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Fusion des listes droite/gauche aux régionales : Manuel Valls, l'homme qui maquillait les vices de ses ambitions sous la "vertu" de la lutte anti-FN
©Reuters

Pompier pyromane

Pour contrecarrer la montée du FN et sa potentielle victoire en Nord-Pas-de-Calais Picardie, Manuel Valls s'est prononcé en faveur d'une fusion des listes LR et PS. Une proposition rejetée par la gauche et la droite, et qui illustre clairement l'attitude électoraliste et délétère du Premier ministre.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Manuel Valls s'est récemment prononcé en faveur d'une fusion des listes PS et Républicains pour les élections régionales, en Nord Pas de Calais, provoquant un violent tollé à gauche comme à droite. Outre le boulevard que Manuel Valls ouvre au FN, ne représente-t-il pas une véritable nuisance pour le débat politique ? Dans quelle mesure cette attitude est-elle délétère ? Faut-il y voir un besoin d'attention médiatique ?

Jean Garrigues : Il est évident que sur le terrain électoral, à court terme, cette proposition de Manuel Valls ne peut tout simplement pas être positivement reçue par les socialistes : c'est une anticipation de l'échec au premier tour des régionales. Deux régions, Nord Pas-de-Calais et PACA, sont véritablement visées. Dans la première des deux, les réactions hostiles sont très fortes, ce qui illustre une dimension de rapport de force interne au Parti Socialiste, particulièrement dans les réactions du candidat et des élus socialistes du Nord Pas-de-Calais.

Sur le fond, la proposition de Manuel Valls est bien évidemment contre-productive pour les socialistes. De surcroît, elle l'est également pour la droite républicaine : une fusion des listes ne ferait qu'accréditer la thèse de l'UMPS et la victimisation qui reste l'un des chevaux de campagne du FN. Cela peut-être compris comme une manière d'occuper le terrain médiatique, dans un champ politique déjà surmédiatisé. Pour autant s'en arrêter à cette analyse seule, ce serait proposer une analyse incomplète : il faut y voir quelque chose qui va beaucoup plus loin que ces simples élections et qui s'étale sur plusieurs niveaux. Le premier d'entre eux, c'est celui du lendemain de ces élections régionales. A partir du moment ou Manuel Valls se positionne dans une optique de front républicain, il s'inscrit dans une logique cohérente avec les anciennes positions qu'il a eu au moment des départementales et des anciennes élections partielles qui ont eu lieu. Cette position, c'est celle de celui qui veut faire barrage au Front National. Par conséquent, il se disculpe de la responsabilité de l'échec de la gauche à ces élections, mais également de l'échec (plus large) des grands partis. C'est le premier élément, qui est loin d'être inutile vis-à-vis de l'opinion publique mais également du long terme.

A plus long terme, l'élection de 2017 amènera vraisemblablement vers une recomposition politique de l'un des grands partis gouvernementaux. Dans la mesure où il est fort probable que Marine Le Pen arrive au second tour de l'élection présidentielle, l'un des grands partis aura nécessairement été exclu, écarté, du deuxième tour. Dès lors, de façon mécanique, ce parti sera nécessairement exposé à une recomposition, qui ira dans la logique des choses. Si l'on observe ce qui s'est passé au sein de la famille socialiste depuis 2011, on constate que Manuel Valls était tout à fait minoritaire au moment des primaires (moins de 10%) et qu'aujourd'hui il est devenu majoritaire auprès des sympathisants et des militants. Cette ligne pragmatique, social-libérale (qu'on pourrait qualifier de Macron-Valls), n'est pas si éloignée des positions de ce qu'est la ligne libérale d'une grande partie des Républicains comme les Juppéistes. L'idée d'une coalition, d'un rapprochement, n'est pas forcément si improbable que cela, sur le long terme.

Pour autant, sur le court terme, Manuel Valls risque fort de se retrouver très isolé. Le PS ne le suit pas : Cambadélis a mit le holà, en dépit du fait qu'il suivait la ligne de François Hollande lors du dernier congrès du Parti Socialiste, et il est là pour conforter la majorité hollandiste au sein du parti. Si Cambadélis ne suit pas Valls, c'est sans conteste le signe qu'il est isolé. Quant à droite, aucun des grands leaders n'a réagi favorablement. François Fillon a parlé d'absurdité, par exemple. Même les centristes, potentiellement plus sensibles à ce genre d'idées (puisque celle susceptible de prendre la tête d'une liste de fusion appartient à l'UDI, en la personne de Valérie Létard) , personne ne semble réceptif. François Bayrou, pour qui l'idée pourrait être intéressante et rejoindre le rassemblement qu'il prône ne semble pas y croire. Manuel Valls va faire face à un abandon réel, mais qui sera anticipé et relève d'un calcul à plus long terme.

