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Alerte aux attentats sur les églises : quand le thème de la concorde nationale s’impose aussi pour préparer l’éventualité du pire
©Reuters

Jours sombres

Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a relevé le niveau d’alerte antiterroriste autour des églises à l’approche de Noël. L’état d’urgence se poursuit sur le territoire français et le Président appelle à la concorde nationale... Entre simple calcul politique et risque réel de déchirement de la société française, la justification de cet appel solennel pose question.

Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Xavier Sincol

Xavier Sincol

Xavier Sincol est haut fonctionnaire. Il s'exprime ici sous pseudo.

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Atlantico : Quel est concrètement le niveau d’alerte actuel en vue des fêtes de Noël ? Peut-on vraiment craindre de nouveaux attentats ?

Xavier Sincol : Le danger est de toute évidence considérable. Nous savons que des milliers de jihadistes sont rentrés en Europe après un passage dans les camps d'entraînement d'Irak ou de Syrie. Les cités sensibles constituent un terreau de la radicalisation, même si seule une petite minorité de leurs habitants est concernée. Le contrôle d'Internet est extrêmement difficile à mettre en œuvre. En outre, la situation internationale ne s'est pas améliorée. L'Etat islamique Daesh est toujours en place malgré les bombardements et la coalition militaire de la communauté internationale n'a toujours pas été lancée. La vigilance policière a certes été renforcée mais les conditions n'ont pas réellement changé par rapport à janvier et novembre 2015. A tout moment un attentat peut survenir, c'est certain et les pouvoirs publics ont raison de mettre en garde la population.

Fabrice Ribeiro : On est depuis plusieurs années en vigipirate maximum, les attentats du 13 novembre ont eu pour conséquence l’instauration de l’état d’urgence, qui donne des avantages à l’action policière notamment en termes de perquisitions. En termes de surveillance de points sensibles professionnels ou religieux, non, mais c’est un outil supplémentaire pour nous pour travailler, notamment pour des cibles non précises. Le niveau d’alerte est maximum car la menace est maximum. Elle est protéiforme et inédite dans son ampleur. On a tous les signaux qui nous permettent de dire qu’on va être frappé à nouveau, mais la plus grande difficulté c’est de savoir comment. Est-ce qu’on va de l’attentat téléguidé de l’étranger, notamment la Syrie, ou tout du moins organisé ici sur le territoire national, avec des gens qui se mettent d’accord, qui apportent du matériel balistique, qui se mettent en configuration de pouvoir perpétrer un attentat. Mais on a aussi le lumpen prolétariat du terrorisme, c’est l’affaire du Thalys. Là c’est l’amateur même pas éclairé… Sid Ahmed Ghlam était en relation avec la Syrie, on l’a su a posteriori. Là il y a eu un semblant d’élaboration car on a su qu’il a reçu des ordres, mais des gens comme celui du Thalys, c’est le degré zéro de préparation. Mais ils sont quand même dangereux parce que si on craint généralement plus des actes organisés, des frappes planifiées, on n’est jamais à l’abri de gens extrêmement dangereux malgré leur manque de préparation, que ce soit avec un couteau, une voiture, en plus sur un marché de Noël… Ça c’est très compliqué à anticiper.

Vous avez parlé de signaux tout à l’heure. De quelle nature sont-ils ?

Fabrice Ribeiro : C’est du renseignement. Il y a des gens qui sont très déterminés, dont on sait qu’ils vont commettre ou aider à commettre des attentats. Il y a les relations qu’on peut avoir avec les services de renseignement français à l’étranger, ainsi que les services de renseignement étrangers venant de pays amis. Avec notamment des pays qui ne l’étaient pas forcément avant mais qui sont en train de le redevenir, comme la Syrie, puisque ce sont des gens qui ont des informations sur place pour nous, alors qu’on en dispose peu ou pas. Et puis il y a toute l’activité sur le territoire national : il y a des milliers de personnes qui sont fichés S, et il y a des gens qui sont un peu plus dangereux que d’autres, des gens dont on sait qu’à un moment donné il va se passer des choses.

Et sur les églises en particulier, quelle est la menace d’attaque terroriste ?

Fabrice Ribeiro : Il n’y a pas d’informations précises là-dessus. Cela fait partie des cibles qui sont clairement désignées par l’Etat Islamique, mais pas uniquement. Il y a les écoles aussi, tout particulièrement avec le dernier numéro de la revue de l’Etat Islamique, Dar al-Islam. Mais dans ce cas précis, il y a surtout l’aspect symbolique de la fête de Noël, et le risque que quelque chose soit perpétré le jour de Noël, donc ça rassure les fidèles. Tout comme il y aura une attention particulière pour les fêtes juives comme Kippour ou Roch Hashana. Il n’y a pas d’informations précises sur le fait qu’une église va se faire attaquer, c’est vraiment parce qu’on approche des fêtes de Noël.

