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Alors maintenant on fait quoi : faut-il croire ces partis qui expliquent avoir entendu l'avertissement des électeurs ?
©Reuters

Deuxième essai

Les élections régionales ont rendu le verdict ce dimanche 13 décembre. L'absence notable d'une présidence FN dans l'une des six régions qu'il était susceptible de remporter ainsi que les réactions soulagées des différents politiciens de partis de gouvernement ne sont pas sans rappeler 2002... Toute la question étant de savoir s'il faut croire aujourd'hui le discours d'hier.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : A la suite de la soirée électorale, de nombreux acteurs politiques se sont exprimés : Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Xavier Bertrand, Jean-Christophe Cambadélis... Que peut-on dire de ces différentes interventions ? Étaient-elles à la hauteur de l'événement ? Différentes de celles déjà prononcées par le passé ? Concrètement, que fait-on dorénavant ?

Vincent Tournier : Le premier constat que l’on peut faire est qu’il n’y a pas eu de triomphalisme. C’est assez logique : personne ne peut dire qu’il sort vainqueur de ce scrutin, comme personne ne peut d’ailleurs dire que son rival a totalement perdu. Le FN fait des scores remarquables et gagne des élus mais il n’emporte aucune région ; la droite gagne plusieurs régions mais n’a pas réussi à ridiculiser le PS ; et, enfin, le PS, qui obtient des scores plutôt honorables, est parvenu à sauver quelques régions, ce qui était inespéré vu l’état de la conjoncture économique et le niveau d’impopularité du président, au moins avant les attaques du 13 novembre. A ce titre, le PS a plutôt bien joué. La posture anti-FN s’avère toujours efficace et lui permet de se présenter comme un parti probe et moral. Les socialistes ont certes sacrifié deux régions (PACA et Nord-Picardie), mais celles-ci étaient perdues de toute façon, et il est même possible que cette perte soit bénéfique pour le PS car elle va lui permette d’éradiquer les vieilles gardes socialistes du nord et du sud qui pouvaient gêner la ligne social-libérale que le couple Hollande/Valls va incarner en 2017.

Cela dit, cette soirée électorale donne aussi l’impression de rester à la surface des choses. Elle est un peu à l’image de cette année 2015, marquée à la fois par l’entrée de la France dans une nouvelle phase de son histoire, et par un débat politique finalement très classique, dominé par les mêmes obsessions et les mêmes rengaines, lesquelles sont en grande partie déconnectées de ces nouvelles réalités dérangeantes que les élites ne veulent ou ne peuvent pas voir.

Donc, au total, les conséquences du scrutin risquent d’être très limitées. Apparemment, la perspective d’un remaniement s’éloigne définitivement, ce qui montre bien que rien n’a changé aux yeux du gouvernement. Les questions de fond ne vont donc pas être abordées de sitôt. L’exécutif va se centrer sur sa ligne sécuritaire qui lui a très bien réussi, tout en se gardant bien d’aborder les sujets qui fâchent. On pense notamment à la question de la laïcité, pour laquelle le gouvernement a fait le service minimum avec cette curieuse « journée de la laïcité » censée commémorer le 110ème anniversaire de la loi de 1905. Curieusement, personne n’a eu le mauvais goût de rappeler au chef de l’Etat qu’il avait promis, en 2012, d’inscrire la laïcité dans la Constitution. Savoir ce qu’est devenue cette belle n’intéresse apparemment pas grand-monde.

"Je remercie les électeurs de gauche" a signifié Xavier Bertrand dans son discours en tant que nouveau président de la Picardie-Nord-Pas-de-Calais. On se souvient du second tour de la Présidentielle de 2002 où Jacques Chirac a bénéficié du report de voix de la gauche et a dû le prendre en compte dans ses décisions politiques entre 2002-2007. Les Républicains seront-ils de la même façon "menottés" par les électeurs de gauche et donc difficilement capables de prendre des décisions claires et de faire des choix clivants ? Ont-ils retrouvé leur position de parti d'opposition et donc d'alternative crédible ?