Dominique Jamet : Sans être forcément délétère, l'attitude de Manuel Valls est corrosive et destructive puisqu'elle traduit que, à ses yeux, le Parti Socialiste et Les Républicains ne sont plus de taille à remporter une victoire sans faire alliance. Cela présage donc de fortes restructurations. Face au FN : l'Union Sacrée devient nécessaire.

L'hérésie qu'il était dans le passé, au yeux du parti socialiste, réapparaît. En effet, la discipline que demande la fonction de ministre ramené dans le rang. Mais il incarne à nouveau celui qui proposait il y a quelques années de cela que le parti socialiste change de nom. Il était considéré comme à droite, voire à l'extrême droite, voire même en dehors du Parti Socialiste. Sarkozy a même tenté quelques approches. Valls faisait partie des personnes dont il était prévisible qu'elles quittent le parti ou qu'il se sépare de lui.

On ne peut y voir une attitude délétère de sa part. Ces déclarations ne pouvaient que déplaire à ses camarades puisque c'est démoralisant de savoir avant une élection que l'on va la perdre. Ça brouille un peu les cartes ou ça les redistribue. Il refuse tout simplement de s'inscrire dans un déni de réalité. Des personnalités aussi éloignées que Philippe De Villiers et Daniel Cohn Bendit ont déclaré que le clivage n'était plus entre la gauche de gouvernement et la droite de gouvernement mais entre les partisans d'une Union européenne plus fédérale et ceux d'une France souverainiste. Manuel Valls s'inscrit dans une telle démarche.

Il y a bien évidemment beaucoup d'obstacles à droite comme à gauche avant que ce qu'il professe se réalise. En particulier à droite qui s'attend à une victoire prochaine et qui prend ainsi les socialistes de haut et ne veut surtout pas froisser l'électorat traditionnel de droite. Sur le long terme Manuel Valls a raison. 

Il faut se rappeler de plusieurs choses après avoir entendu ces déclarations de Manuel Valls. Tout d'abord c'est un ancien protégé de Michel Rocard. Ces déclarations, qui lui ont valu de l'hostilité à gauche et une certaine perplexité à droite, cachent une forme de parler-vrai. Contrairement aux usages, il n'attend pas le soir du premier tour pour dire ce que tout le monde pense. Le Parti Socialiste va prendre une claque en particulier dans le Nord Pas de Calais qui verra Marine Le Pen en tête. Il faudra donc en tirer les conséquences. Ce qu'il a dit est prématuré et c'est très étrange pour un homme politique chevronné comme lui d'ignorer l'usage qui veut que l'on ne s'exprime pas sur le second tour avant que le premier ait lieu. Mais Manuel Valls a quand même dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

Enfin, il était tenu par sa fonction mais il peut à présent penser à l'avenir vu sa place dans la vie politique française. Avec une fatigue éventuelle liée à ses fonctions il pourrait se préparer à un avenir où les grandes différences des deux grandes structures de la politique française des 30 dernières années s'estompent.

Où Manuel Valls trouve-t-il son intérêt dans toutes ces manœuvres politiques ? Ce genre de propositions virtuelles – déconnectées des problèmes réels et donc nécessairement à côtés en termes de solutions – ne servent-elles pas que son propre intérêt politique, sa carrière ?

