Derrière "mamie Lucette" et les questions que François Hollande ne voulait pas entendre, les angles morts de la gauche… et ceux de la droite<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a des questions que la gauche et de la droite préfèrent éviter.
Il y a des questions que la gauche et de la droite préfèrent éviter.
©Reuters

Tabous

Jeudi 29 octobre, François Hollande s'est rendu chez l'habitant et a rencontré Lucette. La vieille femme n'a pas pu lui poser les questions qu'elle souhaitait, illustrant l'impossibilité d'aborder certaines thématiques avec un Président de gauche... comme avec un Président de droite. Petite liste des sujets à éviter.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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David Mascré

David Mascré

David Mascré est docteur en mathématiques et docteur en philosophie et en histoire des sciences. Chargé de cours en mathématiques à l’université Paris V et en école d'ingénieur, il collabore à de nombreuses revues et participe aux travaux de plusieurs fondations. 

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : François Hollande s'est rendu chez une habitante de Vandoeuvre-lès-Nancy, le 29 octobre. BFMTV a montré ensuite que cette opération de communication avait été montée de toute pièce et que la femme n'a pu librement poser les questions souhaitées au président de la République.  Que nous apprend cet épisode ? Quels enseignements en tirer ?

David Mascré : Le présent épisode atteste :

De la désacralisation du pouvoir dans les démocraties postmodernes  : processus engagé par la décapitation de Louis XVI – la citoyenne Lucette lointain écho de la citoyenne Marie-Antoinette - et qui s’achève dans la peopolisation de la vie politique (avec ses séries dynastiques - Kennedy versus Nixon, Clinton versus Bush, Sarkozy versus Hollande - ses reines d’un jour  : Leonarda, Cécilia, Carla, Loana, Nabila… ses inversions sémantiques et symboliques - guignolisation des politiques et politisation des guignols : de "Coluche président" à "Bruel et Joey Star spécialistes de géostratégie mondiale", ses rituels de pacotille et ses décors en carton-pâte).

De la décorrélation entre autorité politique et visibilité médiatique. Il y a 20 ans Lionel Jospin déclarait  "l’Etat ne peut pas tout". Aujourd’hui, l’Etat ne peut plus rien – hormis sans doute prélever des impôts. Il ne contrôle plus ses frontières, sa monnaie, sa dette, ses flux de migrants, ses réseaux d’affaire, ses territoires. Avec la religion multiculturelle et le culte transfrontiériste il s’est dépossédé de tous les outils d’action permettant l’exercice de la souveraineté.

Seule marge de manœuvre restante : la com’. Depuis 1971 (fin de la convertibilité dollar-or) et 1973 (loi Pompidou-Rotschild + 1er choc pétrolier), les hommes politiques n’ont d’autres mode d’action autorisés que la gesticulation médiatique. De Giscard s’invitant chez les "parisiens ordinaires" à Hollande invitant une provinciale ordinaire à " l’inviter chez lui ", la problématique est restée la même  : "créer l’événement" dans l’espoir de passer au journal de 20h.

Chantal Delsol : D’une manière générale, cette histoire plutôt ridicule montre l’excès de médiatisation vide, donc la fascination de nos politiques pour l’apparence. Il n’y a rien de vrai là dedans puisque la personne en question a été "briffée" avant et n’a pas pu dire ce qu’elle pensait. Cela montre en sus qu’il y a une fabrication de l’opinion, des montages  : au fond, on nous prend pour des idiots  !

