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Hillary Clinton dépouillée du vote jeune par Bernie Sanders : cette fracture générationnelle dont les politiques de l’establishment français feraient bien de se soucier
©Reuters

Rebelles aux urnes

La popularité des candidats "hors système" dans les pays occidentaux auprès des jeunes et l'abstention de ces derniers sont des phénomènes classiques. Mais leur intensification ces dernières années, surtout depuis la crise financière de 2008, relève davantage d'une demande d'inclusion sociale que d'un besoin de radicalité.

Monique Dagnaud

Monique Dagnaud

Monique Dagnaud est sociologue au CNRS. De 1991 à 1999, elle a été membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.

 

Elle a récemment publié le livre : Génération Y, les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (Presses-de Sciences-PO, 2011).

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Antoine Jardin

Antoine Jardin

Antoine Jardin est chercheur associé au Centre d'études européennes de Sciences Po. Jeune docteur, il a soutenu sa thèse intitulée "Voter dans les quartiers populaires : dynamiques électorales comparées des agglomérations de Paris, Madrid et Birmingham" le 5 décembre 2014.

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Atlantico : En quoi la façon dont le candidat Démocrate Bernie Sanders mobilise la jeunesse est-elle révélatrice d'un phénomène plus général au sein des pays occidentaux de cristallisation autour de candidats ne faisant pas partie de l'establishment politique (ou du moins adoptant une position anti-système) des espoirs déçus de la jeunesse ?

Antoine Jardin : Ces mouvements de mobilisation politique concernent la partie de la jeunesse la plus mobilisée et politisée et non pas l’ensemble de la jeunesse. Les jeunes qui soutiennent Bernie Sanders sont des électeurs démocrates qui avaient déjà une dent contre Hillary Clinton lors des primaires de 2008 et qui avaient voté pour Obama. Une partie de leur vote se reporte aujourd’hui sur Bernie Sanders, notamment chez les jeunes les plus diplômés, marqués politiquement à gauche et politisés. Le scrutin de l'Iowa de la première primaire révèle que ce sont dans les universités que Sanders a fait les meilleurs scores. L’autre tendance chez les jeunes, c’est le vote autoritaire anti-immigration en faveur de Donald Trump. C’est un vote de durcissement des positons à droite notamment sur l’opposition à l’immigration surtout latino-américaine. Trump recherche à incarner cette ligne radicale et la porte dans le débat notamment avec son projet de construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis. Cet anti-immigrationnisme est un phénomène nouveau dans le paysage politique américain puisque jusqu’à Georges Bush, les Républicains étaient parvenus à capter une majorité du vote hispanique jusqu’en 2008. Et ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais au-delà de ces deux différentes tendances de politisation de la jeunesse, la majorité des jeunes va rarement voter que cela soit pour les élections présidentielles ou bien pour les mid-term pour renouveler le Sénat et le Congrès. 

On ne peut pas dire qu’il y ait un rejet de l’establishment parce qu’il y a des candidats qui se présentent à l’intérieur même des partis mais on peut parler plutôt d’une défiance à l’égard des anciennes et grandes figures de la vie politique. Comme on le voit avec l’opposition très forte à Hillary Clinton au sein même du parti démocrate qui existe depuis 2008. 

Monique Dagnaud : Dans certains pays on a vu émerger des candidats ou des partis hors système : Beppe Grillo en Italie, Podemos en Espagne, le Front National en France, Bernie Sanders aux Etats-Unis. Toutefois, il s'agit de profils très différents et le soutien des jeunes  à ces candidats exprime des problèmes spécifiques liés à la jeunesse dans chaque pays.

En France,  aucun mouvement de jeunesse d’envergure n'a pris forme récemment, et le Front National capte la protestation d’une partie de la jeunesse populaire, touchée par le chômage et la précarité.  Par contre,  le mouvement des Indignés a eu une vraie résonance en Espagne et aux Etats-Unis.