Jean Garrigues : Evidemment, cette idée d'incarner ce que pourrait être une recomposition du paysage politique autour d'un rapprochement de la droite et de la gauche modérée, c'est typiquement une idée au service d'une stratégie personnelle. Celle-ci regarde après l'élection présidentielle de 2017 dans la mesure où il semblerait acté que Manuel Valls ait accepté l'éventualité d'une candidature de François Hollande. En même temps et comme souvent en politique, il ne faut pas oublier que derrière l'ambition et la posture, il y a des évolutions culturelles. En l'occurrence celle de la culture socialiste vers une culture sociale-libérale qui intègre les contraintes de l'économie de marché, de la mondialisation, de la nécessité de la mise en avant des valeurs de l'entreprise... tout cela concrétise une évolution culturelle en profondeur que Manuel Valls souhaite incarner. Cette évolution peut justement amener à cette recomposition politique ainsi que, potentiellement, à une certaine maturité politique de la société française. Si aujourd'hui elle heurte les cultures traditionnelles, celles du clivage, elle peut être intéressante à terme, particulièrement quand on fait le constat de ce qu'a donné l'alternance politique Sarkozy-Hollande. Il existe une nécessité de trouver autre chose. Soit, c'est précisemment dans un rapprochement constructif de la droite et de la gauche modérée, soit c'est dans une fuite en avant populiste. On peut considérer, politiquement et intellectuellement, que ça n'est pas forcément une idée absurde. Il y a, bien sûr, une volonté chez Manuel Valls de prendre la tête de ce mouvement et de s'assurer une carrière pour la suite, mais ça n'est pas nécessairement quelque chose de réprimable. Derrière cela on trouve une evolution en profondeur de la culture socialiste.

Dominique Jamet : Au poste où il est et avec le parcours qui a été le sien il se trouve dans une situation où d'autres l'ont précédé. Il y a toujours un moment où le numéro 2 est confronté au choix : rester dans le rang ou prendre son envol. Ce problème a été connu et résolu de façon différente par Jacques Chirac, Philippe Séguin, Edouard Balladur, Alain Juppé, Jean Pierre Chevènement et Michel Rocard. Il risque d'attiser la rancune d'un certain nombre de ses camarades. L'avenir de Manuel Valls risque de se trouver de l'ancienne structure de la rue de Solferino. C'est plutôt le maintien d'un Parti Socialiste qui n'est plus socialiste qui le mènera à la défaite. François Hollande et Manuel Valls ne sont pas mariés. Que ce soit avant 2017 ou après 2017, leurs chemins vont se séparer. Il est à un carrefour : soit il est serviteur de la défaite soit il prend ses distances.

Lors d'un débat avec les élèves de Sciences-Po, Manuel Valls estimait avoir "Vallsisé" la gauche. Que traduit concrètement l'opposition unanime qu'il rencontre dernièrement ? Quel portrait peut-on dresser ?

Jean Garrigues : Je crois qu'il y a, incontestablement, une vallsisation sur l'aculturation progressive de l'électorat de gauche (et, pour part, du PS) aux valeurs et aux idées de l'entreprise comme moteur de la reprise économique. Mais aussi autour des valeurs de l'ordre républicain (Manuel Valls se revendique comme un héritier de Georges Clémenceau, homme de gauche pour qui la notion d'ordre était au dessus de tout). Sur ces deux champs majeurs, le social-libéralisme et le socialisme d'ordre, il existe une évolution des esprits qui a influé sur l'électorat de gauche, socialiste. C'est ce qui a conduit à une conversion progressive des cadres et des élus. En partant d'une situation de minorité au PS, il est devenu majoritaire, bien que cette évolution ait suscité un certain nombre d'oppositions. Avec Emmanuel Macron, Manuel Valls est devenu la tête de turc des traditionnalistes, qui se définissent autour des frondeurs ou de Martine Aubry. La tension qui existe aujourd'hui autour de sa proposition n'exprime pas forcément un rejet durable de Manuel Valls. Il est dans une position conjoncturellement difficile, également en raison des résultats de sa politique, mais il demeure dans une dynamique de conquête au sein du PS.

Dominique Jamet : Le Parti Socialiste est dans l'incertitude et la déprime dans l'attente d'une 4ème défaite. Après les propos tenus par Manuel Valls il risque d'être confronté à des demandes d'explication par le Parti Socialiste. Celui-ci quant à lui sera confronté à un choix. Que ce soit Valls, Macron ou d'autres, il y a des gens qui essayent d'habituer le Parti Socialiste au fait que le socialisme a fait son temps. D'un autre côté il y a ceux qui croient encore ou veulent croire au socialisme, à l'Union de la Gauche, voire à la lutte des classes. A cause des défaites du parti ainsi que de l'évolution du monde une confrontation aura lieu. On ne peut pas garder dans le même parti Mme Lienemann, M Emmanuelli, M Guedj, et M Macron ou M Valls. Il y a une scission en perspective c'est clair.

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