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Pourquoi François Hollande devrait penser à réformer Pôle Emploi dans son nouveau plan de lutte contre le chômage
©Reuters

Le chômage ne chaume pas

Le chômage de masse existe depuis trente ans. François Hollande a eu beau faire de sa lutte contre le chômage, une priorité du gouvernement, la courbe du chômage ne s’inverse toujours pas, surtout après la hausse record enregistrée en octobre (+3,1%) et 10,6% des Français sont au chômage. Des mesures choc pour l’emploi, dont un plan "massif" sur la formation des chômeurs, seront annoncées le 13 janvier prochain lors des voeux de François Hollande au patronat et aux syndicats. Seront-elles suffisantes pour inverser la courbe du chômage?

Michel Godet

Michel Godet

Michel Godet est économiste, professeur et membre de l'Académie des technologies.

Il est l'auteur de Le Courage du bon sens (Odile Jacob, 2009), Bonnes nouvelles des conspirateurs du futur (Odile Jacob, mars 2011), de La France des bonnes nouvelles (Odile Jacob, septembre 2012) et de Libérez l'emploi pour sauver les retraites (Odile Jacob, janvier 2014) Il anime également le site laprospective.fr.

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Aude  Rossigneux

Aude Rossigneux

Grand reporter, rédactrice en chef de Reporter Sans Frontière, elle a coécrit Confessions d'une taupe à Pôle Emploi en mars 2010, publié aux éditions Calmann-Lévy, une enquête sur les dysfonctionnements de l'assurance-chômage en France.

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François Hollande multiplie les mesures pour réduire le chômage sans jamais réformer Pôle emploi. Pourquoi? 

Aude Rossigneux: Le problème n’est pas de réformer Pôle emploi mais de donner les moyens de mieux faire fonctionner cet organisme. Il faut arrêter de vouloir toujours tout réformer. On devrait plutôt se demander quelles sont les raisons qui expliquent le manque de résultat. On a essayé de faire de Pôle Emploi une organisation rentable. Or, Pôle emploi est un service public et n’a pas vocation de faire du profit. C’est comme l’hôpital pour la santé. Lorsque des grains sables du libéralisme se retrouvent dans une machine qui n’est pas faite pour accroitre sa production et ses dividendes, elle se met à rouiller c’est comme lorsque vous mettez du diesel dans une voiture qui ne fonctionne qu’avec de l’essence. 

Michel Godet : Nos élites doivent cesser de penser les solutions d’en haut mais regarder les dispositifs qui fonctionnent aujourd’hui dans la France d’en bas, la France des territoires et s’inspirer des bonnes pratiques. Comment explique-t-on qu’une région comme la Vendée compte 7% de chômeurs ? Un exemple de bonne pratique est donné par le groupe IDEES, présent à Dijon et dans 21 départements, qui réinsère les chômeurs de longues durées pour moins de 7 000 euros par personne insérée avec un taux de succès de 70%. Ce groupe réinsère des gens qui sont considérés par Pôle emploi comme inemployables. Le bilan est plus que positif pour la collectivité qui récupère plus que sa mise en impôts et taxes des ex-chômeurs réinsérés. Au bout de 18 mois. A comparer au coût de 12.000 euros par chômeur pour le programme massif de formation des chômeurs. Il sera surtout minime en termes d’emplois créé.

La fusion ANPE Assedic a transformé les métiers des agents qui sont devenus plus polyvalents en gérant à la fois accompagnement et indemnisation… Cette réforme, adoptée en 2009 sous Sarkozy a-t-elle été aboutie?

Aude Rossigneux: Cette réforme était une bonne idée. Réunir sous la même bannière, le placement et l’indemnisation, qui sont les deux volets du chômage était une mesure de bon sens. Mais la fusion a été faite trop rapidement. Il faut se donner les moyens pour lancer de grandes réformes. Nicolas Sarkozy a voulu aller trop vite et a mis la charrue avant les boeufs. Les employés se sont mis à faire du placement alors qu’ils faisaient de l’indemnisation avant, sans pouvoir suivre une formation pour préparer à ce changement de poste. Les dysfonctionnements étaient donc prévisibles. 

Que pensez-vous du nouveau dispositif de contrôle des chômeurs lancé par Pôle emploi fin septembre qui déploie 200 agents chargés de vérifier que les demandeurs d'emploi sont bien en recherche active? Ne déplace-t-on pas le problème? le vrai sujet n’est pas de radier les chômeurs des statistiques mais de les placer, de leur trouver du travail? 

Aude Rossigneux: Demander à des agents de surveiller les demandeurs d’emploi revient à dénaturer la fonction de Pôle emploi. La vocation des agents est de trouver du travail et non pas de jouer à la police. On ferait mieux d’affecter ces 200 personnes à Bercy pour débusquer les exilés fiscaux ou pour contrôler le travail au noir qui représente un manque à gagner pour l’Etat bien plus important que la fraude aux allocations qui s’élevait en 2013 à près de 100 millions d’euros alors que la fraude aux cotisations sociales représentaient 25 milliards d’euros. Il serait donc plus judicieux que ces 200 agents viennent renforcer l’Inspection du travail dont les effectifs ont été baissés alors qu’avec le développement du travail au noir, ce sont de nombreuses cotisations qui ne rentrent pas dans les caisses de l’Etat. Faire des chômeurs des bouc émissaires, c’est un peu abusif non?

