Le coup de cœur de la semaine : "Très nombreux, chacun seul" <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Le coup de cœur de la semaine : "Très nombreux, chacun seul"
©

Atlanti-culture

"Très nombreux, chacun seul" montre admirablement à quel point le monde du travail s'est transformé et souvent détérioré du fait de la mondialisation et de l'affirmation du primat des préoccupations financières.

Margaux Darblay pour Culture-Tops

Margaux Darblay pour Culture-Tops

Margaux Darblay est chroniqueuse pour Culture-Tops.

 

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

Voir la bio »

L'auteur :

Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Bisson et Jean-Louis Hourdin ont créé ce spectacle en collectif. 

Jean-Pierre Bodin imagine ses spectacles micro et bloc-notes en main. Son écriture naît toujours de la collecte de témoignages. Il entreprend régulièrement une réflexion et un travail en milieu rural, cher à son cœur. Il joue également pour le cinéma (Mourir d’aimer de Josée Dayan…) et le théâtre. 

Ici il intervient seul en scène, en dialogue parfois avec des vidéos de Christophe Dejours, psychiatre.

Thème      

Dans la veine du théâtre-documentaire, peu plébiscité par le grand public, le collectif explore les conditions de travail en entreprise telles qu’elles évoluent et se détériorent au gré de l’émiettement des relations humaines elles-mêmes... Jean-Pierre Bodin incarne les voix d’ouvriers, de travailleurs et de salariés au sein d’entreprises en mutation. Il peint un portrait du " totalitarisme " au travail, cyniquement drôle parfois, mais surtout effrayant.

Points forts

 - Avec un jeu nimbé de modestie et finesse, Jean-Pierre Bodin nous emmène en douceur dans le monde cruel, violent et déshumanisé de l’entreprise. Il a eu accès à des témoignages d’ouvriers et il porte dans un premier temps ces voix derrière lesquelles l’acteur s’efface complètement, rendant une dignité absolue à ces hommes et femmes qui ont accepté de livrer une part de leur intimité. Une vidéo montre les gestes, répétitifs, de ces ouvriers entendus plus tôt. Leurs mains seules s‘agitent sur fond noir, sans objet à manipuler. Manifestation surnaturelle de tâches si souvent opérées à l’usine. C’est le temps d’une certaine nostalgie: “ouvriers c’était bien, ça parlait d’ouvrages, d’œuvres“. 

Mais ce temps, tantôt heureux, tantôt insupportable opère un glissement de l’entreprise paternaliste, locale, loyale, vers celle devenue mondialisée et  soumise à un marché assassin. Bodin dialogue aussi ou cède la parole au psychiatre Christophe Dejours, spécialiste de la souffrance au travail (uniquement en vidéo, parfois un peu long). La pensée du chercheur vient nous aider à éclairer le récit, scientifiquement, pour peu à peu comprendre comment le suicide de Philippe Widdershoven a bien pu arriver. Car c’est là où veut nous emmener Jean-Pierre Bodin. A la rencontre de ce délégué CGT de l’usine de porcelaine Deshoulières dont le suicide a été déclaré par l’entreprise comme accident de travail (fait extrêmement rare).

- Le suicide au travail nous touche, bien plus que nous l’admettons même si nous oublions trop vite le 20h et ses nouvelles macabres qui concernent bien pourtant notre quotidien. Heureusement, la démarche de JP Bodin nous fait osciller entre rires et larmes, notamment dans son " cabaret " du comité d’entreprise. Transformé en Mr Loyal au moyen simple d’une écharpe dorée, d’un rideau rouge, et d’une chaise, le cirque-Bodin nous entraîne dans le "nouveau managementpour ne pas penser la souffrance ". 

Le collectif (et c’est un mot important car ici tout participe de la dramaturgie, tant le son, les costumes, la lumière et bien évidemment le texte) raconte comment l’organisation du travail peut générer des égarements, des souffrances, la perte de la notion du vivre ensemble et de l’estime de soi.

- Mention particulière pour le travail du Son. Le magma sonore, notamment sur la séquence filmée de l’usine Deshoulières vient faire résonner une plainte de “voix“ industrielles. Frottements, glissements, actions de machines, sur des images d’une usine abandonnée où plane encore les spectres des travailleurs.

Points faibles

Personnellement, je n'en vois pas.

En deux mots

On pourrait être lassé d’entendre à nouveau le constat accablant de la détérioration des conditions de travail. Rien de “neuf“ dans le point du vue, pourtant ce spectacle est d’une actualité très vive et offre des moyens de lutter contre l’isolation de chacun en milieu professionnel.

Dans La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce, Pommerat mettait en scène  “les idéologies qui orientent et sous-tendent les agissements humains aujourd’hui“ et il y recomposait la réalité du commerce à domicile, dans ses aspects concrets et imaginaires. Bodin crée avec Très nombreux, chacun seul un spectacle de théâtre-documentaire qui permet à la fiction de s’épanouir sur un matériel de témoignages réels. Plus proche de Jean-Pierre Bodin serait Nicolas Lambert et sa compagnie “Un pas de côté“; ses spectacles (notamment Elf, la pompe Afrique) sont le fruit d’années de recherche, et seul en scène il personnifie parfois jusqu’à 18 personnalités différentes, rejouant des bouts entiers de procès, tous les documents authentiques à l’appui. 

Pour ceux qui veulent mieux comprendre l'évolution du monde du travail et qui rêvent à un mieux social.

Une phrase

Qui seront deux:  

- “Acrobate, Charpentier de bateau, Granuleur, Hurleur, Incorporateur, Jardinier de golf, Matelassier, Metteur au point, Repousseur, Rôtisseur, Tonnelier, Xilophagiste, Zingueur etc.“ (Abécédaire des métiers, déclamé par Bodin…)

- " Il n’y a pas de fatalité. " ( c'est la citation qui termine la pièce et nous permet de rentrer avec espoir vers nos jobs plus ou moins rêvés...).

Recommandation

 Excellent Excellent

Informations

Théâtre du Soleil

Route du Champ de Manœuvre, La Cartoucherie 75012 Paris

Représentations du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h 

(relâche les lundi 14, 21, 28 décembre et 4 janvier. jeudi 24, vendredi 25 décembre, jeudi 31 décembre et vendredi 1er janvier)

Réservation : 01 43 74 24 08

www.theatre-du-soleil.fr

POUR DECOUVRIR CULTURE-TOPS, CLIQUEZ ICI : des dizaines et des dizaines de critiques sur chaque secteur de l'actualité culturelle

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !