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Incendie d’une église à Fontainebleau  : ce que l’on oublie souvent des chiffres des profanations en France
©Reuters

Vandalisme

Dimanche 10 janvier, deux églises ont été incendiées, l'un de ces délits serait d'origine criminelle. Selon les derniers rapports, la grande majorité des profanations concernait des lieux catholiques, une proportion qui n'est pas transposée dans les médias.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Deux églises ont été incendiées dimanche matin en Seine-et-Marne. L'un de ces délits serait vraisemblablement d'origine criminelle. Sur les 807 cas de profanations recensés en 2014, 206 cimetières et 467 lieux de culte catholiques avaient été pris pour cible. Quelles sont les intentions derrière ces chiffres ? Ouverture aux heures de culte... Quelle serait le prix des solutions pour faire baisser ces chiffres ?

Guylain Chevrier : En dehors des purs vandales pour lesquels c’est un acte gratuit, ceux qui s’attaquent à ces cimetières et lieux de cultes visent quelque chose de très symbolique. On entend par-là exprimer à travers le rejet des symboles, le rejet de toute une société. C’est la France qui est visée.

Depuis que les affirmations identitaires ont commencé à se faire entendre, il y a eu une montée en tension constante, propre à des revendications religieuses à caractère communautaire venant remettre en cause la règle commune, à la faveur de la promotion des différences. Il y a un climat très violent qui se développe envers tout ce qui peut représenter d’une manière ou d’une autre des repères communs, que certains voient comme l’expression d’une domination parce qu’ils ne peuvent penser qu’en communautés, distinctes, concurrentes. Pourtant, la laïcité républicaine invite à penser avant tout sur le mode du respect des droits et libertés individuels, des convictions et opinions de tous, à porter au-dessus des différences la liberté de conscience, le droit de croire ou de ne pas croire. Les lieux de culte catholiques sont pris pour cible dans cette contradiction, amalgamés avec une France laïque, parce qu’ils font il est vrai partie de la même histoire. Une religion vécue par certains comme adversaire, pas simplement comme religion, mais comme celle qui a fini par accepter la laïcité que d’autres combattent au nom de leur religion.

Ces tensions amènent malheureusement à devoir repenser le statut des lieux de culte. Faudrait-il pour satisfaire à ce climat que les églises, qui sont des monuments souvent inscrits dans notre patrimoine architectural et artistique, culturel, en arrivent à se fermer en étant soumises à un repli communautaire imposé, au lieu d’être ouvertes à la société ? Cette façon de pouvoir entrer librement à tout moment dans une église en fait un lieu ouvert à tous, croyants ou non, comme élément partie prenante de l’organisme social dans son entier, participant d’un esprit d’entente, de confiance, de pacification des relations sociales.

Les mosquées ont fait ce week-end une opération porte-ouverte, ce qui est une bonne initiative, mais le chemin est encore long qui les fera s’inscrire dans notre paysage comme nos églises, jusqu’à se sentir chacun invité naturellement à les visiter. Cela passe par accepter la France dans ce qu’elle représente, plutôt que d’en appeler régulièrement à ce qu’elle s’adapte à toutes les différences, ce qui en ferait une mosaïque sans âme commune, sans histoire, sans identité partagée ni destin commun. La Bonne Mère, Notre-Dame-de-la-garde, qui trône au-dessus de la ville de Marseille, fait référence commune forte pour tous les marseillais, croyants ou non, tel un fait culturel puissant. Une société ne saurait être qu’une simple addition de différences, il lui faut des principes et des valeurs communes, des symboles, et une histoire d’où elle vient qu’elle n’a pas à renier, qu’elle soit gréco-romaine, judéo-chrétienne ou/et républicaine, pour faire place au nouveau.

Comment expliquer que ce phénomène si imposant soit si peu relayé ou évoqué, que ce soit dans les médias ou de la part des pouvoirs publics ?

