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Rana Plaza, le drame au Bangladesh qui devait tout changer : la vérité sur là où sont vraiment confectionnés vos vêtements aujourd’hui
©REUTERS/Andrew Biraj

Face cachée

Depuis l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en mai 2013, le monde entier cherche à surveiller les conditions de travail des usines de fabrication de textile. Si ces dernières ont multiplié les engagements en faveur d'une plus grande transparence, le gouvernement du Bangladesh montre, quant à lui, peu de volonté pour améliorer les conditions de travail de ses citoyens. Un rapport publié par WIEGO, une organisation dédiée à l’étude et la défense des travailleurs du secteur informel, dénonce l’exploitation de travailleur à domicile au Bangladesh.

Pierre-Samuel  Guedj

Pierre-Samuel Guedj

Président & fondateur d’Affectio Mutandi, spécialiste de la RSE, du lobbying et de la communication sensible, Pierre-Samuel Guedj bénéficie d’une expérience de près de 20 ans, exerçant auprès des grandes entreprises françaises et internationales une activité de conseil en matière d’affaires publiques, d’influence, de responsabilité sociétale, de réputation et de communication de crise.

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Atlantico : Après les drames à répétition au Bangladesh et alors que le monde entier cherche à surveiller les usines de fabrication de textile, les choses ont-elles vraiment changé dans les faits ? Quelle est aujourd’hui, la situation des travailleurs de textile ?

Pierre-Samuel Guedj : Suite au drame du Rana Plaza, la communauté internationale a eu un rappel des conditions de travail des chaînes d’approvisionnement à l’autre bout du monde, en conséquence plusieurs programmes ont été mis en place. Néanmoins, à quelques mois du troisième anniversaire, de nombreux problèmes restent à régler car les avancées sont superficielles notamment du fait de l’économie informelle, la superposition de mesures similaires et la volonté réservée du gouvernement Bangladeshi.

En effet, concernant le Fire and Building Safety Accord de 2013, ayant pour objectif d’assurer la sécurité des usines textiles sous-traitantes de ses 200 grandes marques signataires, le champ d’application se trouve trop limité. Même si d’autres initiatives le complète telle que l’Alliance for Bagladesh Fire Safety, ce ne sont qu’environ 2000 usines concernées sur les près de 5000 présentes dans le pays (Rapport « Business As Usual is not an Option », NYU STERN, Avril 2014), parmi lesquelles de nombreuses entités ne sont pas déclarées. A cela vient s’ajouter le flou du travail à domicile, se révélant d’une part pratique pour les femmes avec des enfants à charge, d’autre part extrêmement précaire impliquant un pouvoir de négociation quasi-inexistant, une exclusion de la protection du droit du travail et des salaires encore plus bas que les usines traditionnelles (« Rags, Riches and Women Workers: Export-oriented Garment Manufacturing in Bangladesh », WIEGO, juillet 2014). La sous-traitance, largement utilisée dans ce secteur, augmente les risques et limite les actions possibles en réduisant le contrôle et la transparence dans la chaine d’approvisionnement.

Le gouvernement Bangladeshi a t-il vraiment la volonté de changer la situation ?

Le gouvernement du Bangladesh montre peu de volonté pour améliorer les conditions de travail de ses citoyens. Privilégiant l’économie globale du pays au bien-être des travailleurs, le ministre des Finances du Bangladesh avait décrit le Bangladesh Fire & Building Safety Accord comme « un nœud coulant autour du cou de l’industrie vestimentaire ». Les capacités administratives et les ressources étant limitées, le droit du travail est trop peu souvent appliqué. De plus, la corruption présente dans le pays fait fuir les investisseurs étrangers voulant s’engager dans des programmes avec le gouvernement.

Que font concrètement les entreprises internationales ? 

Les mesures prévues à l’international pour améliorer la conformité aux normes de travail et la compétitivité dans les chaînes d’approvisionnement, comme celles prévues par le programme Better Work de l’OIT et l’IFC, se superposent. La plupart prévoient pour atteindre leur but d’assurer la formation des travailleurs et de leurs managers, améliorer le reporting, mais stagnent dans la recherche de mesures innovantes, sortant des standards entendus. Cependant toutes ces démarches démontrent une forte volonté au niveau international, des consommateurs comme des multinationales pour solutionner le problème des conditions de travail déplorables dans les chaines d’approvisionnement textile. La réponse se doit d’être plus complexe qu’une simple confédération de volontés, de nombreux enjeux en dépendent et les habitudes sont d’autant plus dures à changer.

Malgré l’engagement affiché de beaucoup de marques de textile, qu’est ce qui limite aujourd’hui le pouvoir de l’industrie à changer les conditions de vie des travailleurs les plus pauvres ?

La coordination des travaux entre l’ensemble des acteurs, et pas seulement les entreprises européennes donneuses d’ordre, plus de moyens pour que les Etats fassent respecter les réglementations internationales sur le travail ainsi que les droits humains, une facilitation de la représentation syndicale dans ces pays qui n’ont pas cette culture… les leviers sont nombreux et pas tous du ressort des entreprises. Les accords d’échange bilatéraux entre ces pays et l’Europe prévoient ainsi des règles sur le respect du droit du travail et des droits humains… ces accords ne sont pas respectés… car nous avons aussi besoin de leur vendre des produits de plus haute technologie pour garantir notre propre activité économique ainsi que notre paix sociale. C’est aussi une question de volonté politique.

Depuis le Rana Plaza, les choses se sont améliorées sur un certain nombre de points mais bien évidemment tout ne peut se faire en si peu de temps et sans traiter l’ensemble des secteurs, pas seulement celui du textile, sans plus de moyens et de volonté politique des autres acteurs notamment politiques locaux. Les audits viennent finalement remplacer les contrôles des autorités locales… les entreprises ne peuvent remplacer les Etats jusque dans la fixation de salaire minimum ou de salaire décent. Même Patagonia, marque fortement engagée sur ces questions, n’est pas certaine que tous ses fournisseurs, notamment dans certains pays à la démocratie naissante, soient parfaitement respectueux de toutes les conventions internationales mais continue à rechercher et mettre en place des systèmes de production éthique. C’est de toute façon une attente forte des citoyens des pays développés et notamment de l’Homo Ethicus Numéricus qui exprime fortement ces attentes par des mobilisations en ligne, des campagnes de boycott et bientôt des class actions en ligne. Avec cette ambiguïté qu’il n’a peut-être pas les moyens de payer le prix juste pour son éthique.

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