Eric Verhaeghe : On peut s'étonner de la naïveté avec laquelle l'Elysée a monté cette opération de communication. Il était évident qu'en organisant une visite Potemkine, à la manière des tsars russes lorsqu'ils se déplaçaient dans les campagnes, le Président tendait le flanc à la critique et s'exposait au risque d'être démasqué. Le fait que la peur d'être ridiculisé soit moins forte que la peur de dialoguer directement avec une citoyenne "normale" en dit long sur l'état de décomposition de la classe politique française dans son entier. Il est assez étonnant de voir qu'il n'existe plus d'occasion pour un Président de la République de parler directement à un Français moyen. La profonde rupture de notre fonctionnement démocratique se situe là: le Président vit coupé du monde, et en dehors des quelques journalistes bobo qu'il fait le choix de fréquenter, il ne rencontre plus aucune personnalité extérieure à la Cour. A de nombreux égards, le pouvoir politique en France n'est plus que la caricature de lui-même: il ressemble à une branche morte. Lorsque le gouvernant doit rencontrer le gouverné, la rencontre obéit à un protocole extrêmement strict. Elle n'a rien à voir avec une délibération démocratique au cours de laquelle le gouverné serait librement consulté par le gouvernant. Elle exprime plutôt une horreur de la démocratie: il n'est pas possible que Lucette soit livrée à elle-même et puisse interpeler le Président comme si elle était son égale. Le droit qui lui est accordé de s'adresser au Président est en fait un privilège qui s'inscrit dans une procédure précise: les questions sont dictées à l'avance, le déroulement de l'entretien est totalement écrit à l'avance et les sujets que le pouvoir veut taire sont interdits. Symboliquement, la rencontre avec Lucette exprime bien la quintessence de la rencontre quotidienne entre le pouvoir politique et le peuple français aujourd'hui: c'est une relation descendante, compassée, superficielle. C'est une posture, et certainement pas une participation au gouvernement.

>>>> Lire également : Les coulisses de la rencontre (très, très loin d'être spontanée) de François Hollande chez Lucette

Qu'est-ce que cette attitude révèle de la politique actuelle ? Y-a-t-il objectivement des impensés, des tabous à gauche, comme à droite ? Quels sont les angles morts que les deux camps ne voient pas à cause de leur idéologie ?

Eric Verhaeghe : Lucette n'avait en effet pas le droit de poser certaines questions. Ces tabous correspondent assez curieusement aux sujets de l'impuissance pour François Hollande. C'est probablement la principale particularité de la classe politique française (au-delà de François Hollande lui-même): elle fonctionne sur le principe du déni. Chaque fois qu'elle est incapable d'agir, elle interdit d'aborder le sujet de son impuissance. Tout se passe comme si les sujets gênants étaient traités par la cécité: il suffit de ne plus voir les problèmes, de ne plus prononcer leur nom pour les faire disparaître. Cette technique magique, bien connue de la psychanalyse, est devenue la principale méthode de gouvernement, de droite comme de gauche. Dans le cas de François Hollande, le tabou porte évidemment, en premier lieu, sur la tyrannie des minorités. Il lui est impossible de reconnaître que les minorités qui vivent en France soient productrices d'externalités négatives pour l'intérêt général. Par exemple, le tabou consiste à nier l'existence d'un racisme anti-français sur le sol français. La déclinaison de ce racisme est évidemment niée en bloc. Que, dans certaines écoles publiques, le porc à la cantine soit banni et apparaisse comme un repas de substitution, est par exemple un phénomène passé sous silence. Pourtant, dans les écoles où les musulmans sont majoritaires, le porc est généralement proscrit des menus et les enfants chrétiens doivent apprendre à s'en passer. Cette réalité-là est tombée dans l'angle mort des regards bien pensants qui préfèrent ne pas y songer. Le même reproche pourrait être adressé à la droite, qui préfère ne pas aborder les sujets qui fâchent et où elle sait par avance qu'elle n'agira pas. Le mariage gay est la caricature de ce déni de droite. Tout le monde sait que la droite bo-bo et "orléaniste" voit d'un oeil plutôt positif cette réforme sociétale imposée par François Hollande pour faire plaisir à son électorat homosexuel. Une Kosciusko-Morizet, par exemple, n'est pas pressée d'affronter son électorat parisien en remettant en cause une loi qui fait encore débat dans de larges portions de son électorat. Plutôt que d'expliquer ce point clairement, le choix du silence est privilégié: ni vu, ni entendu, ni évoqué. On connaît tous le prix que la classe politique paie en se cantonnant à cette stratégie du déni: elle enfle mécaniquement le vote contestataire, qui attend de la transparence et de la sincérité dans les décisions.

