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Prisons sous tension : derrière les revendications, ce qu’oublient de dire les surveillants
©Reuters

Prison break

Après les policiers et les avocats, ce sont les surveillants de prison qui viennent de manifester leur mécontentement, jeudi 22 octobre, face à une situation carcérale qui ne cesse de se dégrader.

Atlantico : Il manque aujourd'hui 1300 surveillants dans les prisons. En 2014, 4000 agressions physiques ont été répertoriées par l'administration pénitentiaire, 18 prises d'otages et 12 suicides. Les personnels pénitentiaires sont à bout et réclament le retour à l'ordre. Que pensez-vous de ces revendications ?

François Haut : Je pense que l'argument avancé par les surveillants selon lequel le manque d'effectif est à l'origine de tous les maux est un faux problème. Il s'agit d'un langage syndical. Il y a probablement trop de détenus. Il y a une promiscuité. Mais il y a surtout une forme de criminalité qui ne veut pas être considérée par les pouvoirs publics.

C'est un problème de politique. Le ministère de la Justice ne prend pas en compte un certain nombre de paramètres existants à l'intérieur des établissements pénitentiaires. Il n'y a rien de surprenant à ce que les détenus soient agités. Les gardiens de prison peuvent se plaindre d'être agressés, mais cela fait partie de leur métier.

Dans les prisons, on est confronté à des réseaux organisés. Tous les trafics existent, qu'ils soient purement lucratifs ou qu'ils se manifestent autrement, comme les trafics tournant autour de l'islamisation.

Lorsqu'un détenu arrive en prison et qu'il a un téléphone portable deux jours après, c'est une situation très perturbante. On doit effectivement s'interroger sur ce qu'il se passe réellement. Mais on demande au même corps de s'auto-analyser. C'est problématique.

La situation ne fait que s'aggraver, en France comme ailleurs. La criminalité carcérale s'endurcit avec une logique qui renvoie en prison ceux qui sont condamnés pour avoir agi en prison. Ils s'abreuvent de ce qu'il se passe à l'intérieur du système carcéral. On a donc de plus en plus de difficultés à éradiquer cette "maladie".

D'après vous, quels outils doivent être mis à l'œuvre pour faire changer cette situation ?

D'après moi, il est indispensable de rentrer dans une véritable logique de renseignement pénitentiaire en faisant fonctionner celui-ci sur des fondements tangibles. Il faut savoir ce qu'il se passe à l'intérieur des établissements. Mais on rentre alors dans une mécanique vicieuse entre ceux qui vont chercher le renseignement et ceux qui vont se trouver dans le système de manière un peu déséquilibrée. De ce fait, en France, on ne fait pas de véritable renseignement pénitentiaire.

Dans d'autres pays, où il existe des réalités pénitentiaires extrêmement structurées, on connaît les détenus. Ils sont répertoriés et fichés. On surveille leurs activités autant qu'on peut le faire en fonction des textes en vigueur. Malgré cela, cela ne marche pas aussi bien que ça devrait. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, la criminalité en prison est très difficile à éradiquer.

Pourquoi cette criminalité est-elle si difficile à éradiquer ?

Dans les prisons américaines, on voit des détenus seuls dans leur cellule, enfermés 23H/24 avec une heure de promenade accompagnée, organiser des trafics dans leur cellule. Il y a des modes de communication qui fonctionnent très bien dans les prisons même s'ils sont particulièrement archaïques. On a vu des gens en cellule diriger des réseaux de trafic de stupéfiants ou des réseaux de vol de voitures. Les prisonniers ont des droits qui se retournent totalement contre nous. Il ne faut pas les supprimer évidemment, mais il faut trouver des solutions adaptées.

Contrairement à ce que l'on pense, les outils de contrôle dans les prisons ne sont pas efficaces. Il est vraiment très difficile de lutter contre la criminalité en prison. C'est un paradoxe qui n'a pas de réelle solution.

C'est systématique, les formes de criminalité qui dérangent vraiment de manière sérieuse ne sont pas considérées. Combien de temps a-t-il fallu pour que l'on parle de bandes de banlieues ? Il a fallu plus de 20 ans à partir du moment où l'on a tiré la sonnette d'alarme au début des années 1990. Il a fallu plus de 20 ans pour que l'Etat fasse quelque chose parce que cette forme de criminalité dérange.

La criminalité qui agit depuis l'intérieur des prisons est encore plus dérangeante. On ne veut pas le reconnaître, c'est comme une maladie honteuse.

D'où provient cette perception si particulière du problème de la criminalité carcérale ?

La criminalité qui touche directement les gens est une maladie honteuse de la société. C'est une brûlure sociale qui n'est pas très profonde et qui n'intéresse donc personne. De plus, c'est la faillite d'un système. Certains établissements pénitentiaires sont virtuellement tenus par des groupes criminels qui décident de tout, c'est une réalité dans de nombreux pays du monde.

En France, il y a un problème structurel et, surtout, un manque de volonté politique. On ne voit pas, on n'entend pas, c'est comme s'il ne se passait rien dans les prisons ! La machine pénitentiaire est une machine qui ne veut pas regarder ses problèmes et les politiques ne veulent pas appuyer sur l'accélérateur qui permettrait de faire avancer les choses. La lutte contre la criminalité n'est pas seulement un phénomène technique. C'est aussi une affaire de volonté politique.

Nous, criminologues, ne sommes pas prescripteurs. Nous sommes simplement radiologues et nous montrons sur un document pas très facile à comprendre ce que sont les problèmes et l'évolution que l'on peut en attendre. Donc il ne se passera rien tant qu'il n'y aura pas de volonté politique. C'est la réalité de la criminalité en France aujourd'hui. On met la poussière sous le tapis et on croit qu'on a nettoyé la maison.

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