Pouria Amirshahi : "François Hollande se dit, comme d'autres, 'gérons d'abord la sécurité et on verra demain'. Mais demain on n’aura que nos yeux pour pleurer si on n’a pas traité du fond" <!-- --> | Atlantico.fr
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Pouria Amirshahi, député de la 9e circonscription des Français établis hors de France.
Pouria Amirshahi, député de la 9e circonscription des Français établis hors de France.
©Clément Bucco-Lechat /Wikimedia Commons

Grand entretien

A la suite des attentats du 13 novembre à Paris, François Hollande a déclaré l'Etat d'urgence sur tout le pays. Le Président de la République espère s'en tirer sur des questions d'ordre sécuritaire, au jour le jour, sans se préoccuper des problèmes de fond.

Pouria Amirshahi

Pouria Amirshahi

Pouria Amirshahi est membre du bureau national du PS. Il est également député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France (Afrique du Nord et de l'Ouest).

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Atlantico : Vous êtes député des Français de l’Etranger de la zone Afrique, Bamako se trouve dans votre circonscription. Selon vous la France était-elle ciblée par l’attaque de l’hôtel Radisson ? Aviez-vous eu des menaces ?

Pouria Amirshahi : Les Français n’étaient pas particulièrement visés. Ceux qui descendent dans cet hôtel sont des voyageurs du monde entier : ONG, diplomates, journalistes, chefs d’entreprise issus d’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Europe. Quant aux menaces qui pèsent sur le Mali, elles sont permanentes...

Jeudi dernier vous avez voté contre la loi permettant de prolonger de trois mois l’Etat d’urgence en France. Vous n’étiez que six à vous prononcer contre, comment expliquez-vous cette quasi-unanimité ?

Par le contexte qui fait que l’on confie trop rapidement, dans ce moment de peur légitime, les clés à l’autorité exécutive et administrative. Il s’agit donc surtout d’envoyer un message sécuritaire à l’opinion. Les mots utilisés depuis le confirment, jusqu'à l'évocation des menaces à l'arme chimique (sans doute réels depuis l'attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo de 1995). C'est dommage car dès vendredi soir le gouvernement avait bien agi. Il n’était ni nécessaire ni responsable d’en rajouter, d’ajouter de l’angoisse et de l’anxiété à la peur. Ce faisant, l'état d'urgence prolongé débranche l'autorité judiciaire, gardienne des libertés. Les parlementaires étaient libres d’accepter ou non la prolongation de l’état d’urgence mais comme le dit le juge Marc Trévidic, nous disposons d'un arsenal pénal et policier largement suffisant depuis les dernières lois antiterroristes. Les interventions policières de Saint-Denis l’ont montré, le code de procédure pénale et l’application stricte des lois antiterroristes sont très efficaces puisque c’est dans ce cadre-là qu’ont eu lieu les interventions.

On a donc confondu urgence et précipitation. On a fait voter dans l’urgence un état d’urgence, alors même que les 12 jours que l’on nous a demandé de prolonger n'étaient même pas écoulés. Dans cette situation exceptionnelle, agir ne doit pas empêcher la délibération rationnelle ; or la pression du moment, le traumatisme collectif, les surenchères verbales ne permettent pas de mener un débat avec sang-froid et sérénité. Ce qui fait notre force face aux  fanatismes, c’est que nous délibérons et que nous votons. L'empressement à refuser tout autre point de vue, tout autre approche et toute alerte est un signe de fébrilité démocratique inquiétant.

Qu’est-ce qui vous gêne très concrètement dans ce texte ?

D'abord que l'on puisse interpeller désormais arbitrairement toute personne en fonction désormais de son "comportement" et non plus de son "activité". Qui juge du comportement ? Avec quel discernement ? Au moins la précédente version de 1955 exigeait que les opérations de police se justifient sur la base d'activités suspectes constatées. Ensuite, donner la possibilité aux préfets d’interdire les réunions publiques et manifestations au moment même où les gens ont besoin de se retrouver, de se parler, de réfléchir ensemble aux raisons de ces attaques, est une faute politique. Enfin,la durée pose problème : pourquoi 3 mois ? Cela n'a jamais été expliqué. Mais les menaces ne vont pas s'éteindre en janvier... Nous accepterions donc potentiellement un état d'urgence permanent ? Il en est pour moi d'autant moins question que la Loi commune est déjà très bien outillée.