David Mascré : Dresser une liste exhaustive serait une tâche trop longue. Et dresser un catalogue méthodique – i.e. non rhapsodique – de ces impensés supposerait de se livrer à un exercice de généalogie historique et philosophique, remontant à la naissance et à la constitution ontologique de la bicéphalie droite/gauche elle-même. Pointons provisoirement quelques impensés manifestes.

Chantal Delsol : Le détail concernant l’immigration et les SDF, sujet que l’on a demandé à cette personne de ne pas aborder, est particulièrement significatif. Ce qui est étonnant, ce n’est pas que des tabous existent – cela existe partout-, mais qu’ils se développent au milieu d’un discours qui prétend avoir supprimé tous les tabous… Et ce qui ensuite est étonnant et bien sûr inquiétant, c’est que les impertinents, qui enfreignent les tabous, sont punis d’ostracisme et sans ménagement. Regardez Nadine Morano qui a osé employer le mot race et dire que l’Europe avait au début été habitée par des blancs judéo-chrétiens  : même la droite l’a exclue, par peur de la gauche. Et plus intéressant encore : on lui a demandé de se repentir ! Autrement dit, on lui propose le rachat contre son honneur. Je suis en train de relire Vie et destin de Vassili Grossman. C’est exactement ce qui arrive au héros, le pauvre Strum. On lui demande de se repentir (il a osé dire la vérité) et de demander pardon. Naturellement Strum risque la Loubianka ou le goulag, ce qui est autre chose, et c’est pourquoi dans son cas on parle de totalitarisme. Mais le processus est le même des deux côtés.

Je ne pense pas du tout qu’il y ait une idéologie à droite en ce moment (c’était différent à d’autres époques). La droite obéit à l’idéologie de la gauche en tremblant de tous ses membres, voilà l’histoire. Elle-même n’a pas de pensée propre. Elle aime le pouvoir et l’argent, et elle croit juste qu’il faut des experts pour gouverner, ce qui indique bien qu’elle n’a pas de convictions.

Les questions angles morts de la gauche 

David Mascré : La notion de sacrifice  : 

Le terme renvoie à la notion de sacré – concept définitivement et résolument disqualifié par l’idéologie moderniste. "Il faut être résolument moderne"  disait Rimbaud. La gauche a fait sienne cette double profession de foi moderniste et progressiste. Conséquence : la disparition du sacré des écrans radars officiels rend inaudibles pour l’intelligentsia de gauche un certain nombre d’actes ou d’événements décisifs de l’histoire  :

Le sacrifice des poilus et la geste héroïque des hommes du front en 14 (cette dernière grande ordalie politico-démographique selon le mot de l’historien Pierre Chaunu)

La résistance héroïque d’un Soljénytsine bravant seul la montagne du socialisme d’Etat et dénonçant au monde, face au silence assourdissant de l’intelligentsia de gauche occidentale, l’archipel du goulag, manifestant ainsi la puissance de la vérité face aux mensonges de l’idéologie officielle.

L’obsession de certains hommes – papes en tête - à vouloir sauver et protéger les plus faibles (enfants à naître, vieillards agonisants, malades incurables…)   

Créon contre Antigone  : la logique est toujours la même.

La notion d’honneur  :

A Patay, Rocroi, Fontenoy, Sedan et même encore sur la Marne ou à Tannenberg en 1914, on s’est fait la guerre – parfois entre cousins – pour des questions d’honneur. 

