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Présidentielle américaine : pourquoi Hillary Clinton ou Bernie Sanders, même en cas de victoire, n’auraient sans doute aucun pouvoir
©Reuters

Cohabitation avec les républicains

Le temps de l'élection présidentielle aux Etats-Unis est aussi l'occasion du renouvellement d'un tiers des sénateurs. Dans un pays où l’exécutif est faible et les Etats forts, la bataille se joue de plus en plus sur la colline du Capitole, pour éviter le désastre d'une cohabitation d'au moins deux ans. Ce qu'ont bien en tête les candidats aujourd'hui.

Michel Goussot

Michel Goussot

Professeur Agrégé de Géographie
Maître de Conférence à Sciences Po Paris. CERI. A écrit Espaces et territoires aux Etats-Unis (2004).

 

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Atlantico : L'hypermédiatisation de la campagne présidentielle cache une autre bataille elle aussi déterminante pour le prochain chef de l'exécutif, celle du Sénat. Pourquoi peut-on penser que les Républicains garderont la main sur le Sénat ?

Michel Goussot : Il faut rappeler tout d’abord qu’il n’y a pas d’élections proprement nationales. Même l’élection du Président des Etats Unis se fait régionalement à l’échelon des Etats, puisque ce sont les grands électeurs qui l’élisent. Les élections sénatoriales sont donc très importantes car elles représentent le renouvellement d’un tiers de l’effectif de la chambre haute. Le Sénat étant déjà majoritairement républicain, et on peut s’attendre à une mobilisation pro-républicaine localement même si un démocrate gagnait les présidentielles. Mais ce scénario est encore très incertain, et pour qu’il y ait une situation de blocage de l’exécutif, il faudrait que la chambre des représentants soit suffisamment républicaine pour que le Congrès (union des deux chambres) leur soit acquis. Pendant les élections de mid-term qui interviennent au bout de deux ans (soit en 2018), c’est presque une tradition de voir la majorité présidentielle perdre sa majorité. On pourrait donc imaginer une situation inversée, avec une alternance suivie d’une situation de majorité au Congrès, c’est déjà arrivé. 

Ce qui est certain, c’est que celui qui tient le Congrès est aujourd’hui très fort, et a toutes les possibilités pour gêner le travail du Président, comme c’est le cas par exemple avec Barack Obama en cette seconde moitié de mandat. Les projets de l’Obamacare et la Cop 21 ont souffert de cette situation. C’est un peu comme si les présidents de régions avaient un pouvoir législatif en France aujourd’hui.

Si la chambre haute restait républicaine, que pourrait faire un candidat démocrate élu ?

Aux Etats-Unis, le pouvoir présidentiel est finalement assez faible. Le président américain s’oppose historiquement au roi anglais qui l’asservissait. Donc, contrairement à la France, il n’existe pas en tant que telle de situation de cohabitation, parce que l’essentiel de l’action gouvernementale peut être bloquée par le Congrès. Les réformes sociales de Sanders comme celle de la gratuité des droits d’inscription dans l’enseignement supérieur n’auraient aucune chance d’aboutir. Clinton en souffrirait peut-être un peu moins. 

La bataille interne entre Sanders et Clinton est-elle futile en comparaison du danger d'une cohabitation pour les Démocrates ? 

Evidemment, mais cette lutte entre la vision démocrate populiste de Sanders (ce qu’il appelle du socialisme, notion éminemment suspecte aux Etats-Unis) et une vision démocrate plus modérée et classique de Clinton montre une véritable scission au sein du monde politique américain. La position de Sanders apporte un gauchissement de la pensée démocrate à laquelle Clinton ne peut répondre, sa position d’ex-Première Dame (avec les fameuses affaires en fardeau) et ex-Secrétaire d'Etat la discréditant. Elle ne représente pas de nouvelles positions face au monde actuel. Mais au fond, Bernie Sanders non plus, si l’on regarde au-delà de sa communication. Il reprend des thématiques que l’on pensait propres aux programmes républicains, à commencer par l’America First, et un désintérêt total pour les questions diplomatiques. Pour des raisons différentes certes, mais sa critique de la mondialisation passe par une remise en cause de l’ouverture des Etats Unis sur le monde. 

On peut voir ici que la différence entre les camps est très ténue entre tous les candidats, du fait de l’absence d’idéologisation réelle des campagnes. Et la véritable exception est celle de Clinton, qui serait la dernière interventionniste dans un monde politique de plus en plus tourné vers l’Amérique. Elle aura donc paradoxalement plus à souffrir que Sanders sur ces questions particulières en cas de cohabitation. 

L’autre dimension que les principaux candidats, Cruz excepté, ne prennent pas assez en compte est la dimension religieuse, essentielle dans la Bible Belt (axe religieux allant de la Caroline au Texas). Sur ce point. L’importance de la religion au Sénat pourrait nuire à deux candidats démocrates très séculiers.

Et il est bon de rappeler qu’un troisième candidat pourrait nuire fortement à de nombreuses candidatures, à commencer par l'ancien maire de New-York Michael Bloomberg. C’est le retour à la présidence des "Dark horses", chevaux noirs qui sont des outsiders de plus en plus sérieux, comme le montre le cas d’Obama, petit sénateur sans médiatisation devenu en quelques années président. Le poids des élus locaux est essentiel dans leur élection. On irait vers un gouvernement prônant l’Amérique d’abord, qui remettrait au centre le pouvoir des Etats contre la politique plus macro-économique des Etats-Unis. Si des gens comme Cruz ou Trump venaient aux affaires, on devrait observer non pas du reaganisme mais un véritable retrait que l’on ne connaissait pas depuis l’avant-guerre, dans le prolongement de la doctrine Monroe qui se concentrerait sur l’influence américaine, voire uniquement nord-américaine. 

En revanche, si Trump, Cruz ou Rubio venaient à être élu, peut-on s'attendre à un grand retour en arrière avec la fin de l'Obamacare ou du Dodd-Franck Act (qui sécurisait les marchés financiers) ?

Evidemment, d’autant plus que ces "avancées" sont ténues, du fait de l’échec d’Obama sur deux plans : le premier étant la politique internationale, pour laquelle il n’a pas su fixer de cap clair (comme en France avec le président Hollande), et le deuxième étant la question sociale, où les demi-mesures se sont imposées avec une grande difficulté. Sur ces questions, les Républicains auraient toute latitude pour revenir en arrière. Leurs campagnes présidentielles s’inscrivent dans la même dynamique que celle des élections sénatoriales. Ce n’est pas pour rien que de nombreux candidats déjà battus se maintiennent : la constitution des futurs groupes parlementaires au Sénat est en cours. Et face à un certain éclatement de l’électorat et à la montée des populismes, il y a fort à parier que chaque candidat envisage sa campagne présidentielle comme un moyen de déblayer le terrain avant la campagne législative. Même si les images semblent montrer le contraire.

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