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1ère rencontre en 1000 ans entre le pape et le patriarche orthoxoxe : derrière le coup diplomatique de François, le long travail préparatoire de Benoît XVI
©Reuters

Du jamais vu

Le Saint Siège et le patriarcat de Moscou, instance suprême de l'Eglise orthodoxe, ont annoncé ce vendredi 5 février une rencontre historique, puisqu'il s'agira de la première rencontre entre un patriarche de l'Eglise russe et un pape depuis le schisme de 1054.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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 Le patriarche Kirill  et François se rencontreront à Cuba le 12 février, à l'occasion du voyage officiel du pape au Mexique. Un symbole fort pour l'Eglise orthodoxe, car elle célèbre ce jour-là, selon le calendrier Julien, la fête des Trois-Saints-Docteurs (Basile le Grand, Grégoire le Théologien et Jean Chrysostome).

Comment expliquer qu'il s'agit de la première rencontre entre un patriarche de l'Eglise russe et un pape depuis près de 1000 ans ? Sur quoi sont fondés leurs divisions ?

Christophe Dickès : L’histoire de l’orthodoxie est extrêmement complexe. Il faudrait remonter à la séparation de l’Empire romain d’Orient d’avec celui d’Occident au IVe siècle afin d’en saisir tous les aspects. On peut dire, pour résumer à gros traits, qu’il existe des différences théologiques entre catholiques et orthodoxes (La prière du Je crois en Dieu) mais aussi un conflit de pouvoir puisque Moscou refuse à Rome la primauté pontificale qu’elle exerce depuis des siècles. A ces deux considérations, se sont greffés d’autres conflits de toutes sortes, plus ou moins dogmatiques ou juridiques. Rome a ainsi été très proche du patriarcat de Constantinople ces dernières décennies alors que Moscou refusait la main tendue de l’un et même de l’autre!

Le métropolite Hilarion de Volokolamsk soulignait, dans une interview en juillet 2015 au journal italien Corriere della Serra, qu'une rencontre entre le pape et le patriarche Kirill  « serait une étape importante vers la guérison du fossé millénaire entre les branches orientale et occidentale du christianisme ». Dans quelle mesure cette rencontre peut-elle permettre d'avancer sur le chemin d'une réconciliation ? Depuis quand cette volonté existe-t-elle ?

Cette rencontre finalise un long mouvement de réconciliation entamé déjà il y a plusieurs décennies. Que l’on songe par exemple à l’action du métropolite Nicodème de Saint-Pétersbourg qui, victime d’un infarctus, meurt dans les bras du pape Jean-Paul Ier le 5 septembre 1978. Que l’on songe aussi à Jean-Paul II et à son encyclique sur l’unité des Chrétiens, Ut unum sint (Qu’ils soient un) de 1995. La conception européenne du pape polonais reposait aussi sur la théorie des Deux poumons empruntée au philosophe russe orthodoxe Ivanovic : pour que l’Europe respire, il lui faut nécessairement le poumon occidental de saint Benoît et l’oriental des saints Cyrille et Méthode. Pour Jean-Paul II le cardinal Ratzinger, chargé de préserver la doctrine, il existait une véritable complémentarité entre les deux traditions spirituelles.

Mais c’est le pontificat de Benoît XVI qui va être déterminant dans les avancées. Plusieurs rencontres entre 2007 et 2010 à Ravenne, Chypre et Vienne vont tenter de dépasser le conflit de juridiction. Il y eut aussi parallèlement le rétablissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Moscou qui fut un moment majeur dans l’affirmation d’une vision politique et sociétale commune (2009). Benoît XVI était très admiré en Russie. La traduction dans le pays de son livre Introduction au Christianisme fut un signe de cette influence et de la bonne disposition du patriarcat de Moscou qui, naturellement, fut consulté avant cette réconciliation diplomatique.

Qu'est ce qui, chez le pape François, le différencie de ces prédécesseurs et a ainsi pu lui permettre d'aboutir à cette rencontre ? 

Comme souvent, un pape récolte les fruits du travail de ses prédécesseurs. Mais on sait aussi que le pape François souhaite ardemment cette réconciliation. En ne cessant d’utiliser le terme d’évêques de Rome plutôt que celui du pape, il a donné des gages au monde orthodoxe. Il veut ainsi montrer sa volonté d’exercer collégialement le pouvoir et de ne pas prétendre à un pouvoir monarchique.         

Il réactive aussi les conceptions œcuméniques du Concile Vatican II portées par le pape Jean XXIII entre 1958 et 1963. Par exemple, il ne souhaite pas promouvoir les Uniates (orthodoxes rattachés à Rome) afin de ne pas heurter l’autorité patriarcale moscovite qui n’a jamais accepté le prosélytisme romain surtout sous Jean-Paul II.  De son côté, François, avec son air inimitable avait déclaré à un journaliste russe à son retour de Turquie qu’il avait dit à Kirill : « Je viens où tu veux. Tu m’appelles et je viens. » Cette rencontre a été préparée de longue date. Depuis deux ans en fait.

Quels sont les intérêts de chacune des deux parties à organiser une telle rencontre?

Ici politique et œcuménisme sont étroitement liés. Une telle rencontre renforce le jeu diplomatique de la Russie, c’est une évidence. Tant les liens entre le patriarcat de Moscou et la présidence russe sont forts. Le Saint-Siège, par exemple, n’a pas souhaité prendre parti sur le conflit ukrainien provoquant les reproches des évêques ukrainiens. Vladimir Poutine bénéfice donc d’un effet de bord, mais, il faut le rappeler, l’établissement de relations diplomatiques entre le Vatican et Kremlin s’est fait entre autres avec la volonté de faire face aux conceptions relativistes et hédoniste de l’Occident.

La rencontre entre François et Kirill renforce ce sentiment qu’il existe un bouleversement géopolitique des religions depuis 2009. Face à l’islamisme conquérant en Orient et ailleurs et face au laïcisme des sociétés occidentale, orthodoxie et catholicisme souhaitent avancer main dans la main. A mon sens –mais peut-être ai-je tort, il s’agit là de l’acte politique le plus important du pontificat de François avec la publication de son encyclique sur l’écologie.

De ce que nous en savons, cette rencontre durera environ deux heures et elle débouchera sur la signature d'une déclaration commune. Quelle pourrait être sa teneur ?

Je pense qu’il s’agira d’une déclaration de principes. Il ne sera pas question de litiges théologiques puisque des commissions travaillent sur ces sujets depuis de nombreuses années. Il ne sera pas plus question d’une remise en cause du pouvoir des papes tel qu’il est défini dans le droit canon. Les deux hommes vont se contenter de se fixer une ligne de conduite afin de répondre aux grands défis de l’époque : l’éducation et l’enseignement de la jeunesse, la protection de la famille, la nouvelle soif de spiritualité, etc.

En revanche, il sera extrêmement intéressant de voir ce que va décider le concile panorthodoxe organisé en Crète au mois de juin prochain. Il rassemblera les patriarcats de Moscou, de Constantinople, d’Antioche… Bref tous les orthodoxes. Cet événement, inédit depuis plus de 1000 ans, visera peut être à redéfinir les rapports de l’orthodoxie avec le siège de Pierre. D’ailleurs, dans sa rencontre avec François, il existe un geste politique de Kirill, précisément en vue du concile panorthodoxe. En effet, en rencontrant le pape François, il tient à rattraper un retard alors que son rival de Constantinople, Barthelemy, a toujours été très en vue à Rome.

Propos recueillis par Cécile Picco

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