Peut-on réellement dire que Jacques Chirac a été « prisonnier » de l’apport des voix de gauche ? Il a surtout été prisonnier de son faible score du premier tour (19%), ce qui a fragilisé sa légitimité en tant que président et l’a incité à être un président-spectateur, contraint de se centrer sur des dossiers peu clivants. Xavier Bertrand et Christian Estrosi sont un peu dans le même cas puisqu’ils n’ont obtenu qu’un quart des voix au premier tour. Leur marge de manœuvre sera donc limitée. Cela dit, il faut préciser que, au niveau des régions, les enjeux ne sont pas les mêmes qu’au niveau national. Les conseils régionaux ont des compétences limitées qui les empêchent de toute façon de provoquer des clivages majeurs. Il faut aussi s’attendre à ce que les électeurs frontistes, frustrés de leur victoire, soient très remontés et le fassent savoir. Les présidents des conseils régionaux vont être tiraillés entre des demandes très opposées, ce qui va les inciter à la prudence.

Une abstention à moins de 50 % (48% à 20h soit – 7 points par rapport au 1er tour), peut-on parler d'un sursaut démocratique ?

Le second tour est traditionnellementplus mobilisateur que le premier. La raison en est simple : d’une part, les médias parlent beaucoup des résultats du premier tour, ce qui permet aux électeurs de se familiariser avec les enjeux du scrutin ; d’autre part, les choix du second tour sont plus simples car il y a une réduction de l’offre. Cela dit, le regain de participation entre les deux tours ne doit pas faire oublier le problème de fond, qui est toujours le même, à savoir : la faiblesse de la participation aux élections locales. Pourquoi les électeurs ne viennent-ils pas alors que les gouvernements successifs martèlent que la décentralisation est en marche et que les collectivités locales ont de plus en plus d’importance ?L’abstention est un signe inquiétant. Elle peut être vue comme un témoin de l’échec de la réforme des régions puisque, en principe, cette réforme visait à créer des régions plus fortes, avec des budgets plus importants et des compétences plus claires, notamment par rapport aux autres collectivités locales. Or, manifestement, l’électorat n’a pas suivi. La réforme a donc raté son objectif. Cela se comprend. On a construit des régions sans identité, et les électeurs ne voient toujours pas à quoi elles servent puisque leurs compétences sont toujours aussi imbriquées avec celles des autres collectivités, auxquelles viennent se surajouter les métropoles. Donc, dans de telles conditions, il est assez logique que les électeurs ne se déplacent pas. A la limite, il faudrait presque féliciter ceux qui le font car ils sont plein de mansuétude à l’égard de leurs dirigeants. On reste quand même étonné par cette incapacité à faire des réformes qui remplissent les objectifs affichées. Pourquoi le produit final est-il si différent du concept initial ? Faut-il l’attribuer au cynisme des dirigeants ou à leur incapacité à mener à bien des réformes, ou bien encore à la force des blocages et des inerties ? La question reste ouverte.

Le FN n'a obtenu aucune région mais a obtenu plus de voix qu'au premier tour, peut-on parler pour autant d'un pschitt ? L'échec du FN annonce-t-il une future fracture interne ? Vers une lutte violente pour prendre la direction idéologique, et "physique" (Marine Le Pen-Phillipot VS Marion Maréchal Le Pen-Ménart) ?

Il faut être clair : sauf à défier toutes les lois de la sociologie des élections, le FN n’avait aucune chance d’emporter la moindre région, surtout avec un mode de scrutin taillé sur mesure pour le PS, qui incite ses alliés à tenter leur chance au premier tour mais qui les oblige à fusionner avec lui au second tour s’ils veulent espérer avoir des élus.

Pour ces régionales, le FN avait certes une chance de l’emporter en PACA et dans le Nord-Picardie en cas de triangulaire, mais à partir du moment où le PS a décidé de retirer ses listes, l’issue était courue d’avance.L’échec de Florian Philippot en Alsace-Champagne incite même à se demander si le retrait des listes PS était vraiment nécessaire pour battre le FN puisque, dans cette région, le FN s’est finalement retrouvé loin derrière la droite, alors même que le PS s’est maintenu.En fait, si le PS n’avait pas retiré ses listes, il est très probable qu’une partie de ses électeurs se soient d’eux-mêmes reportés sur la droite car, contrairement à ce que l’on dit, le thème du « front républicain » joue encore très fortement dans l’électorat de gauche.

