Procès Wildenstein, quand l’obstination d’une veuve vient à bout de celle de Bercy à étouffer une possible affaire de fraude fiscale<!-- --> | Atlantico.fr
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Guy Wildenstein, célèbre marchand d’art est jugé pour fraude fiscale et blanchiment, et ses avocats Eric Dezeuze et Hervé Temime quittant le tribunal lors du premier jour du procès à Paris.
Guy Wildenstein, célèbre marchand d’art est jugé pour fraude fiscale et blanchiment, et ses avocats Eric Dezeuze et Hervé Temime quittant le tribunal lors du premier jour du procès à Paris.
©Reuters

Monde à l’envers

Le procès de Guy Wildenstein, célèbre marchand d’art, proche de Nicolas Sarkozy a débuté lundi 4 janvier. Pendant trois semaines, alors qu’il est renvoyé pour fraude fiscale et blanchiment il aura à s’expliquer sur la mansuétude dont le fisc aurait fait preuve à son égard, dans les années 2007-mi-2009. Avant que François Baroin, ministre du Budget ne se décide, en juin 2009, à saisir la justice. Et à faire sauter le fameux verrou de Bercy. En effet, sans plainte –obligatoire- du Ministre, la justice ne peut être saisie en matière de fraude fiscale.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Guy Wildenstein, célèbre marchand d’art est jugé pour fraude fiscale et blanchiment, depuis ce lundi 4 janvier, en compagnie d’un notaire et de deux avocats.
  • Le tribunal correctionnel ne manquera de s’interroger sur l’éventuelle mansuétude dont aurait pu bénéficier Guy Wildenstein
  • Sans la pugnacité et la détermination de Sylvia, la veuve de Daniel Wildenstein, père de Guy, on n’aurait peut-être rien su de cette évasion fiscale recensée dans l’ordonnance des deux juges d’instruction
  • Ce procès soulève une nouvelle fois la fameuse question du "verrou de Bercy". En effet, sans le feu vert obligatoire de Bercy, la justice ne peut être saisie en matière de fraude fiscale.

Ils sont alignés. Quasiment en rang d’oignon. Bien sagement assis sur le banc des prévenus. La mine défaite et sombre. Il y a là Guy Wildenstein, le célèbre marchand de tableaux, ancien membre du premier Cercle des amis de l’UMP [devenue Les Républicains]. S’il se retrouve depuis ce lundi 4 janvier devant le tribunal correctionnel de Paris, c’est parce qu’il est accusé d’avoir fraudé le fisc. A hauteur de 550 millions d’euros. A ses côtés, une grand nom de l’automobile, ancien président de la Chambre des notaires, Robert Panhard, ainsi qu’un avocat français Olivier Riffaud et un de ses confrères suisses, Peter Altorfer. Tous trois sont soupçonnés d’avoir aidé Guy Wildenstein à échapper au fisc grâce à des montages offshore et des trusts.

Pendant plus de 3 semaines, jusqu’au 28 janvier, Guy Wildenstein, fils de Daniel – décédé en 2001- lui-même héritier d’une famille de marchands du XIX ème siècle, va devoir s’expliquer sur les différents montages qui lui auraient permis de se soustraire au fisc à hauteur de 90%, tout comme il va devoir également s’expliquer sur les éventuelles protections ou mansuétudes dont il aurait pu bénéficier lorsque Eric Woerth occupait le poste de ministre du Budget de Nicolas Sarkozy. Sans doute, le tribunal interrogera-t-il Guy Wildenstein sur les relations qu’il entretenait avec l’ancien président de la République, du temps où il était le délégué de l’UMP sur la côte Est des Etats-Unis... Déjà, comme dans une sorte de fantasme, certains dressent un parallèle avec l’affaire Bettencourt. Par moments, c’est vrai. Même atmosphère de haine entre deux clans, celui des deux fils d’André, Guy et Alec et celui de la belle-mère, Sylvia, veuve d’André. Même milieu où l’argent est omniprésent. Mais, en revanche pas de riche héritière victime de vieillesse. Pas davantage d’enregistrements sauvages décidés par un majordome indélicat…

Tout commence le 23 octobre 2001 lorsque Daniel Wildenstein meurt. Propriétaire d’écuries de courses et de toiles de maîtres, il s’est pris de passion pour la politique : on l’a en effet présenté comme l’un des proches de Jean Lecanuet, sénateur-maire de Rouen, qui sera candidat à l’élection présidentielle de 1965 contre le général de Gaulle. Donc, en 2001, au décès de Daniel, ses deux fils Guy et Alec se livrent à l’inventaire successoral de leur père. Rien qui ne soit pas banal. Sauf que dans les affaires de succession, surtout dans les familles fortunées, surviennent parfois quelques grains de sable : là, il s’agit de la belle-mère de Guy et d’Alec. Elle s’appelle Sylvia. C’est la deuxième épouse de Daniel. C’est elle qui est indirectement à l’origine du renvoi en correctionnelle de Guy. Quelques semaines après la mort de son mari, Sylvia met au jour une cachotterie qui ne lui plait pas du tout : 69 pur-sang, propriété de son mari, ont été cédés, alors qu’il se trouvait dans le coma, à une société dans laquelle Guy et Alec étaient associés. Ce n’est pas tout : Sylvia ne retrouve pas les toiles de maîtres qu’elle a connues et admirées avec Daniel. Plus de trace ! Cette fois, c’est trop : la veuve de Daniel Wildenstein, pour tirer au clair ces histoires, qui flaire l’entourloupe, sollicite une avocate, Me Claire Dumont-Baghi.

