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Deux pompiers et un policier ont été agressés, le 24 décembre dans le quartier des Jardins de l'Empereur, à Ajaccio, lors d'une embuscade, provoquant des manifestations racistes et le saccage d'une salle de prière musulmane.
Deux pompiers et un policier ont été agressés, le 24 décembre dans le quartier des Jardins de l'Empereur, à Ajaccio, lors d'une embuscade, provoquant des manifestations racistes et le saccage d'une salle de prière musulmane.
©Capture /Youtube

Info Atlantico

Selon un sondage exclusif Ifop pour Atlantico, 43% des Français ne condamnent pas non plus le saccage du lieu de prière musulman dans le quartier des jardins de l'empereur. Une écrasante majorité des Français estiment par ailleurs que ces événements ne sont pas isolés et pourraient se reproduire. Des chiffres à mettre en parallèle avec le contexte tendu de la société française actuelle.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Le sondage réalisé montre qu’une majorité de Français ne condamnent pas forcément les manifestations qui ont suivi l’agression de pompiers corses le soir de Noël. Quel enseignement principal retenez-vous de cette photographie d’opinion ?

Jérôme Fourquet : Nous avons dissocié dans cette enquête tout d'abord la mobilisation d’une partie de la population ajaccienne et sa venue dans un quartier sensible, et ensuite le fait qu’un lieu de prière musulman ait été saccagé. Même si les deux événements sont liés, on voit avec les résultats que nous ne sommes pas sur le même registre. Concernant la manifestation, nous avons 41% des Français qui la condamnent. Ils sont donc minoritaires au sein de la société française, dans un climat post-13 novembre où le lien entre menace terroriste et détérioration de la situation dans certains quartiers difficiles est de plus en plus fait, notamment avec le profil de certains auteurs des attentats qui venaient de ces quartiers ou avaient un passé de petit délinquant de cité. La même proportion, 42%, n’approuvent pas cette réaction mais la comprennent. Donc nous voyons bien comment les plaques tectoniques évoluent dans la société française. Enfin, un noyau de 17% approuve la réaction, ce qui est un chiffre relativement élevé. Nous sommes par exemple sur un niveau d’approbation deux fois supérieur à ce que nous avions mesuré au moment de l’affaire des violences envers les cadres d’Air France qui avaient été brutalisés par des salariés en colère. Les contextes sont évidemment incomparables, mais il est intéressant de constater qu’à l’époque il n’y avait que 8% de Français qui approuvaient.

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L’onde de choc créée par le 13 novembre a fait bouger les lignes dans la société française. La question des quartiers de non-droit où des représentants de l’Etat ne peuvent plus entrer sans se faire attaquer ou agresser exaspère au plus haut point une partie de la population française, au point qu’une large minorité comprend (et qu’une minorité importante approuve) quand des mouvements spontanés se mettent en branle quelque part pour se faire justice eux-mêmes. "Si l’Etat n’est pas capable de ramener l’ordre dans ces quartiers, il faudra le faire nous-même" : cette démarche aux antipodes de l’Etat de droit est aujourd’hui comprise ou approuvée par une part importante de la population française. Encore une fois, ce chiffre est à replacer dans le contexte post-attentats, mais aussi dans un contexte plus ancien qui est celui de l’historique des dérives constatées dans un nombre important de quartiers. Nous ne parlons pas ici uniquement de la région parisienne, mais également d'un certain nombre de villes où toute une série de faits divers sont venus défrayer la chronique et nourrir le ressentiment et l’exaspération.

En ce qui concerne le saccage de la salle de prière musulmane, 57% des Français la condamnent, cette fois. Ce qui veut dire qu’il y a 43% qui ne la condamnent pas, soit une proportion assez élevée…

