Rétropédalage de Ségolène Royal sur le dossier Fessenheim : le gouvernement pense-t-il encore à autre chose qu’aux élections ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La centrale de Fessenheim.
La centrale de Fessenheim.
©Reuters

Machiavel

Alors qu'EDF a récemment demandé 36 mois de délai supplémentaire de mise en œuvre de l'EPR de Flamanville, condition indispensable selon Ségolène Royal à la fermeture de Fessenheim, la ministre de l'Ecologie a exigé en début de semaine que "le dépôt effectif de [la] demande de fermeture de Fessenheim [...] ne dépasse pas l'échéance de la fin du mois de juin 2016".

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Pourquoi cette date, à quoi ce rétropédalage peut-il répondre ?

Bruno Cautrès : Au-delà des engagements et convictions de Ségolène Royal en matière d’environnement et d’écologie, ce que personne ne lui conteste, nous sommes là au cœur de la stratégie actuelle de l’exécutif : le compte à rebours pour les échéances électorales de 2017 a commencé depuis un bon moment et il s’agit de préparer une séquence minutieusement calibrée en termes d’agenda et de communication politique. Cette séquence vise à montrer deux choses : d’une part que le gouvernement a bien tenu l’une des promesses importantes de 2012 en matière de « transition énergétique » et d’autre part que des écologistes peuvent à nouveau rentrer au gouvernement. Le départ de personnalités comme Jean-Vincent Placé ou François de Rugy de EELV et la recomposition d’un mouvement écologiste de centre-gauche et « Hollando-compatible » prépare sans aucun doute l’entrée de l’une ou deux de ces personnalités au gouvernement après les élections régionales. Et tout cela fait sens avec l’organisation de la COP21 et le  « référendum Cambadélis ». En terme de communication politique il s’agit d’un « story telling » assez bien ficelé, mais quand même assez visible…..Et surtout qui ne parle plus aux électeurs.

Co-auteur du baromètre 2015 du Cevipof sur les Français et la politique, la perception des politiques par la société est globalement mauvaise : parmi les reproches effectués figure dans les premières places l'absence supposée de l'intérêt public au profit de l'intérêt partisan. Le quinquennat de François Hollande ne manque pas de mouvements interprétés comme s'ils répondaient à un agenda politique, à l'actualité immédiate... Quels sont selon-vous les plus emblématiques ?

Tout d’abord, il faut rappeler que la gestion tactique de l’agenda politique, la communication et le calage des décisions politiques vis-à-vis du calendrier électoral ne sont nullement l’apanage du pouvoir actuel. Il en allait de même avec l’action de François Fillon et Nicolas Sarkozy, ou leurs prédécesseurs. Il s’agit en fait d’une donnée fondamentale de l’action politique, une tendance qui s’est sans doute accentuée avec le flot ininterrompu d’information dans lequel nous vivons aujourd’hui. Par ailleurs, nos dirigeants tentent, dans le contexte de forte défiance politique que vous avez rappelé, de montrer que malgré les « rétro-pédalages », les zigzags ou promesses reportées ou non-tenues, ils tiennent un cap. A cet égard, François Hollande représente un cas très intéressant : l’affichage d’un « cap » (un mot que François Hollande emploie très souvent, souvent accompagné d’un geste de la main vers l’avant) est très important pour lui, alors même que l’un des principaux reproches qui lui est adressé tient à cette question : à droite on lui reproche de naviguer à vue ; à gauche on lui reproche d’avoir viré de cap. L’une des mesures qui restera emblématique des changements de cap et d’une gestion politique délicate est la fameuse « taxe à 75% », dont plus personne d’ailleurs ne sait si elle existe ou plus. De même, certaines franges de l’électorat peut avoir le sentiment de « cadeaux » distribués à ceux qui donnent de la voix (agriculteurs, chauffeurs de taxis, etc…). Mais dans le cas de François Hollande, au-delà de quelques épisodes que l’on pourrait encore citer de « rétro-pédalages » (comme l’éco-taxe), le plus difficile pour lui reste à montrer que certaines de ses inflexions les plus importantes (politique de l’offre, pacte de compétitivité, nomination de M. Valls, E. Macron à Bercy) prennent sens de manière cohérente dans un récit racontable aux électeurs en 2016/2017. Ce n’est pas gagné…

Quelle sera la facture à payer pour le gouvernement de cette sur-mobilisation de l'exécutif en vue de 2017 ? Peut-il en tirer des bénéfices ?

