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La grande majorité des arabo-musulmans déçue du socialisme : une véritable recomposition politique ou un mécontentement passager ?
©Reuters

Bonnes feuilles

L’objectif de cet essai est très simple : étudier à la fois le vote “musulman” – vers qui se tourne-t-il et quelles sont ses motivations ? – et l’impact électoral, s’il existe, de la présence d’une population d’origine arabo-musulmane dans les différents quartiers. Extrait de "Karim vote à gauche et son voisin FN", de Jérôme Fourquet, publié en partenariat par la Fondation Jean-Jaurès et les éditions de L'Aube (2/2).

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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La première moitié du quinquennat de François Hollande a donc été marquée par la perte de confiance vis-à-vis de la gauche. À la question du positionnement politique, neuf personnes sur les trente interrogées répondent : « Ni l’un ni l’autre. » La déception de cet électorat est fortement perceptible dans la prise de distance vis-à-vis du PS et, en l’absence d’amélioration tangible de leur situation d’ici la fin du quinquennat, il est probable que le mécontentement perdure et se durcisse. Par ailleurs, toujours en lien avec la déception provoquée par la première moitié du quinquennat, certains invoquent « la vraie gauche », une gauche plus sociale, « l’aile gauche du PS », nous dit Ali, celle « des frondeurs », pour Mohamed. Toujours à gauche, Jean-Luc Mélenchon semble en mesure de rencontrer un écho auprès d’une frange de cet électorat, puisqu’il est cité par plusieurs interviewés, qu’ils aient voté pour lui en 2012 ou non. Son franc-parler, ses « coups de gueule » et ses propositions sociales sont appréciés par cet électorat qui se dit déçu du Parti socialiste. Pour autant, comme nous le verrons dans l’étude de différentes villes, les données quantitatives ont montré qu’aux municipales les listes du Front de gauche n’avaient guère fait recette dans les quartiers à forte proportion de prénoms d’origine arabo-musulmane, cet électorat déçu optant d’abord pour l’abstention.

De la même façon, au regard de cette enquête qualitative (et les données quantitatives au niveau des bureaux de vote le confirment, comme nous l’avons vu), il ne semble pas que le mécontentement à l’égard de la gauche ait conduit à un basculement massif de cet électorat vers la droite. Il a ainsi été très compliqué et long de recruter pour nos interviews des personnes de culture musulmane ayant voté FrançoisHollande en 2012, puis pour l’UMP aux élections municipales de 2014 à Marseille et à Roubaix. Cela montre la difficulté qu’a la droite à percer dans cet électorat. Parmi les quelques personnes rencontrées ayant effectué cette trajectoire électorale, les considérations locales ont pesé autant que le contexte national. Ainsi à Roubaix, Dalila a voté pour le candidat UMP, Guillaume Delbar, car « il devait revenir sur les rythmes scolaires mis en place par la gauche à Roubaix depuis 2013 », tandis qu’Houria a apporté son suffrage « par mécontentement pour la gauche au niveau national ». Si la droite peine donc à pénétrer cet électorat, une partie de nos interviewés déclare une proximité avec le centre. François Bayrou mais aussi Jean-Louis Borloo sont cités à plusieurs reprises. La déception vis-à-vis de la gauche et la méfiance vis-à-vis de la droite offrent au centre une opportunité certaine de se rapprocher de cet électorat populaire. Nous relevons toutefois une certaine contradiction dans nombre des entretiens menés, avec d’un côté la dénonciation d’une politique gouvernementale « pas assez à gauche » et de l’autre un centre dont la politique économique se veut plus libérale que celle du Parti socialiste. C’est d’autant plus vrai que certains hésitent à se déclarer « au centre ou ni l’un ni l’autre », comme Karima.

>>>>>>>>>>>> A lire également : Le PS, c’est plus ça : qui pourrait capter le vote arabo-musulman en France... et comment ?

>>>>>>>>>>> Pourquoi la grande majorité des arabo-musulmans se déclare très insatisfaite et "déçue par le gouvernement" de François Hollande

Le Front national a beaucoup été évoqué lors des entretiens que nous avons menés ; pour manifester l’inquiétude que suscitent ses résultats récents d’une part, pour tenter d’expliquer les raisons de ces succès électoraux d’autre part, mais aussi, et c’est plus surprenant, pour revendiquer une proximité avec ce parti et ses idées pour quelques interviewés.