Tout à fait. Nous sommes ici en présence d’actes de violence physique mais aussi symbolique. Il s’agit d’un lieu de prière, donc un symbole très sensible, sacré. Ensuite, que vous vous mobilisiez pour faire entendre votre colère vis-à-vis d’un territoire ou d’un quartier qui vous paraîtrait être un lieu de non-droit est une chose, mais que vous fassiez le lien entre une attaque par une bande de jeunes casseurs de policiers ou de pompiers et un lieu de culte musulman, c’en est une autre. Nous voyons bien ce qui est en gestation actuellement. Nous avons dans toute une partie de l’opinion publique un continuum qui s’opère de plus en plus entre le thème des cités sensibles et celui du djihadisme, en passant par la radicalisation islamiste de ces quartiers. L’attaque des pompiers nous ramène aux émeutes de banlieue de 2005. La marche d’une partie de la population ajaccienne vers ce quartier et le saccage d’un lieu de culte musulman par la suite traduisent bien ce continuum. Regardez tout ce qui a été dit sur la ville de Molenbeek et le parallèle qu’on peut faire avec certains quartiers français : ville difficile, problèmes sociaux, forte présence de populations issues de l’immigration, forte emprise de la religion musulmane… Et petit à petit, nous glissons vers le terreau et la base arrière des djihadistes. Le lien, c’est le profil de certains auteurs d’attentats qui sont nés dans ces quartiers et qui ont été connus pour des faits de petite délinquance avant de basculer dans le djihadisme. Il y a donc un continuum qui s’opère dans toute une partie de la population sur ce terrain-là. Pour le saccage d’Ajaccio, nous avons certes quasiment 6 Français sur 10 qui condamnent, un niveau de condamnation de 20 points supérieur à celui de la seule manifestation, mais nous avons 1/3 des Français qui comprennent, ce qui est un chiffre impressionnant, et 11% qui approuvent.

(Une erreur s'est glissée sur ce tableau. Il faut comprendre 57% pour le premier chiffre, et non 58%).

(Une erreur s'est glissée sur ce tableau. Il faut comprendre 57% pour le premier chiffre, et non 58%).

Sur ces questions-là, nous observons bien entendu un clivage gauche-droite qui fonctionne de manière très forte. Sur la question du saccage, nous avons seulement un électeur sur deux des Républicains qui condamne : 41% comprennent sans approuver, et 11% approuvent. Cela montre aussi comment toutes ces images, toutes ces représentations travaillent en profondeur toute une partie de l’électorat de droite. Pour l’électorat du Front National, les résultats étaient attendus. Ce qui l’était peut-être moins, c’est que 11% des Républicains approuvent et 41% comprennent. Mais si à gauche la condamnation est beaucoup plus fréquente (77% au PS, 70% au Front de Gauche), vous avez quand même entre 20 et 30% de l’électorat de gauche qui comprend à défaut d’approuver.

Un autre chiffre éloquent de ce sondage, c’est que 87% des Français pensent que ce genre d’événements pourrait se reproduire ailleurs en France. On sent un profond pessimisme de la population aujourd’hui…

Tout cela montre bien le niveau de tension et d’inflammabilité de la société française aujourd’hui sur ces questions très sensibles. Cela s’est produit à Ajaccio dans un contexte très particulier. Néanmoins, d’autres lieux de culte musulmans ont été attaqués et vandalisés (têtes de porc déposées devant les portes, tirs, tags insultants, etc.). Donc nous voyons bien que toute une partie de la société française est rentrée en ébullition sur ce terrain-là. C’est le constat que font quasiment tous les Français, puisqu’ils sont 87% à penser que cela pourrait se reproduire ailleurs. Nous remarquons aussi que parmi ceux qui approuvent la manifestation hostile, 92% pensent que de tels événements peuvent se reproduire, contre 84% parmi ceux qui condamnent ces actions qu’on peut assimiler en partie à des ratonnades.

Comment expliquez-vous l’écart de résultats, qui n’est pas énorme mais reste significatif, entre les habitants de la région parisienne et ceux du reste de la France ?

Nous sommes ici sur un schéma assez classique. L’une des variables qui font changer le plus fortement l’opinion des Français vis-à-vis de ces violences, c’est le niveau de diplôme. En région parisienne, nous avons un niveau de diplôme moyen supérieur. Le deuxième point qui est en partie lié, c’est que derrière tout ça, nous sommes toujours et encore sur la question du degré d’ouverture de la société française et du degré d’acceptation d’une certaine forme de multiculturalisme, qui sera plus important en Île-de-France qu’en province.

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