Si on interdit les réunions publiques  n’est-ce pas parce que les réunions sont devenues des lieux dangereux ? Vous dites, dans votre tribune, c’est un manque d’audace, mais la société n’a-t-elle pas plus besoin de sécurité que d’audace ?

C’est exactement ce que cherchent nos adversaires. Vous prétendez que les gens n'auraient plus besoin que de sécurité mais je constate qu'ils ont aussi besoin de parler. Se parler, se réunir, c'est aussi une mise en sécurité. Les attaques meurtrières peuvent arriver n’importe quand, n’importe où. En interdisant les rassemblements, les manifestations, on commet une erreur fondamentale car on ne fait pas participer la société, on ne l’entraine pas vers la co-responsabilité or il faut continuer à vivre. On ne confisque pas le débat citoyen dans une démocratie. À procéder ainsi,on se vide de notre énergie et on laisse la sidération permanente s'installer. L'interdiction de la marche citoyenne prévue dans le cadre de la COP 21, plus grand événement mondial de l'année et décisif pour l'avenir, est une erreur.

Au-delà de l’état d’urgence, que pensez-vous des mesures annoncées par François Hollande devant le Congrès, avez-vous aussi des réticences à propos de celles-ci ?

Il y a des choses qui m’ont choqué comme de constitutionnaliser la déchéance de nationalité ou de constitutionnaliser la présomption de légitime défense pour les policiers. D’autre part, François Hollande a annoncé que cette réforme constitutionnelle aura lieu alors même que nous serons encore en état d’urgence. Comme beaucoup de démocrates, j'affirme qu'on ne modifie pas une constitution lorsque l’on est dans un état d’exception et qui plus est quand le chef de l’Etat déclare notre pays "en guerre". Que certains Etats le fassent, c’est un fait mais une démocratie ne doit pas se permettre cela.

Les déclarations très martiales de l'exécutif n'ont porté que sur la rhétorique de terroriser les terroristes, d'éradiquer les éradicateurs, de tuer ceux qui tuent, etc. La société ne peut s'en remettre à ce seul discours. Le temps de la délibération n’est pas un temps perdu, le débat entre citoyens non plus. Il faut que l’on s’interroge sur ce qui se passe, comment le monstre Daesh est né ?  Qui est responsable ? Nous n’aurions aucune responsabilité dans les désordres du monde ? Pourquoi nous n’en parlons-nous pas ? Sans même répondre à ces questions, je dis simplement qu’il faut avoir le courage de les poser. Quelles sont nos alliances internationales ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, dans notre pays, il y a des gens prêts à se faire sauter et à tuer d’autres Français ? Nous sommes capables, et c’est bien, d’annoncer au lendemain de chaque drame la création de 2 000 postes de policiers ou de gendarmes, sans jamais regarder à la dépense ; mais il faut, dans le même temps, dans la même annonce, faire la même chose pour la culture, l'éducation spécialisée et pour l’école. Or, on se contente, pour répondre au risque terroriste et à la radicalisation de certains de nos jeunes, de centres d'enfermement spécialisés.

Il faut faire attention aux déséquilibres que nous conduisent au délitement de notre société. Être en sécurité ne passe pas uniquement par un arsenal sécuritaire. Mettre les gens en sécurité c’est aussi leur permettre de bien vivre, ensemble. Pourquoi ce "coût" là serait moins prioritaire que celui de l'appareil sécuritaire ?

Mais pourquoi délaisse-t-on ainsi une partie du problème ? Pourquoi ne traiter que l’aspect sécuritaire? Parce qu’électoralement c’est moins payant ? Parce que ça coute trop cher ?

