


Pourquoi la crise économique est loin d'être le seul facteur explicatif à la montée des partis nationalistes, populistes et xénophobes en Europe
Depuis le court semi-succès de Fuerza Nueva 1, l’extrême droite espagnole est marquée par un fractionnisme compulsif et une incapacité à se rénover autrement que par imitation des expériences européennes, principalement française et italienne. Or, les résultats au scrutin en Espagne n’ont rien à voir avec ceux de la France : les cinq listes d’extrême droite se sont partagé 0,38 % des voix. À Barcelone, les scores sont négligeables : 0,05 % pour la Falange Española Auténtica de las Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista, 0,03 % pour le MSR et pour l’islamophobe Democracia Nacional, etc. Alors même que la pluralité des candidatures pourrait au moins permettre de déceler quelle ligne est la plus porteuse, toutes les formes d’extrême droite sont en impasse. Étant donné l’intérêt du scrutin proportionnel, l’offre politique d’extrême droite a aussi été multiple à Perpignan. Si les petites formations d’extrême droite font un score équivalent au cas barcelonais, la liste frontiste arrive première avec 35,89 % des voix.
Cela souligne que « la crise de 2008 » n’est pas la cause d’une « montée des extrêmes en Europe ». En effet, si la violence de la crise en Espagne ne fait aucun doute, y compris en Catalogne où le nombre de chômeurs non indemnisés a triplé depuis 2010, le Roussillon est justement l’un des territoires français les plus fragiles. 32 % de la population perpignanaise vit sous le seuil de pauvreté. L’explication économique des scores n’est donc pas suffisante. Le score de l’extrême droite dépend de la rencontre entre une offre politique cohérente et une demande sociale autoritaire, construite par le sentiment de la déconstruction d’une communauté de destin. Face à l’accélération de la déliquescence de l’État-providence provoquée par l’eurolibéralisme, une partie nouvelle des populations européennes est politiquement disponible.
ne s’agit pourtant ni d’un retour aux années 1930, ni d’une réaction à un phénomène économique qui se serait enclenché en 2008. Des deux côtés de l’Atlantique, depuis quarante ans, se produit ce que l’on peut nommer dans le contexte français « la droitisation ». Il s’agit d’un démantèlement de l’État social et de l’humanisme égalitaire, lié à une ethnicisation des questions et représentations sociales, au profit d’un accroissement de l’État pénal. Ce processus porte une demande sociale autoritaire qui est une réaction à la transformation et à l’atomisation des modes de vie et de représentations dans un univers économique globalisé, financiarisé, dont l’Occident n’est plus le centre. C’est pourquoi les indicateurs socio-économiques ne sont pas seuls suffisants. Un pays comme la France connaît certes des difficultés, mais, par ailleurs, sa culture s’est construite durant cinq siècles sur des valeurs unitaires. La crise est donc chez elle politique et culturelle, et le souverainisme intégral répond à ses failles. La droitisation étant un processus en cours, il offre aux extrêmes droites la possibilité d’y adapter leur offre dans leurs sociétés nationales.
Extrait de "Les Droites extrêmes en Europe", de Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, publié aux éditions du Seuil, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.