Si l'on ne peut écarter la part de calcul politique dans la décision de relever le niveau d’alerte antiterroriste, en quoi le thème de la concorde nationale évoqué par François Hollande lors d’un déplacement s'impose-t-il aussi pour préparer les Français à la menace réelle de nouveaux attentats sur le sol français et à leurs conséquences sur la société ?

Xavier Sincol : Franchement, je n'ai jamais compris le rapport avec la concorde nationale, l'union sacrée, la recomposition politique. J'y vois plutôt une tentative de récupération à des fins électoralistes. La lutte contre le terrorisme passe par des décisions concrètes dont la responsabilité incombe au pouvoir politique : la formation d'une coalition militaire internationale pour combattre l'Etat islamique Daesh, de manière efficace et sans que la France ne soit forcément la première exposée, le contrôle des frontières européennes et nationales, la surveillance policière des jihadistes connus et répertoriés. Il va de soi que toute mesure susceptible de traiter la menace terroriste sera soutenue par les Français. Il n'est pas besoin de faire appel aux grands sentiments de concorde nationale pour cela. Nous vivons dans la posture et le lyrisme. L'une des principales décisions du Gouvernement à la suite de l'attentat du 13 novembre était l'annonce de la déchéance de nationalité. Un mois après, nous apprenons, de la bouche de ceux qui l'ont proposée, que cette mesure n'est que symbolique. Elle va sans doute être abandonnée. De qui se moque-t-on?

A quel point l'appel du Gouvernement témoigne-t-il de la crainte d'un déchirement profond de la société française auquel elle semble avoir échappé jusqu'à présent ? Peut-on imaginer d’éventuelles représailles envers les musulmans en cas d’attaque terroriste à Noël ? N'est-ce pas la crainte d'une "guerre civile" qui anime cette demande ?

Xavier Sincol : Tous les sondages montrent que les Français, dans leur immense majorité, opèrent une nette distinction entre les musulmans dans leur ensemble et les djihadistes. Des représailles ne sont bien sûr pas à exclure de la part de groupes marginaux. Mais enfin, après le massacre du 13 novembre, nous n'avons rien vu de tel. Aujourd'hui, le danger, c'est la menace djihadiste, et non d'hypothétiques mesures de rétorsion contre les musulmans. Je ne dis pas que c'est impossible, mais aujourd'hui, rien ne le laisse craindre. Concentrons-nous sur la menace existante... Une attaque contre une église à Noël serait un nouveau drame épouvantable et sans précédent, un traumatisme profond pour le pays blessé dans sa mémoire chrétienne. Il aurait pour effet d'attiser les fractures communautaires et de déchirer la France, d'aggraver le pessimisme, la peur, la tentation du repli et du dégoût généralisé. Il est évident que ce serait une catastrophe. Pour le Gouvernement, un nouvel attentat sanglant serait désastreux. A deux reprises, le pouvoir politique a réussi à éviter les questionnements sur son efficacité dans la lutte contre le terrorisme et la protection des Français. Il est parvenu à esquiver, à étouffer les interrogations sur les raisons pour lesquelles les mesures prises en novembre ne l'ont pas été dix mois plus tôt, après les attentats de janvier. Un troisième massacre serait sans doute plus difficile à gérer... C'est ce qu'il redoute avant tout...

Politiquement, quelle est la part entre le calcul politique et la nécessité d'une concorde nationale ? Quel écho cette demande peut-elle avoir auprès des autres partis politiques français ?

Xavier Sincol : La concorde nationale n'a pas besoin d'incantation ou de mise en scène. Elle existe, elle est totale face au danger terroriste. Où a-t-on vu que la France était divisée face à ces questions ? Les Français sont naturellement unis. Dans leur immense majorité, ils ont approuvé l'état d'urgence et les autres mesures annoncées. Les tensions sont dans la classe politique, qui n'arrête pas de s'insulter, à l'image des accusations de racisme auxquelles a donné lieu la campagne des régionales en Ile-de-France, qui n'ont pas été condamnées par le pouvoir socialiste. Un gouvernement digne de ce nom doit travailler à la sécurité des Français et non se donner en spectacle. Quant aux autres partis, ils ont tout intérêt à se prononcer au cas par cas sur les mesures prises par le Gouvernement, mais non à s'associer à la comédie médiatique de l'union nationale tournée, à l'évidence, vers l'élection présidentielle de 2017.

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