En 1962 encore, Bastien Thiry pouvait assumer l’attentat du petit Clamart au nom de l’honneur du soldat, de la parole donnée aux musulmans algériens ou en référence aux attentats de von Stauffenberg ("Le désastre algérien nous fait perdre l'honneur; en couvrant d'infamie le drapeau français qui a été amené, dans l'abandon de ceux qui avaient cru en la France"). De Gaulle pouvait faire fusiller Bastien Thiry parce que ce dernier avait manqué à l’honneur en tirant sur un véhicule transportant une femme. Ces deux hommes, l’un et l’autre pétris de culture, pensaient et agissaient en hommes d’honneur. Depuis François Mitterrand, cette notion a définitivement disparu de la scène politique. Le machiavélisme est devenu une règle d’or et presque un "code d’honneur". Depuis lors, les petits élèves ont essayé de s’élever à la hauteur du grand maître florentin. Avec parfois moins de talent mais souvent plus de persévérance et de succès.

Les questions angles morts de la droite

David Mascré : Les conditions de promulgation de l’article 16 de la Constitution. 

De Gaulle l’avait conçu dans un contexte de guerre civile qui ne voulait pas dire son nom – la guerre d’Algérie – au lendemain du putsch des généraux d’Alger (25 avril 1961) et prolongé six mois durant (jusqu’au 29 septembre 1961). La droite bonapartiste – obsédée par l’ordre et sans doute inconsciemment hantée par les lointaines réminiscences du 2 décembre 1851, du 18 brumaire 1899 et de la répression des journées de juin 1848 – avait applaudi à tout rompre, y voyant la marque d’un retour à l’ordre et d’une consolidation des positions acquises.

Nombre d’hommes de droite continuent de penser qu’en cas de crise grave, l’article 16 pourrait être d’un secours utile. C’est oublier que la gauche a, quarante années durant, patiemment conquis l’un après l’autre les différents appareils idéologiques d’Etat (télévision, presse, cinéma, édition, centres culturels…) au point de disposer aujourd’hui du monopole de nomination des choses et par suite de définition des crises.

C’est elle qui, à n’en pas douter, en cas de crise grave, pourrait être amenée à promulguer l’article 16. 

Simple hypothèse d’école  : que se passerait-il si, par exemple, des heurts éclataient entre Français de souche et immigrants venus en masse et que les premiers succombaient à la tentation de s’armer pour se défendre ou se faire justice  ? 

François Mitterrand, auteur du Coup d ‘Etat permanent – son seul bon livre si l’on en croit Jean-Edern Hallier – aurait eu là son ultime paradoxale victoire. 

L’éducation

Groucho Marx (aucun rapport avec l’économiste) le disait déjà en son temps par antiphrase sous forme humoristique. "L'ennui, c'est que nous négligeons le football au profit de l'éducation." Une partie de la droite ne raisonne pas autrement.

Depuis Chirac, la droite n’a cessé de penser le modèle de la cohésion nationale sur le mode footballistique. Il suffit de se souvenir de la mascarade de juillet 1998 (la communion autour de l’unité black-blanc-beur) ou de reprendre les déclarations des ministres de Sarkozy au moment du débat sur l’identité nationale pour se rendre compte de la puissance de cette infestation mentale. C’est à l’école et non au football de nous dire quels hommes admirer et quelles vertus pratiquer. C’est à l’école et non au football de fournir les principes directeurs d’une authentique cohésion politique et sociale.

La droite l’a oublié. L’erreur remonte à Pompidou et à Giscard (réforme Habi instituant le collège unique) et peut-être même à de Gaulle (lequel jugeant les affaires économiques et la politique de prestige – Concorde, plan Calcul, France, Mirage, …. – plus importants que l’éducation des Français laissa le soin de cette mission – la plus haute pourtant de la sphère politique si l’on en croit Platon dans La République et des Lois – aux communistes et autres épigones du socialisme (première ou deuxième voie). Avec les conséquences que chacun peut aujourd’hui constater.

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