Hollande en Polynésie : pourquoi la France l’appelle à 16.000 km de Paris<!-- --> | Atlantico.fr
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L'atoll de Bora Bora, en Polynésie française.
L'atoll de Bora Bora, en Polynésie française.
©Philippe Wojazer / Reuters

Si loin, si proche

En voyage du 21 au 22 février en Polynésie française, le Président compte chercher des voix et négocier des subventions.

Renaud Meltz

Renaud Meltz

Maître de conférences à l'Université de Polynésie française, en délégation à l'ISCC
Titulaire d'un doctorat en Histoire contemporaine. 
 
Livres : 
 
De part et d’autre du Danube. Actes du colloque en hommage à Jean-Paul Bled, aux Presses Universitaires de Paris-Sorbonne en 2014, co-direction avec Matthieu Dubois.
Écrivains et diplomates. L’invention d’une tradition, XIXe-XXIe siècles, Armand Colin, 2012 (co-direction avec Laurence Badel, Gilles Ferragu et Stanislas Jeannesson).
Alexis Léger, dit Saint-John Perse, Flammarion, 846 pages, 2008, prix Maurice Baumont.
Voir la bio »

Atlantico : Quel rôle joue encore aujourd'hui le Président de la République à 16.000 km de l'Elysée dans ce chapelet d'îles grand comme l'Europe qu'est la Polynésie Française ?

Renaud Meltz : Tout d'abord, je précise que je ne suis pas un pur spécialiste de la Polynésie. Ce que l'on peut dire néanmoins, c'est que cette histoire remonte à un certain temps. Pour résumer, je dirais que la présidence de la République a entretenu des rapports complexes avec la Polynésie Française ces dernières années. Le personnage-clé dans ces relations depuis la fin des années 1990 est Gaston Flosse, qui a été député puis sénateur de la Polynésie de 1993 à 2014, et de nombreuses fois président de la Polynésie Française. Celui-ci avait clairement pris position pour Chirac contre Balladur en 1995, et avait profité de l'appui du président pendant les deux premiers mandats de celui-ci. Il y a certainement eu des affaires de postes fictifs voire de blanchiment d'argent qui ont nui à la vie politique polynésienne pendant un certain temps. Nicolas Sarkozy, arrivé au pouvoir, a tâché de le mettre hors-jeu, mais cela a été plus compliqué que prévu, car la personne sur qui il a misé, Gaston Tong Sang, tête de file d'une autre mouvance autonomiste, A Ti'a Porinetia, n'a pas réussi à s'imposer, malgré les affaires judiciaires en cours pour Flosse. C'est finalement Edouard Fritch, du propre parti de Flosse, qui a essayé de se débarasser de Flosse, mais la rupture a été lente à être consommée, pour des raisons symboliques et privées, Fritch ayant été son gendre. Aujourd'hui, c'est lui qui est aux commandes avec une majorité de bric et de broc, faite du parti de son beau-père et d'autres acteurs politiques plus minoritaires ou même des indépendantistes. Il va d’ailleurs profiter du voyage de Hollande pour organiser le congrès fondateur de son propre parti. C'est une période charnière pour la recomposition d'une force autonomiste qui romprait avec Flosse. 

Il faut bien prendre en compte le fait que cette opposition entre autonomistes et indépendants est doublement factice, parce que les alliances traversent cette ligne de partage, et que cette taxinomie ne renvoie pas forcément à des attitudes très différentes à l’égard de l’Etat : à savoir la plus grande marge de manoeuvre possible des institutions polynésiennes, avec le maximum de transferts financiers.

Qu'en est-il de ces aides que la France accord à la Polynésie Française ? Comment s'expliquent-elles ?