L'organisme sert-il toujours à quelques chose ? De nombreux employeurs disent que c’est une perte de temps, que les avalanches de CV qui leurs sont communiqués ne correspondent pas à leur offre…Le Pôle emploi n’est-il pas le pôle sans emploi? 

Aude Rossigneux: Le tableau n’est pas aussi sombre. Pôle emploi permet quand même de trouver du travail aux demandeurs d’emploi. On ne parle que des trains qui n’arrivent pas à l’heure. Personne n’oblige les employeurs à passer par Pôle emploi qui peuvent faire appel à des prestataires de service comme des agences d’intérim qui, eux ont des objectifs de rentabilité et ont plus de moyens financiers à leur disposition. 

Michel Godet: Pôle emploi un organisme qui compte 58 000 fonctionnaire, coûte 5 à 6 milliards d’euros et sert à recenser les chômeurs mais c’est tout. Ses agents sont déconnectés de la réalité des besoins des entreprises. Comment voulez-vous que ces agents trouvent des postes qui correspondent aux compétences réelles des demandeurs d’emploi lorsqu’ils sont recrutés non pas en fonction de la connaissance des secteurs économiques mais sur concours administratifs. Pour gagner en efficacité, Pôle emploi devrait s’appuyer encore plus le travail temporaire qui lui est en contact avec les entreprise et connait leurs besoins. 

Le plan de formation de 500 000 demandeurs d’emploi, le développement de l’apprentissage, le compte personnel d’activité, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, vient de détailler le chantier du gouvernement sur le front de l’emploi… Pensez-vous que toutes ces mesures permettront d’inverser la courbe du chômage?

Aude Rossigneux : Ce sont des effets d’annonce qui sont rarement suivis d’efficacité. Mais ces mesures servent à une chose : planquer les chômeurs sous le tapis de l’emploi. Les formations permettent de faire basculer les chômeurs en catégorie A (aucune activité ) vers les catégories B et C (activité réduite) et de se réjouir de la baisse très modérée du nombre des demandeurs d’emploi. Tout ceci n'empêche pas, une fois de plus, la progression du chômage de longue durée. Ils étaient en octobre dernier 2.428.100 à être inscrits depuis plus d'un an, soit une hausse de 1 % sur un mois et de... 10,4 % sur un an. Bref, les chômeurs qui suivent une formation, n’ont toujours pas de travail. Avec toutes ces mesures, on se demande si la priorité c’est la lutte contre les chiffres du chômage ou contre le chômage!

Michel Godet : Ce plan pour l’emploi relève encore d’une vision jacobine de gouvernement qui ferait mieux de voir ce qui fonctionne déjà dans les territoires plutôt que d’imposer à l’échelle nationale des mesures qui ne marchent pas. Il faut changer de point de vue et passer du top-down au botton-up. Faire suivre une formation à 500 000 chômeurs ne sert absolument à rien, c’est l’insertion sur le marché de l’emploi qui est formatrice. S’il s’agit de jeunes en échec scolaire, ils vont vomir si on leur propose quelque chose qui rappelle l’école. Ces mesures sont du replâtrage comme dans les républiques bannières où l’on repeint les immeubles lorsqu’un chef d’Etat étranger vient en visite. C’est un peu la même chose que l’on va faire en faisant passer des centaines de milliers de chômeurs dans la catégorie en formation. Au lieu de dépenser dans la formation dont le coût va peser sur les déficits publics sans résultats tangibles, le gouvernement devrait regarder les initiatives locales qui permettent de réinsérer à moindre coût et qui profitent à la collectivité à niveau des charges. 32 milliards d’euros sont dépensés dans la formation professionnelle. Alors qu’avec un milliard d’euros 50 000 emplois peuvent être créés payés au Smic et charges comprises. C’est donc des millions d’emplois qui pourraient être créés sur le papier. La dépense publique pour l’emploi étant de plus de 80 milliards d’euros on pourrait financer sur le papier 4 millions d’emplois. Ce n’est pas l’argent qui manque, c’est la méthode qui fait défaut. 

Après les cas de suicides chez les chômeurs mais également chez les salariés du Pôle emploi, le malaise est-il toujours aussi profond? 

Aude Rossigneux : Selon l’étude du cabinet Technologia en novembre 2009, 71% des agents estimaient être dans une situation de travail tendue... Il faut bien comprendre que la détresse existe des deux cotés du guichet. Certains agents sont rentrés à Pôle emploi par vocation pour aider leurs concitoyens au chômage à retrouver du travail et lorsqu’ils se retrouvent sans moyens pour accomplir leur mission ou à jouer à la police, ils vivent très mal cette situation. Sans parler des agressions qu’ils peuvent subir, entre les gifles et les insultes de chômeurs qui de plus en plus désabusés, n’ont plus rien à perdre et perde leur sang froid. Mon co-auteur, Gaël Guiselin, qui était agent depuis 7 ans à Pôle emploi avant la rédaction de notre livre, s’était pris un coup de poing par chômeur exaspéré. La directrice de l’agence a réagit en prévenant ses collègues que ces agressions allaient devenir fréquentes et qu’ils devaient s’y habituer. 

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