On braque les projecteurs, spécialement depuis les derniers attentats, sur le fait qu’il y ait des actes anti-musulmans, à l’appui de chiffres présentés comme énormes parce qu’ils sont en augmentation dans ce contexte. Il s’agit de 400 actes par exemple pour l’année 2015, dont la nature relève essentiellement de menaces ou d’insultes, ce qui est problématique, mais n’explique pas la surenchère médiatique et politique qui les met en exergue. Les actes antisémites passaient déjà en 2014 la barre des 850, dont une majeure partie comprenait des violences dont des actes de torture et des meurtres. Rappelons au passage que nos concitoyens de confession juive ne sont que 500.000, dix fois moins que nos concitoyens de confession musulmane, ce qui donne encore un autre relief à ces chiffres, pourtant bien moins l’objet d’un affichage médiatique. Si on parle des actes de dégradation tournés contre les cimetières et lieux de culte, ce sont les symboles chrétiens qui l’emportent et de loin, il s’agit des trois quart de ces actes. Pourquoi alors n’en parle-t-on quasiment pas, ou seulement lorsque deux églises brûlent dans le même temps un dimanche matin dans la banlieue, comme cela vient d’être le cas ? Où est donc le problème ?

Il y a plus de politique qu’on ne le pense derrière cette peinture des choses. Cela tient à la promotion du traitement des minorités, qui de plus en plus prend le pas sur ce qui peut identifier la France, tels les clochers des villages traités sous le signe du folklore qu’on brocarde allègrement, quand l’évocation de la mosquée est traitée sur le mode du sacré qui ne doit pas faire rire, l’émotion devant le religieux étant alors à son comble. Les actes anti-blancs sont totalement absents des médias, qui voient derrière ce thème une sorte de racisme larvé, comme si, seules les minorités dites visibles avaient ici droit de se faire entendre. Cela ressemble à la volonté de faire prévaloir les différences sur ce qui nous est commun, sur ce qui marque l’histoire d’une France qui a par exemple, à son calendrier, des jours fériés catholiques qui, par héritages se sont sécularisés, pour devenir les jours fériés du calendrier civil et républicain, inscrits dans le paysage mental, à la façon d’un rituel social, comme autant de repères nécessaires à faire société. On retire les sapins de Noël de crèches, d’écoles pour ne pas froisser d’autres religions, alors que cette fête est l’expression d’un point culminant pour tous, croyants ou non, d’un rendez-vous de sociabilité. Ce qui est de l’ordre de la référence de la majorité, même si cela n’est qu’en termes de fond d’écran, de décor historique, est déprécié, la différence étant devenue semble-t-il l’unique véritable objet de culte…

De la même façon, on ne pense plus qu’en termes de minorités lorsqu’on évoque les pauvres qu’on identifie avec les immigrés, en lieu et place des classes sociales, alors qu’il existe bien plus de pauvres d’origine du cru, de chômeurs et d’ouvriers blancs de chez blanc, qui font peuple avec les autres. Ils paraissent avoir disparu de l’écran, sur lesquels il n’y aurait quoi qu’il arrive rien à dire semble-t-il, à la façon d’un Georges Perec réécrivant le monde, expurgé de la lettre « e » dans « La disparition ». C’est vrai aussi de ceux qui peuplent les campagnes, 20% de la population, où le niveau de pauvreté est supérieur aux centres urbains et leurs banlieues qui tiennent pourtant lieu, dès qu’il est question de pauvreté, de seule référence. Il faut sortir de cette lecture idéologique qui divise en renvoyant chacun à une communauté au lieu d’unir, de se penser ensemble. C’est tout un imaginaire social qu’il s’agit de repenser, en sortant aussi de l’opposition artificielle entre le monde ancien, uni, qui serait dépassé, et le nouveau, nécessairement multiple, variable. Tous y gagneraient en bienveillance, en fraternité.

Mieux protéger les lieux de culte catholiques passe par une toute autre façon de traiter les rapports des religions à la société, en sortant de l’opposition entre église dominante et église dominée, pour passer à l’idée de communauté d’individus ayant tous les mêmes droits, la même liberté de conscience. C’est vrai aussi sans rien oublier de notre histoire et de ces clochers qui donnent à la France cette image d’Epinal, chargée d’émotion, du village français. Quels que soient les lieux de cultes, pour qu’ils soient ressentis comme bien commun, il faut qu’on y respire bon la République, l’esprit partagé d’une même liberté, par-delà nos différences.

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