Le levier pour cela est l'idée d'une dette. Tout le monde se retrouve dans cette idée en Polynésie. Le souvenir du CEP, Centre d'Expérimentation du Pacifique, qui a été installé là pendant le processus de décolonisation de l'Algérie pour trouver une alternative éloignée de la métropole pour les essais nucléaires, touche l'intégralité de la classe politique locale. Il en découle l'idée que la France n'aurait pas eu sa bombe sans la Polynésie, que la France doit son statut, sa grandeur à la Polynésie et qu'elle lui est donc redevable et qu’elle doit réparer les maux causés par les expérimentations. Il y a aussi une appréhension véritable qui est, comme c’est normal dans ce type d’affaire, parfois déconnecté des réalités scientifiques, sur la pollution due à ces essais, sans compter la dimension symbolique d’une sorte de souillure : la pollution nucléaire renvoie à la présence indue des métropolitains. Dans la réalité, la vérité est à nuancer. La première période d'essais sur l'atoll de Mururoa consistait en des tirs atmosphériques qui de fait ont vraiment pollué (notemment l'archipel des Gambiers), accompagnés de discriminations dans les précautions prises, au détriment des populations locales. Une deuxième phase a consisté en des essais souterrains sans fuite mais avec une fragilisation des sols qui laisse à penser que des risques sismiques pourraient provoquer des échappements radioactifs un jour en cas de séisme. Les contaminations et cette menace font que la dette est considérée comme réelle par les Polynésiens. Un premier pas a été accompli avec Sarkozy et le ministre de la Défense Hervé Morin qui a mis en place une procédure d'indemnisation. Mais l'application de cette loi Morin est jugée insuffisante et insatisfaisante. Cette question va jouer dans les négociations sur la dotation que va accorder le chef de l'Etat pendant son passage en Polynésie.

François Hollande poursuit en quelque sorte la sortie des années Flosse entamée par Nicolas Sarkozy ?

D'une certaine façon, mais l'actuel Président évite l'écueil du candidat désigné en allant rendre visite au candidat de l'opposition indépendantiste, Oscar Temaru. La visée électoraliste n’est probablement pas étrangère à cette rencontre, un an avant le début de la campagne présidentielle, quand on se souvient qu’en 2007 Temaru s'était positionné contre Sarkozy pour Ségolène Royale, puis, en 2012, en faveur de François Hollande. Il renforce Fritch, homme fort des institutions et du dialogue, qui apparaît depuis Paris comme moins sulfureux que Flosse et plus compétent que Temaru, tout en allant à la pêche aux voix avant les présidentielles en rencontrant son adversaire politique, et ce dans un endroit où l'on vote de façon assez conséquente, et surtout en fonction de leaders (metua) qui disposent d'une forte aura populaire.

D'un point de vue économique, quel est l'intérêt de cette visite pour François Hollande ?

Aucun, réellement ! La Polynésie vit entièrement sous perfusion, à l'opposée de la Nouvelle-Calédonie. Le tourisme est moribond depuis une quinzaine d'année, notement du fait du coup du billet d'avion qui avoisine les 2000-2500 euros. Tahiti est enclavée dans un cul-de-sac et suppose des efforts d’aménagement du territoire considérables dans un espace grand comme l'Europe ! Il y a de la perliculture, un peu de pêche, des vogues qui suscitent de grands espoirs (le noni), mais ce serait insuffisant pour conserver ce niveau de développement (hôpital moderne, bonne couverture sociale, éducation, etc.) sans l’aide de l’Etat. Ce qui n’empêche pas la Polynésie de représenter un enjeu stratégique considérable, sans compter les ressources marines et le potentiel, difficile à évaluer à ce jour, en termes de ressources minérales dans les grands fonds océaniques.

Une nouvelle donnée locale est l'espoir d'investissements chinois, porté par les autonomistes, qui l'utilisent comme levier contre la France pour les négociations d'aides. Les autres projets ne donnent pas grand chose (dossier du développement d'un second port). C'est lié au fait que l'argent que déverse la France depuis les années 1960 et le CEP n'a été que très insuffisamment investi dans les infrastructures et le domaine productif. La classe politique locale a une lourde responsabilité dans les difficultés socio-économiques actuelles.

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