L'Italie est également à part car la démarche de l'humoriste Beppe Grillo qui s'est investi dans la politique, en la tournant en dérision, a une dimension un peu Coluche.  A l'inverse, le parti Podemos en Espagne s'inscrit dans le cadre de la politique classique, avec comme assise des idées d'une gauche plutôt radicale.

Quant à Bernie Sanders, il s'agit d'un homme affilié à une tradition socialiste ou social-démocrate très européenne, peu présente aux Etats-Unis. Bernie Sanders est à bien des égards l'expression d'un mécontentement de la jeunesse qui s'était manifestée en septembre 2011 lors du mouvement Occupy Wall Street. Cette "révolte de la jeunesse", pendant quelques semaines,  a eu un fort écho aux Etats-Unis.  Cette protestation ciblait la finance, son poids dans la vie politique et les inégalités sociales grandissantes qu’elle a engendrées. Le mécontentement de la jeunesse aux Etats-Unis concerne également  le coût exorbitant de l'éducation et l'endettement des étudiants. La faveur en direction de Bernie Sanders reflète ce mécontentement, cette aspiration à un changement plus radical, la protestation contre Wall Street et la très forte concentration des richesses. De façon souterraine, le mouvement d'Occupy Wall Street est resté présent dans l’esprit de la jeunesse et  s'est réincarné à travers Bernie Sanders.

Malgré des contextes nationaux très différents, pourquoi la jeunesse des pays occidentaux se tourne soit vers des candidats "hors système" soit s'abstient de voter ?

Antoine Jardin : Il faut se rappeler que lors des dernières élections présidentielles en 2012, les jeunes ont massivement voté pour François Hollande notamment au second tour. S’il y a une montée générale du vote FN qui touche aussi les jeunes, il ne faut pas en conclure que les jeunes soient la catégorie la plus mobilisée en faveur du parti frontiste, surtout lorsqu’ils sont diplômés. Mais il faut bien comprendre que la vision du FN est différente chez les jeunes. A la différence de leurs ainés, les jeunes ont toujours grandi avec un FN installé dans le paysage politique français avec un niveau élevé. Chez les jeunes, le FN n’a plus l’image d’un parti hors-système comme le percevaient leurs ainés. Ils le perçoivent plus comme un parti autoritaire et anti-immigration mais pas forcément comme étant beaucoup plus radical que ne l’était l’UMP lorsque Nicolas Sarkozy était président. Chez certains jeunes il y  a une confusion des lignes entre le vote en faveur FN et le vote pour LR.

Monique Dagnaud : L'abstention plus forte de la jeunesse a toujours existé, c'est un phénomène classique. Toutefois, il est vrai que cette abstention n'a cessé de s'accentuer. Il y a un fort décalage entre la participation des jeunes et celle des électeurs plus âgés, au point que l’on peut dire que ce sont ces derniers "qui font le vote final". Toutefois, si, globalement, la participation aux scrutins est modeste lors des élections intermédiaires (50 % par exemple aux régionales), elle est toujours nettement plus élevée lors des présidentielles, et ce, pour toutes les classes d’âge.

Le choix politique de la fraction des jeunes qui votent est souvent en décalage par rapport aux grands partis. Cette attitude peut se manifester par un vote d'extrême gauche, écologiste  ou comme on le voit aujourd'hui en France plutôt d'extrême droite. Le vote décalé et l'abstentionnisme des jeunes ne sont donc pas des phénomènes si nouveaux.

Néanmoins,  la jeunesse des pays occidentaux a subi certaines conditions  ces dernières années, qui  pèse sur son attitude électorale. Dans plusieurs  pays occidentaux, les difficultés d'insertion des jeunes se sont accentuées, même aux Etats-Unis où le taux d'activité est bon. Ainsi,  au cours des dix-quinze dernières années, avoir un bon niveau éducatif  est devenu une pré condition pour entrer sur le marché du travail, ainsi que beaucoup d’autres critères –présentation de soi, langage,  bon niveau de lecture et d’écriture, connaissances numériques. Aujourd'hui le diplôme signe l'employabilité. Cette exigence pénalise l'insertion des jeunes  peu ou pas du tout formés et explique leurs choix électoraux.