En dépit de la stratégie de dédiabolisation initiée par Marine Le Pen, le Front national conserve un très fort pouvoir répulsif sur les Français issus de l’immigration maghrébine et africaine, et donc sur les Français de confession musulmane (les données quantitatives par bureau de vote le confirment, notamment dans le cas du 7e secteur de Marseille). « J’ai peur que la prochaine fois, ce soit le Front national qui passe », nous dit Zina de Marseille. Pour Mohamed, les immigrés restent « des Français de papiers [aux yeux du Front national], c’est comme ça qu’ils nous voient, on est stigmatisé par le Front national ». L’enquête de l’IFOP pour la Fondapol ne dit pas autre chose, puisque 77 % des électeurs qui se déclarent proches du Front national considèrent qu’un Français musulman n’est pas aussi français qu’un autre1. Naïma considère que « les gens ne se rendent pas compte que le Front national est dangereux ». Ces prises de position très claires s’accompagnent en revanche, chez certains, d’une certaine empathie vis-à-vis des électeurs du Front national : « Je connais des gens bien, à bout, qui ne réfléchissent pas à la portée de ce vote », dit Samia.

Alors que, dans les villes étudiées, le Front national réalise de faibles scores dans les bureaux de vote à forte présence de population d’origine arabo-musulmane, certaines personnes interrogées déclarent connaître des « immigrés ou des musulmans qui pourraient être tentés de voter FN la prochaine fois ». Ainsi, à Roubaix, Dalila nous dit que « [son] mari était tenté de voter FN [alors qu’]il est d’origine algérienne, mais à force de voir tout ça, ce qu’est devenu notre quartier… ». En dépit de sa stigmatisation par le parti d’extrême droite, une partie de cet électorat est donc tentée, comme d’autres composantes de la société française, de brandir la menace du vote FN pour interpeller les responsables politiques et tenter de provoquer une prise de conscience dans la perspective des prochaines élections. D’autres, très minoritaires, ont déjà franchi le pas. Ali ou Fouad déclarent ainsi avoir voté FN pour la première fois lors des élections municipales de 2014. Par ailleurs, Fouad ou Sonia, qui se déclarent tous les deux potentiellement électeurs de Marine Le Pen en 2017, considèrent que c’est depuis qu’ils vivent à Marseille que leurs idées se sont rapprochées de celles du Front national. Pour ces électeurs marseillais, ce sont bien, à l’instar du reste des Français qui se disent proches du Front national, les questions de délinquance et d’immigration qui contribuent à ce vote ou à son projet. Fouad déclare : « Le FN sera plus sévère et la délinquance, ce n’est pas une fatalité, c’est une question de volonté politique [et] je leur accorde le crédit de pouvoir y arriver. » Enfin, pour Sonia, « il y a trop d’étrangers en France et pas assez de travail pour les Français ». Les Africains, Maghrébins ou Subsahariens, mais aussi les ressortissants des pays de l’Est, sont indifféremment ciblés par ce propos et accusés de « prendre du travail aux Français », notamment par le biais du « travail au black ». Cette jeune femme se positionne également de façon très ferme, voire virulente sur la question du communautarisme et du voile, puisqu’elle déclare à ce propos : « On dit que le niqab est interdit, mais on le voit toujours ici à Marseille et quand la police est là, elle ne fait rien. Mais il y a des lois, il faut les appliquer tout simplement. Ici, on est en France, s’ils ne sont pas d’accord, ils n’ont qu’à rentrer chez eux […]. Si tu ne veux pas qu’un homme te regarde, reste chez toi ! » On voit à la lecture de ces propos très virulents que les ressorts du vote FN peuvent également fonctionner dans l’électorat de culture arabo-musulmane, même si de puissants verrous demeurent dans cette population, dont seulement un segment étroit a basculé au Front national à ce jour.

Extrait de "Karim vote à gauche et son voisin FN", de Jérôme Fourquet, publié en partenariat par la Fondation Jean-Jaurès et les éditions de L'Aube, 2015. Pour acheter ce livre cliquez ici.

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