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"Intouchables" n'est pas plus raciste que le "Flic de Beverly Hills"...
©© Gaumont Distribution

Film noir

Jay Weissberg, critique à Variety, estime qu'Intouchables "met en avant un racisme digne de l'Oncle Tom qui, on l'espère, a définitivement disparu des écrans américains". Mais "Intouchables" est-il un film raciste ? Pas si sûr...

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : Jay Weissberg, critique à Variety, la référence en matière de cinéma à Hollywood, estimait récemment que "Bien qu'ils ne soient pas connus pour leur subtilité, les co-réalisateurs et co-scénaristes Eric Tolédano et Olivier Nakache n'ont jamais produit un film aussi choquant qu'Intouchables, qui met en avant un racisme digne de l'Oncle Tom qui, on l'espère, a définitivement disparu des écrans américains. D'ailleurs, les producteurs hollywoodiens qui ont racheté les droits du film français estiment que son scénario devra être amendé pour le public américain. Les Américains pêchent-ils par trop de politiquement correct ?

François Durpaire : Non. La France et les États-Unis n’en sont tout simplement pas au même niveau sur le plan de la diversité. Il y a une réflexion et une attention portée au traitement de la diversité qui est très ancien aux États-Unis. On peut comprendre qu'un film comme ça aux États-Unis puisse poser sans doute des problèmes. Au-delà de la communauté noire américaine, on peut se dire que les Américains sont très attentifs aux préjugés et aux stéréotypes qui sont diffusés. A tel point que certains, à la droite de la droite, ont dit dans les années 1980-1990 qu’ils ne pouvaient plus rien dire ni faire dans cette société. Et d’inventer le terme de "politically correct". Il désignait le fait que selon eux, si vous disiez un truc sur les femmes ou les Noirs on allait leur taper dessus…

Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit clairement de stéréotypes - et non de préjugés - car le personnage n’est pas vu négativement. Le critique de Variety ne dit pas qu’on fait du Noir quelqu’un de mauvais. Il reproche qu’on parle du Noir avec tout une série de stéréotypes…

Si on veut le voir du côté positif, on peut se dire que les Américains sont très attentifs aux préjugés et aux stéréotypes qui sont diffusés. Ce qui ne veut pas dire que je trouve que les critiques sur Intouchables soient justifiées.

Les Américains sont très sensibles sur le sujet visiblement. Mais s'indignent-ils toujours pour de "bonnes raisons" ?

Selon moi non. On peut citer par exemple une polémique non justifiée sur le film de Steven Spielberg Il faut sauver le soldat Ryan. On lui reprochait qu’il n’y ait pas de Noirs débarquant en Normandie. Or le réalisateur a regardé de nombreux films d’époque, etc. Finalement une partie de la population noire qui avait attaqué Spielberg a dû se rendre à l’évidence. Jusqu’en 1948, l’armée américaine était ségréguée. Les Noirs se sont sacrifiés mais pas dans les mêmes unités que les Blancs. Dans les films d’archives du Soldat Ryan des premières heures du Débarquement en Normandie, on ne voit pas de Noirs.

Une autre polémique cette année -et sans doute également injustifiée- a trait à un film très célèbre : La couleur des sentiments. Beaucoup on dit que le film présentait un "racisme light" dans les années 1960. Or, les deux racismes existaient à cette époque. D’un côté un racisme brutal que l’on voit par exemple dans Mississippi Burning. De l’autre, un racisme dans la quotidienneté de la relation. Le film montre qu’il existait des antiracistes en 1960. Dans ce film, une des héroïnes est obligée de courir en raison des affrontements. On voit aussi un racisme violent. Même si c’est de manière périphérique.

On peut aussi penser à la série Urgence dans laquelle un des héros, un médecin noir, le docteur Benton, interprété par Eriq La Salle, refuse le scénario selon lequel il devrait se marier avec une femme blanche, alors qu'auparavant, toutes ses histoires d’amour avec des femmes noires étaient des échecs. En effet, l’un des gros problèmes de la communauté noire américaine est la déstructuration familiale. Eriq La Salle a eu une démarche plutôt intelligente en n’encourageant pas une vision qui induit que les Noirs ensemble sont forcément en situation d’échec, et qu’il faut nécessairement se marier avec des Blancs…

Quid d’Intouchable ? Est-ce vraiment un film raciste comme le prétend le critique de Variety ?

Je préfère voir le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide. On peut déplorer les bons sentiments. Mais je me réjouis que les critiques proviennent des États-Unis et que ce film reçoive un bon accueil en France. C’est plutôt un encouragement à traiter ce genre de sujets.

J’espère que dans quelques années, des films iront au-delà de ces stéréotypes. Mais encore une fois, ce film relate une histoire vraie avec un handicapé blanc - même si l’accompagnateur était Arabe et non Noir dans la réalité. Parfois la réalité est plus caricaturale que la fiction. On ne peut tout de même pas faire comme si l’histoire avait été créée de toutes pièces.

Dire en France qu’Intouchables est un film raciste aura plus d’effets négatifs que positifs. En effet, les producteurs seront ensuite réticents à faire des films avec des personnages noirs ou arabes… On peut ensuite craindre que les réalisateurs ne voudront plus non plus traiter ce sujet par peur de se faire insulter par les associations… A terme, les acteurs noirs et arabes ne trouveraient plus de travail…

Un autre film Case départ a créé la polémique cet été en France. On lui reprochait de plaisanter sur l’esclavage. Je ne parle pas au nom du Comité de mémoire pour l’esclavage – même si j’en suis membre. Mais j’estime que beaucoup d’associations antiracistes, y compris nous, ont essayé de parler de ces sujets. Et qu’une comédie soit capable de montrer l’esclavage – même si c’était sur le mode de l’humour- est important. Même si le spectateur sait qu’il n’y a pas cinq conseillers scientifiques derrière et que c’est une comédie. Ni Intouchables ni Case départ ne méritent de polémique telle qu’on les voit aux États-Unis.

Dans les années 1980, Intouchables n’aurait suscité aucune polémique aux États-Unis.Eddy Murphy à l’époque ne représentait ni le Noir sérieux, ni le Noir sorti de Harvard ou de médecine. Il riait, chantait, etc. On pourrait dire que c’est un stéréotype. Seulement, à l’époque, les Noirs américains se disaient que mieux valait un Noir caricatural que rien du tout. Vingt ans plus tard, arrivés à cette phase, ils veulent aller au-delà. La France n’en est pas au même stade de cette reflexion…

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