Je pense que François Hollande se dit, comme d'autres : "d’abord on gère la sécurité et on verra demain" mais demain on n’aura que nos yeux pour pleurer si on n’a pas traité le fond du problème, si la République n'a pas accompagné nos gosses sur son chemin, si on n’a pas lutté contre les discriminations qui portent en germe la violence de quelques-uns demain. Remettre chacun au cœur de la société française et de la République devrait être notre boussole concrète. Les discours répétitifs sur nos "banlieues" fatiguent...

Comprenez-vous que nos concitoyens préfèrent aujourd’hui leur sécurité à leur liberté, que la frontière se soit à nouveau déplacée depuis Charlie ? Ils sont près de 90% à approuver les mesures proposées par François Hollande.

Je me contrefous des sondages qui, au lendemain d’un attentat terrible, demandent à des gens s’ils veulent plus de sécurité ou pas. Moi-même, je suis dans les 89%. Les 100 % veulent vivre en paix. Ils se disent : quand mes enfants sortent, je ne veux pas qu’ils se fassent tuer. Mais je ne fais pas l’erreur de croire que si la sécurité est aujourd’hui prioritaire, le reste peut attendre. François Hollande doit croire que l’on ne peut pas faire les deux en même temps, c’est une erreur. C’est la même chose à l’international. Les problèmes du Moyen-Orient et d’Afrique nous percutent violemment, or la cause de ces problèmes ce sont des États en faillite, corrompus, avec qui pour certains nous commerçons. Ca fait des années que je tire la sonnette d’alarme à ce sujet : rétablir la sécurité sans le développement, ça ne sert à rien car la grande misère c’est le terreau de recrutement de toutes les sectes et du djihadisme radical. Quand vous voyez des pays où il y a eu des émeutes de la faim en 2008 et qui n’ont pas évolué, où il n’y a plus d’Etat, qui sont en guerre ou qui subissent des crises climatiques, ils en veulent à l'incapacité de leurs dirigeants, ils en veulent aussi aux puissants de ce monde, dont nous sommes, et c’est là-dessus que jouent les terroristes. L’objectif c’est la destruction de Daesch ; mais après ? Quel projet ? Qu'en pensent les gens concernés ? Comment nous voient ceux que nous bombardons depuis 1991 dans la Région (car personne ne peut accepter le mensonge selon lequel nous n'aurions fait que des "dégâts mineurs"). Moins on délibère, plus les clichés, les replis, les peurs, les rancœurs s’accumulent. Et c’est exactement cette anxiété là que veulent nourrir les fondamentalistes. C'est aussi la façon qu'ont eu les "faucons" de gouverner les esprits.

Est-ce que l’on assiste là à une vraie conversion de François Hollande au tout sécuritaire ou n’est-ce qu’un changement de façade imposé par les évènements ?

Cette conversion fait peut-être suite aux évènements mais elle semble durable. Ceux qui ont ouvert cette grande parenthèse sécuritaire ne voudront pas la refermer, je le crains. C'est pourquoi la société doit rester mobilisée et les démocrates intransigeants.

Pensez-vous que ces nouvelles dispositions annoncées par le Chef de l’Etat pourraient s’avérer dangereuses entre les mains d’un autre président de la République ?

Oui, le pouvoir entre les mains des formations politiques les plus autoritaires, et encore plus quand elles sont teintées de xénophobie, est évidement dangereux. Oui le risque est réel et sérieux. Surtout quand on nous dit que "l'extrême droite est aux portes du pouvoir en France". C’est pour ça que l’on ne touche pas à la légère à la loi et quand on discute de surveillance des citoyens ou de l’équilibre entre liberté et sécurité, on ne le fait pas sous le coup de l’émotion. Vous connaissez la phrase du Premier ministre norvégien après les attentats commis par Anders Behring Breivik en 2011: "Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, d’ouverture et de tolérance". Il faut répondre aux ennemis de la démocratie par un peu plus de démocratie. Je citerais aussi Benjamin Franklin : "ceux qui veulent un peu moins de liberté pour un peu plus de sécurité n’auront ni l’un ni l’autre". 

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