Dès lors commence une longue traque qui va mettre des années avant de porter ses fruits. Guy et Alec ont beau faire croire à Sylvia qu’elle doit renoncer à la succession de Daniel car elle risque des poursuites pénales, celle-ci n’en croit pas un mot. Elle va continuer le combat. Et gagner une première manche. En effet, dans un arrêt de la cour d’appel de Paris de 2005, alors que la guerre faire rage entre les deux beaux-fils et leur belle-mère, on peut lire : "L’ensemble des juristes et fiscalistes chargés de conseiller Mme Sylvia Wildenstein se sont abstenus de l’éclairer exactement sur sa situation financière alors qu’elle n’avait jamais participé aux activités financières de son mari, qu’elle n’était pas renseignée précisément sur l’état et la composition de la fortune mobilisable...[…] et qu’elle était quelque peu fragilisée tant par l’âge […] que par le décès de celui qui avait été son compagnon durant quarante ans et qu’elle venait de veiller pendant une dizaine de jours à la clinique où il venait d’être opéré d’un cancer et se trouvait dans le coma."

Galopent les mois. Un nouvel arrêt de la Cour d’appel rendu conforte d’une certaine façon Sylvia Wildenstein. On y lit en effet : "L’évasion fiscale dans des sociétés étrangères et des trusts est conforme à la tradition familiale de transmission des biens aux héritiers directs". La fraude, comme mode de vie. Une fraude peut-être pas légale, mais légitime. Telle est la conclusion des juges. Pourtant, cet arrêt ne semble perturber en rien Guy Wildenstein. Aux Etats-Unis, il participe activement à la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy. En mars 2009, comme un signe de reconnaissance, le nouveau président de la République l’élève au rang de commandeur de la Légion d’honneur. Il est sur un nuage. Envolés les soucis fiscaux ! Sauf que survient un évènement imprévu  : quelques mois plus tard, alors que son frère Alec vient de disparaître, sa veuve, Liouba, craignant d’être à son tour écartée de la succession, se déclare solidaire de Sylvia et porte plainte à son tour. On comprend pourquoi : elle a découvert un nouveau trust ainsi que des Fragonard, Picasso et autres Courbet qui avaient échappé jusqu’alors à la succession. Montant de ces chefs d’œuvre ? Un milliard de dollars. En juin 2009, Me Dumont-Beghi porte plainte pour abus de confiance. Pour abus de confiance. Que faire ? C’est simple : déposer une plainte avec constitution de partie civile. Et ça marche.

L’action publique est enclenchée et une information judiciaire ouverte confiée à deux as de la lutte contre la délinquance financière, les juges Guillaume Daieff et Serge Tournaire. Dès lors, les choses vont vite. Des perquisitions ont lieu, conduites par les limiers de l’Office central de la grande délinquance financière (OCRGDF) à l’Institut Wildenstein, rue La Boétie, à deux pas des Champs-Elysées. C’est là que se trouve l’hôtel particulier de la famille, originaire d’Alsace, qui abrite les archives. Surprise, surprise : les policiers tombent sur des documents attestant qu’une trentaine d’œuvres ont disparu ou ont été volées. Voilà qui est clair : Guy Wildenstein se serait bien livré à des manœuvres pour faire échapper des toiles à la succession… Et donc aux impôts. Le 11 juillet 2011, le marchand est mis en examen pour recel d’abus de confiance. Entretemps, fin juin 2009, avant de quitter son poste de ministre du Budget, François Baroin fait ce qu’Eric Woerth n’avait pas fait : il dépose plainte. Ce qui permet à la justice d’être saisie. En effet, en matière fiscale, sans la plainte –obligatoire- de Bercy, la justice ne peut être saisie. Dès lors, les juges Daieff et Tournaire peuvent se plonger dans le dédale des montages à l’étranger, dans des paradis fiscaux qui ont permis à Guy Wildenstein d’éluder 90% environ sur les 550 millions qui lui sont réclamés. Ce que ce dernier va contester, martelant qu’il ne connaissait rien en droit fiscal. Peut-être. Sauf que le notaire Robert Panhard et les deux avocats, Olivier Riffaud ainsi que son confrère suisse, eux n’avaient rien d’amateur. Tout comme les deux magistrats parisiens qui vont découvrir un certain nombre d’éléments, preuve à priori d’une évasion fiscale. Ce sont d’abords deux trusts situés dans des paradis fiscaux: la Northern Trust Fiduciary Services et la Royal Bank of Canada Trust Company Limited, implantée aux Bahamas. Ce n’est pas tout : les juges, dans leur ordonnance de renvoi, citent toute une série d’avoirs qui ont été camouflés par Guy Wildenstein : des propriétés immobilières au Kenya dont l’une a servi au tournage du film Out of Africa, des propriétés immobilières aux Iles Vierges Britanniques, des appartements à New-York, diverses galeries d’art etc…

Autant d’avoirs logés dans des trusts qui ont nom : David Trust, Sylvia Trust et GW Trust. C’est dire que les avocats des prévenus risquent d’éprouver quelques difficultés pour prouver la bonne foi de leurs clients. Mais avec Hervé Témime et Eric Dupond-Moretti, tout est possible… Attendons la fin des audiences, le 28 janvier.

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