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François Mitterrand, le Président qui faisait croire qu’il méprisait l’argent, mais qui a pu compter pendant des lustres sur un généreux mécène, Roger-Pelat, le personnage clé de l’affaire Péchiney
©Richard Melloul

Nouvelles révélations

Pour la première fois, deux journalistes, Jean-Marie Pontaut et Dominique Torrès lèvent un coin du voile sur les relations entre François Mitterrand et l’argent. On y apprend que son très proche ami, Roger-Patrice Pelat se comportait avec lui comme un généreux mécène. Que ce même Pelat, personnage clé de l’affaire Péchiney, subventionnait des associations proches de Danièle Mitterrand. Le livre révèle encore l’incroyable rôle de Michel Charasse à l’occasion du fameux prêt consenti à Pierre Bérégovoy… par Pelat.

Jean-Marie Pontaut

Jean-Marie Pontaut

Jean-Marie Pontaut est journaliste d'investigation.

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Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Gilles Gaetner : Dans votre livre écrit avec Dominique Torrès, qui vient de paraître, « Un si cher ami », (Editions Michel Lafon) vous évoquez l’affaire Péchiney- qui a éclaté fin 1988- dans laquelle un très proche du Président d’alors, Roger-Patrice Pelat sera mis en cause pour un délit d’initié. Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de ce scandale qui ébranla la Mitterandie ?

Jean-Marie Pontaut : A la fin de l’année 1988, la justice apprend que Roger- Patrice Pelat a commis un délit d’initié qui lui a permis d’empocher en France et en Suisse, environ 7 millions de francs. Voici de quoi il s’agit : quelque temps auparavant, Péchiney, entreprise récemment nationalisée, négociait le rachat de l’entreprise américaine Triangle. Bien évidemment, ces pourparlers, tant que l’accord n’avait pas été concrétisé, devaient rester secrets. Aucune opération financière n’était permise. Or, juste avant l’accord Péchiney-Triangle, Pelat, visiblement bien informé, bénéficiant d’une information privilégiée, achète un gros paquet d’actions Triangle, réalisant une plus-value de plus de 2 millions de francs. Quelques temps après, le scandale prend une nouvelle ampleur lorsqu’on découvre que l’ami de François Mitterrand a également acheté des actions Triangle en Suisse. Plus du double de ce qui avait été raflé en France. Autant le dire, cette affaire de délit d’initié ne correspondait pas vraiment aux critères de la politique socialiste de l’époque ! Qui a passé ce tuyau en or à l’ami de toujours de François Mitterrand ? En faisant parler, pour la première fois, des témoins directs et des proches collaborateurs de l’époque de Matignon, nous répondons à cette interrogation. Cette affaire, un scandale d’Etat, je vous le rappelle, a connu un retentissement énorme dans la classe politique et l’opinion, obligeant François Mitterrand, à se justifier à la télévision, lors d’un mémorable 7 sur 7 animé par Anne Sinclair. Mais, comme nous l’avons relaté, le Président n’a pas dit toute la vérité sur ses rapports avec Pelat…

Précisément, qui était Pelat ? Quels liens l’unissaient à François Mitterrand ?

Pendant près de 50 ans, Pelat, dont nous traçons un portrait très fouillé, inédit, a accompagné  François Mitterrand. Tous deux se sont connus dans un stalag en Allemagne en 1940. C’est là que ce dernier a a aidé le jeune François alors qu’a priori, tout les séparait. «  Pat », comme le surnommait Mitterrand, était un ouvrier de chez Renault, bravache et chaleureux, très éloigné du bon élève, intellectuel de province qu’était le futur Président de la République. Dès 1940, les deux amis vont se soutenir l’un l’autre toute leur vie durant. Financièrement et moralement. D’ailleurs, ils dessineront ensemble, leurs portraits de résistants… plus ou moins fantaisistes.

Revenons à Péchiney. Elle semble illustrer toute l’ambiguïté de François Mitterrand. D’un côté, il prône la morale, on pourrait presque parler de République exemplaire et de l’autre, il laisse ses amis s’enrichir indûment. C’est bien cela ?

Exactement. C‘est la manifestation même de la duplicité étonnante de François Mitterrand. Elle a lieu dès les premiers jours de son accession à l’Elysée en mai 1981 où il condamne fermement le capitalisme, tout en ordonnant à ses collaborateurs de faciliter les affaires de son ami de toujours. L’Elysée ira jusqu’à fausser la concurrence lors d’un marché public pour faire plaisir à Pelat. Cette anecdote nous a été racontée par Jean Peyrelevade, ex- patron du Lyonnais et ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy. Insaisissable Mitterrand ! Il méprise l’argent – « cet argent qui corrompt »- et se fait volontiers entretenir par ses amis.

Pensez-vous que Pelat a informé son ami François de son achat illicite d’actions Triangle ? Pour aller plus loin, François Mitterrand était-il au courant de toutes les activités de Pelat ?