Bref, le problème du FN est donc toujours le même : il n’a pas les moyens de l’emporter au second tour. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il n’a quasiment aucune réserve de voix, faute d’allié. Le FN a donc beau mobiliser très fortement au premier tour, beaucoup plus que les autres partis, il est dans l’incapacité d’élargir son électorat au second tour, et par conséquent dépasser le cap fatidique.C’est vraisemblablement le scénario qui va se produire en 2017 : Marine Le Pen sera vraisemblablement au second tour et, comme en 2002, les autres partis agiteront la menace d’une victoire du FN qui est définitivement exclue.

Cette situation est le résultat de la stratégie de diabolisation mise en place par la gauche dans les années 1980. En décrétant que le FN est un parti infréquentable mais en se gardant bien de l’interdire explicitement, le PS a eu recours à une stratégie redoutable, et d’autant plus efficace qu’elle a été soutenue par une grande partie des élites politiques et médiatiques. Cette stratégie est très astucieuse car elle permet d’affaiblir la droite en la privant d’une partie de ses électeurs,tout en interdisant au FN de passer des alliances, ce qui l’empêche d’exercer la moindre responsabilité. Sur le plan des principes démocratiques, une telle stratégie est déjà problématique en soi, surtout lorsqu’elle est justifiée par un appel solennel aux grandes valeurs républicaines. Mais elle devient encore plus problématique au fur et à mesure que le FN gagne des électeurs car, non seulement ces derniers éprouvent un sentiment de frustration, mais de plus elle n’incite pas les partis de gouvernements à modifier leur programme pour tenir compte de ces électeurs oubliés. Lorsque Manuel Valls évoque un risque de guerre civile, il devrait réaliser que ce risque peut également provenir du manque de perspective politique qu’éprouve cette partie de l’électorat.

Comment expliquer l'évolution entre les résultats du premier tour, et ceux du second ? Quelles grandes tendances retenir de ces régionales 2015 ?

L’un des grands enseignements de ce scrutin, c’est que les voix du FN se reportent peu, ou disons très mal, sur la droite traditionnelle. On peut le vérifier très précisément dans les régions où la gauche et la droite étaient au coude à coude, et où la gauche avait des chances raisonnables de l’emporter. C’était le cas en Bourgogne, en Normandie ou en région Centre. Or, à chaque fois, le FN obtient quasiment le même score au premier et au second tour. Cela signifie qu’une grande partie des électeurs frontistes ne souhaite même pas voter utile pour empêcher la gauche de l’emporter. C’est une leçon à méditer car cela veut dire que la stratégie de Nicolas Sarkozy, qui consiste à droitiser son discours dans l’espoir de gagner des électeurs frontistes, risque de ne pas fonctionner, du moins pas aussi bien qu’en 2007.Du coup, ce constat peut donner du souffle à ceux qui défendent une stratégie alternative, notamment Alain Juppé. C’’est d’ailleurs ce qu’a exprimé Nathalie Kosciusko-Morizet lorsque celle-ci a critiqué la stratégie du « ni ni » (ni PS, ni FN) de Nicolas Sarkozy, ce qui semble annoncer son ralliement à Alain Juppé.

On risque donc d’avoir une situation assez paradoxale, avec d’un côté un FN fort, mais de l’autre un intérêt tactique à ne pas courir après cet électorat, voire à le fuir, ce qui risque d’aggraver les frustrations, dont les tensions.

Pour se qualifier au second tour, une stratégie modérée visant les électeurs de gauche risque en effet de s’avérer plus payante qu’une stratégie offensive, sous réserve évidemment que François Hollande sont toujours aussi impopulaire dans l’électorat de gauche modérée. Dans l’immédiat, la position de Nicolas Sarkozy à l’issue des élections régionales risque donc d’être difficile. Il fait partie de ceux qui sortent fragilisés du scrutin, alors qu’il pensait en faire un tremplin pour 2017.

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