidemment des différences, quels points communs – tant structurels que conjoncturels – est-il possible de souligner ?

Dominique Barjot : Il n’y a pas à proprement parler de comparaison possible entre cette crise et celle d’aujourd’hui sauf si l’on admet que le monde puisse être menacé par une catastrophe écologique, qui serait de l'ampleur de celle entraînée par la peste noire. En réalité, il faut comparer des évolutions comparables : la crise à laquelle fait allusion Peter Frankopan est une crise ouvrant sur dépression de longue durée, ce que l’on appelle un cycle long. On peut défendre l’hypothèse que nous entrons dans une période de décroissance de longue durée, mais à vrai dire je n’y crois pas trop : la montée en puissance de l'Inde, de l'Indonésie et de l'Asie du Sud-Est peut peut-être relayer le ralentissement chinois.

En revanche ce qui est peut-être plus pertinent c’est de dire qu’à travers la crise de 2008, a eu lieu un phénomène de basculement accéléré des rapports de force au sein de l’économie mondiale. D’une certaine manière c’est peut-être ce que cet historien cherche à montrer : entre le XIe siècle et la première moitié du XVIe siècle, l’Europe avait pris une avance importante, dont les croisades sont d'une certaine façon l'expression. Le monde d’aujourd’hui se traduit par la consolidation de la position de l’Amérique du Nord et la montée en puissance des grandes économies d’Asie (la Chine, l’Inde, voire l'Indonésie) qui  entraînent dans leur sillage les autres nations d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Nous vivons fondamentalement un déclin de l’Europe. En 1348, la grande peste noire a entrainé un effondrement de la population de l’Europe. On connait un affaiblissement marqué aujourd’hui mais au lieu que ce soit un effondrement brutal, c’est un affaiblissement de longue durée lié au déclin démographique. Par ailleurs, il provoque de grandes migrations en direction des pays européens, ce qui n’était pas le cas aux XIVe-XVe siècles, malgré l'arrivée des Turcs et des Mongols.

En revanche, il n’est pas possible de comparer ces deux types de crises si on raisonne sur le court terme c’est-à-dire en termes de cycles courts de 7 à 12 ans (business cycles).

A partir du XVe siècle, l'économie chinoise semble progressivement faiblir face à une économie européenne qui monte. Comment expliquer ce jeu de balance ? Quels sont les mécanismes et les problématiques à l'œuvre ; et jusqu'où peut-on donc penser que la crise de 2008 préfigurait des changements tout aussi majeurs dans notre économie ?

En réalité, tous les spécialistes sont d’accord sur le fait que le grand décrochage de l’économie chinoise par rapport aux économies occidentales (Europe et Amérique du Nord) s’est produit au XVIIIe siècle, c’est-à-dire au moment de la révolution industrielle. Mais ce décrochage puise ses racines dans un mouvement qui s’est amorcé au XVIe siècle avec les grandes découvertes, lorsque la civilisation européenne a commencé à se diffuser dans le monde entier, y compris dans les mers d’Asie de l’Est. Par ailleurs, au XVIe siècle, survient le choc de l’imprimerie. Le livre imprimé est une invention chinoise et coréenne, mais la diffusion du livre a été beaucoup plus lente dans le monde chinois et ses marges qu’elle ne l’a été en Occident. C’est la révolution du livre qui d’une certaine manière, en permettant la diffusion du savoir à un très grand nombre, a permis à l’Occident de prendre progressivement l’ascendant sur le monde chinois.

En dépit des ressemblances entre les deux crises, les siècles qui les séparent impliquent nécessairement certaines différences. Comment les puissances économiques de l'époque ont-elles su se sortir de cette crise ? Jusqu'où peut-on en dresser un parallèle ?

Entre les deux crises, ressortent plutôt des différences certaines que certaines différences. Il n’est pas pertinent de se focaliser sur cette différence mais il est plus intéressant de se poser la question de savoir comment l’on est sorti de ces crises. En Occident, l’une des caractéristiques de la sortie de la crise des XIVe-XVe siècles a été l’affirmation de l’Etat. Les catastrophes entrainées par la peste noire, par ce choc terrible qu’a connu l’Europe au XIVe siècle a eu pour conséquence de renforcer l’importance de l’Etat comme moyen d’assurer la sécurité des populations. Au  fond, la crise de cette époque a vraiment affirmé le rôle politique, économique et social de l’Etat. C’est peut-être l’un des points qui peut nous rapprocher de la crise de 2008 car on dit souvent que cette dernière a entrainé un recul partiel du paradigme ultra libéral tel qu’on avait pu le croire définitivement vainqueur après les expériences de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et de Ronald Reagan aux Etats-Unis. Après 2008, s’est opéré un retour vers une vision plus keynésienne au sein du monde occidental. Par exemple, les dépenses d’intervention de l’Etat se sont avérées (temporairement) décisives et, plus encore, la coordination des grandes puissances en vue d' essayer de trouver une solution à la crise. C'est évidemment très différent de ce que l’on a connu aux XIVe-XVe siècles où les Etats s’affirmaient les uns contre les autres. Cela a mené à de grandes guerres, dont la plus célèbre est la guerre de 100 ans. A partir de 2008, les grandes puissances au sein de l’Europe mais aussi à l’échelle internationale se sont coordonnées et ont multiplié les sommets. Par ailleurs, ce que l'on oublie souvent, les situations de longue durée, comme l'ont bien montré les schumpéteriens et les néo-schumpéteriens, poussent à des innovations technologiques fondamentales (on pense par exemple aux robots ménagers, aux objets connectés et à la révolution du 3D) qui relancent la croissance.

In fine, au vu et au su de tous ces éléments, quelles sont les leçons qu'il est éventuellement possible de tirer de ce parallèle ?

La première leçon à tirer est qu’il faut se méfier des parallèles : l’histoire ne se répète jamais car les conditions dans lesquelles surgissent les crises et s’élaborent les solutions pour en sortir ne sont jamais les mêmes. Néanmoins, il est important pour comprendre les phénomènes, et notamment notre monde d’aujourd’hui, de se replacer dans la longue durée.

Prenons par exemple la question de la Route de la Soie, thème lancé par la Chine. Cette dernière a toujours basculé entre deux hypothèses pour assurer son développement : premièrement, une vocation maritime à partir de ses grands ports, vocation qui l’amène aujourd'hui à commercer avec les pays occidentaux par le canal de Suez ou en direction des Etats-Unis par la Californie ou le canal de Panama, mais qui l'expose aux lourdes menaces pesant sur les Proche- et Moyen-Orient ; deuxièmement, une voie continentale qui l’amène à resserrer ses liens avec la Russie en direction de l’Europe du Nord, comme à l'époque de la Hanse. Aujourd’hui, pour des raisons géopolitiques, la Chine est dans une logique où la préférence va à la voie nordique, c’est à dire celle qui suppose une alliance avec la Russie et dans une moindre mesure avec l’Iran.

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