Nous ne le pensons pas. Aucun élément n’accrédite cette thèse. Par contre, selon un témoignage incontestable, au mois de décembre 1988, la veille de la révélation publique des achats d’actions Triangle par Pelat ce dernier en a informé le président de la République. Nullement offusqué, ce dernier avait simplement averti son ami : « Ils ne vont pas te lâcher », faisant allusion aux journalistes et à la justice. Lors de leurs longues promenades, les deux amis n’évoquaient pas seulement leurs bonnes fortunes sentimentales – sujet favori de leurs conversations-. Ils parlaient aussi travail et affaires. Il est acquis, à nos yeux, à la suite de notre enquête, que Mitterrand a su très tôt que son ami industriel franchissait souvent, sans état d’âme, la ligne rouge de la légalité. Pour être complet, nous sommes convaincus que si «  François » avait désapprouvé les dérives de «Pat », ce dernier n’aurait jamais été aussi loin. Si, par exemple, le Président avait demandé à Pelat de ne pas placer une partie de sa fortune en Suisse, ce dernier aurait sans doute obtempéré.

L’argent, justement. Les bonnes affaires. Vous évoquez également le dossier Vibrachoc, une entreprise qui semblait en déclin. Fondée par Pelat à la fin de la guerre, comptant parmi ses dirigeants, Robert Mitterrand, le frère de François, elle va être revendue en 1982, 110 millions de francs, sur ordre de l’Elysée, à une filiale de la CGE présidée à l’époque par Georges Pébereau. Surprenant, non ?

La vente de Vibrachoc constitue ce que nous appelons « une arnaque légale. » Elle a effectivement été rachetée par deux banques et une entreprise nationalisée, aux ordres du gouvernement, à un prix très supérieur à sa valeur réelle. Mais surtout la moitié du prix de Vibrachoc sera payée en Suisse ! Pour la première fois, un ancien haut fonctionnaire du Trésor nous raconte les dessous de cette transaction. Nous devons également préciser que cette société Vibrachoc symbolise d’une certaine façon les liens étroits qui unissaient les deux amis. Pelat, en effet, que ses employés par parenthèse adoraient, avait salarié fictivement François Mitterrand avant d’en faire autant avec un de ses fils, Gilbert.

Poursuivons sur Pelat. Vous faites allusion à des voyages de François Mitterrand à Genève. Pelat y détenait des avoirs. L’ancien Président aurait-il pu y détenir de l’argent géré par « son si cher ami » ?

Nous avons en effet mis la main sur une note troublante de la direction centrale des Renseignements Généraux qui détaille un voyage de Mitterrand, en 1970, à Genève, uniquement pour rendre visite à une célèbre institution bancaire. 1970, je vous le rappelle, c’est un an avant le congrès d’Epinay où le futur Président fustige, déjà, « l’argent qui corrompt et l’argent qui tue. » Près de vingt ans plus tard, l’ancien directeur financier de Vibrachoc déclarera à la justice que Pelat mettait de l’argent à disposition de son ami en Suisse. Mais c’est surtout en France que ce dernier va aider François Mitterrand. Ses soutiens seront très variés : financement des associations de Danièle Mitterrand et de la presse de gauche, qu’il ne lit pas, coup de pouce à la fameuse maison de Gordes où le président retrouve en secret sa deuxième famille. Ce dernier aura même droit à un mystérieux chèque de Pelat –montant : 150 000 francs- que François Mitterrand endossera imprudemment. Mais le bon Pelat ne se montrera pas généreux seulement avec les Mitterrand…Il le sera aussi avec Pierre Bérégovoy, en lui accordant ce fameux prêt de 1 million de francs.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce prêt sans intérêt consenti par Pelat a permis d’acheter à Pierre Bérégovoy son appartement situé rue des Belles-feuilles dans le 16ème arrondissement de Paris. En soi, ce prêt n’avait rien d’illégal. Mas sa révélation au grand jour par la presse mit Bérégovoy dans une situation intenable, d’autant que la famille Pelat, sur instigation de Michel Charasse affirmait que ce prêt avait été remboursé rubis sur l’ongle par des meubles et œuvres d’art ! Ce qui ne pouvait être vrai, Bérégovoy ne disposant pas de fortune. Ce stratagème va littéralement enfoncer le premier ministre d’alors. A ce sujet, nous décrivons une scène proprement ahurissante qui se déroule à Matignon, où Michel Charasse propose au directeur général des Impôts d’établir une déclaration antidatée avec une liste bidon d’objets !

Hier, Péchiney, Urba… Aujourd’hui l’affaire Cahuzac et son compte en Suisse. Le PS serait-il devenu immoral ? Pour longtemps ?

Il est clair que le comportement de François Mitterrand, les liens incestueux qu’il a entretenu et laissé se nouer entre la politique et l’argent, bref, cette succession d’affaires troubles, ont largement contribué à discréditer l’image des hommes politiques et ceux de la gauche en particulier. Cette dégradation ne semble devoir connaitre sa fin. Les Français la supportent de moins en moins. Ces aspects de la vie et de l’œuvre de François Mitterrand que nous avons décortiqué, n’ont pas été évoqués lors des commémorations sur le 20ème anniversaire de sa mort… Vous n’en êtes pas étonné ! Mais elles gomment une part importante de son héritage.

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