Le risque pour François Hollande, plus sans doute que pour Manuel Valls, est d’apparaître comme avant tout et seulement préoccupé par cette échéance. Les cotes de popularité ne s’arrangent pas pour lui et le souhait de le voir à nouveau candidat est très bas. Un récent sondage de l’IFOP montre que ce souhait est inférieur à 20% et se rapproche de la marche la plus basse de l’escalier, pas très loin finalement des scores enregistrés par… Cécile Duflot, ce qui ne va pas arranger la stratégie qui consiste à tenter d’empêcher une candidature Duflot en 2017. L’image de François Hollande est à présent assez figée et il est peu probable de la voir se corriger: son profil personnel dans l’opinion et sa gestion de l’après attentats en janvier dernier lui donnent une assez bonne image en termes humains mais son image politique est stabilisée de manière assez négative. On ne voit pas comment il pourrait se réinventer dans l’opinion. Au-delà du cas de François Hollande, il s’agit sans doute d’une tendance que l’on retrouve pour d’autres (on voit toute la difficulté pour Nicolas Sarkozy de se réinventer aussi) et dans d’autres pays : la sur-exposition médiatique continue des dirigeants les rend très vulnérables, « l’état de grâce » n’existe presque plus et les citoyens les perçoivent avant tout comme préoccupés d’obtenir les votes mais pas de régler leurs problèmes.

Nos dirigeants et de manière plus générale nos hommes et femmes politiques n’ont pas vraiment pris la mesure de ce qui se passe : les citoyens peuvent ressentir une forte défiance qui peut aller jusqu’à de la haine pour ceux qu’ils perçoivent comme nantis, protégés, riches et seulement préoccupés de leurs carrières. Dans ce contexte, le risque est grand d’élaborer des stratégies de communication complexes qui ne parlent qu’au cercle de ceux qui vivent de la politique ou la commentent, comme nous.  Car, entre nous, peut-on sérieusement penser que l’arrivée au gouvernement de telle ou telle personnalité qui frappe à la porte depuis un moment, et qui ne disposera que de moins d’un an pour tenter des choses, va permettre de faire avancer les questions qui préoccupent les français dans leur vie réelle ? Et, si cela arrive, cela ne va-t-il accentuer le sentiment d’un formidable décalage ?

Néanmoins, certaines directions prises ont été beaucoup plus assumées, à l'instar de la politique de l'offre mise en place, le Pacte de responsabilité. Le coût politique a été d'ailleurs lourd... Cette façon de faire érigée en méthode est-elle l'apanage des démocraties modernes ? A quoi pourrait ressembler un gouvernement pour s'émanciper des contraintes qui l'y obligent ?

Votre question pointe plusieurs problèmes à la fois et tous très importants. Le « pacte de responsabilité » symbolise ce que certains considèrent comme un tournant de François Hollande, lors de la fin de l’année 2013 et début 2014 ; le symbole est d’ailleurs si fort et a été si marquant que l’on en oublie souvent le nom complet de ce dispositif : le « pacte de compétitivité » …et « de solidarité » !  Il est vrai que le coût politique en a été important dans une partie de la gauche et de l’électorat de 2012 de François Hollande qui n’a pas compris cette évolution.  Dans de nombreuses démocraties européennes on a effectivement vu des situations similaires, certains analystes et ‘spin doctors’ théorisant même cela sous le nom de « triangulation », une politique allant chercheur ses idées ou enjeux dans le camp d’en face. Cette audacieuse stratégie politique, portée en véritable art par un Tony Blair, n’est pas sans danger. Mais comme l’avait fort bien remarqué Eric Dupin, on peut douter que « François Hollande puisse réussir une manœuvre similaire. Sa dérive droitière tient infiniment plus à une adaptation forcée aux contraintes de la période qu’à un savant calcul stratégique. Sa triangulation involontaire n’est guère porteuse de bénéfices politiques » (interview à Slate.fr, 15/09/2013 http://www.slate.fr/story/77646/hollande-politique-camp-adverse). La suite des échéances politique va nous montrer si cette prédiction était vraie.

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