Peut-on résumer ce rejet des politiques traditionnels à un besoin de radicalité ou est-ce plus complexe ?

Antoine Jardin : Le vote des jeunes dans l’ensemble des pays occidentaux est plus instable que celui de leurs ainés. Cette instabilité est une vraie tendance et qui s’explique par le rapport que les jeunes entretiennent avec la nature de leur vote. Les jeunes ne s’abstiennent pas de façon permanente mais ils vont voter une fois de temps en temps lorsque aller voter leur parait nécessaire et important. Ils ne votent pas par devoir mais selon la liberté de disposer ou pas de leur droit. Ils considèrent le vote comme un droit qu’ils peuvent exercer ou pas selon l’importance qu’ils accordent à l’élection. Leur comportement politique est beaucoup plus méfiant et plus mouvant que celui de leurs ainés. Cette attitude est une généralité que l’on retrouve dans tous les pays. Il ne faut y voir forcément un besoin de radicalité. L’ensemble des pays occidentaux ont été touchés par une profonde crise économique depuis 2008. Pour les jeunes qui sont arrivés sur le marché du travail pendant cette période, il a été très difficile de trouver un emploi. Ces difficultés économiques ont fait émerger un sentiment d’angoisse et d’insécurité chez les jeunes dans le sud de l’Europe, en Europe mais aussi aux Etats-Unis. Les enjeux concernant la qualité de vie et les conditions de vie ont donc incité les jeunes à s’intéresser un peu plus à la politique qu’ils peuvent très bien manifester par de la défiance puisque les politiques aux commandes lors de la crise financière n’ont pas été en mesure de réagir et de les rassurer sur leurs perspectives d’avenir. C’est donc moins une logique anti-système qu’une forte inquiétude qui incite les jeunes à être politisés aujourd’hui. Bernie Sanders l’a d’ailleurs bien compris puisqu’il propose un accès gratuit aux universités américaines. C’est devenu un des principaux enjeux de la primaire chez les Démocrates et Bernie Sanders utilise cette proposition comme un argument central contre Hillary Clinton. Il répond à une demande d’inclusion sociale et moins à une logique de contestation. 

Monique Dagnaud : Quand on est jeune, on adopte des postures plus tranchées. La radicalité est en lien avec la jeunesse. Mais cette radicalité est pluridirectionnelle, elle peut aller vers l'extrême gauche ou vers l'extrême droite. Les classes d'âge plus âgées se retrouvent plus facilement dans des partis de gouvernement, des partis mainstream.

Le souci de la jeunesse est de pouvoir se projeter et  de s’autonomiser. Quand les conditions d’accès à l’emploi, à l’emploi qualifié, à la mobilité ou au logement sont difficiles, la jeunesse s’interroge, s’indigne et peut se radicaliser. 

Les politiques ont-ils pris la mesure de cette désaffection de la jeunesse ? Pourront-ils continuer à faire de la politique "comme avant" ?

Monique Dagnaud : Qu'ils en aient pris la mesure, c'est sûr,  puisque les hommes politiques scrutent les sondages et les analyses  électorales. Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si beaucoup d'hommes politiques, Hollande le premier, ont fait de la question de la jeunesse une priorité lors de leur campagne.

Mais pour donner de la fluidité à la société et pour ébranler les positions acquises, il faut énormément de courage politique. Les hommes politiques ont souvent un discours axé sur la jeunesse,  son avenir et l'emploi.  Mais dans le même temps, ils sont davantage soutenus par les fractions de la population qui ont des positions acquises, ce qui pousse à l’immobilisme ou aux réformes minuscules. 

En ce qui concerne les Etats-Unis, Bernie Sanders est un homme tellement atypique à l'aune du paysage politique américain, qu'il est probable que ces primaires marqueront les esprits. Le prochain président américain saura-t-il s’en souvenir (si ce n’est pas lui ? )? Je ne suis pas sûre.

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