Le business des avis truqués : l'enquête qui révèle les dessous de TripAdvisor et autres sites de recommandation<!-- --> | Atlantico.fr
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Le site TripAdvisor truque les commentaires des internautes.
Le site TripAdvisor truque les commentaires des internautes.
©Reuters

Usurpateurs

Une récente enquête du Daily Mail révèle que de nombreux avis postés sur TripAdvisor proviennent en réalité d'usurpateurs. Etat des lieux d'une manipulation des consommateurs.

Nicolas Bordas

Nicolas Bordas

Aujourd'hui Vice-Président de TBWA/Europe, l'un des plus grands groupes de communication en France, Nicolas Bordas consacre sa vie à la recherche de "l'idée qui tue" pour les plus grandes marques françaises et internationales. Il est aussi enseignant à l'Ecole de la Communication de Sciences Po. 

Nicolas Bordas est l'auteur de L'idée qui tue (Eyrolles), paru également sous la forme d'un chapitre au format numérique sur Atlantico éditions

 
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Atlantico : Une récente enquête du Daily Mail révèle que de nombreux avis postés sur TripAdvisor proviennent en réalité d’usurpateurs. Comment s’organise cette manipulation ?

Nicolas Bordas : Le phénomène n’est pas nouveau. Tout particulièrement en ce qui concerne Trip Advisor, régulièrement interpellé à ce sujet, qui a même écopé l’année dernière en Italie d’une amende de 500 000 euros de la part de l’autorité nationale de la concurrence. Du fait de la puissance grandissante des réseaux sociaux et du crédit que les internautes sont prêts à faire aux recommandations de leurs pairs,  la tentation est grande pour certains de vouloir manipuler le système. Soit de manière artisanale (un hôtelier mobilise ses amis pour écrire du bien de son hôtel ou dire du mal d’un concurrent direct), ou de manière industrielle (des intermédiaires sans scrupule proposent en toute illégalité leurs services pour créer des faux profils d’utilisateurs satisfaits ou insatisfaits). Il existe malheureusement aujourd’hui un véritable « trafic d’influence commerciale » en provenance le plus souvent de pays exotiques, pour échapper aux lois nationales. Trip Advisor, tout comme nombre d’acteurs, est conscient du problème, et tente de lutter contre la fraude en mettant en place des systèmes de contrôle à priori et à postériori. Mais il ne peut pas pour autant garantir 100% des avis émis, contrairement à un Airbnb, par exemple, qui n’autorise les commentaires qu’en provenance des personnes qui ont utilisé et payé leur chambre. Ce qui rend nettement plus difficile la manipulation.

Quels types de sites sont touchés par ce type de pratique ?

Le phénomène est particulièrement marqué et visible dans le secteur du tourisme, qui est l’un des univers où les internautes s’informent le plus en ligne avant d’acheter. Cela est aussi lié à la puissance spécifique de TripAdvisor qui constitue l’une des plus grosses plate-forme mondiale de recommandations par les utilisateurs.  Mais la mauvaise pratique peut se retrouver dans tout type de sites de recommandation, qu’il s’agisse d’un auteur de livre qui stimulera les avis positifs de ses amis sur Amazon ou la Fnac, ou des « fans » ou « haters » d’un produit culturel (film, jeu vidéo..), qui peuvent aller jusqu’à « troller » les critiques sur les sites webs spécialisés. Récemment, le site AlloCiné a du faire face à des allégations de manipulation positive au profit du film « Les Nouvelles aventures d’Aladin »…

Comment ces avis influencent-ils nos choix ?

Avec l’avènement des réseaux sociaux, les avis (positifs ou négatifs) de nos pairs constituent une source importante et croissante d’incitation à l’achat. Si vous cherchez un restaurant italien à Londres, vous ferez confiance plus facilement à la recommandation d’un ami italien, ou même d’un italien qui n’est pas vraiment votre ami,  plutôt qu’au site web ou à la brochure du restaurant … Et ce phénomène ne va aller qu’en s’amplifiant dans le futur. De plus en plus, nos opinions de consommateurs connectés se forgent en ligne avant d’acheter les produits et les services qui nous intéressent. Certes, le bouche-à-oreille a existé de tout temps, mais il est désormais extraordinairement amplifié par Internet et les réseaux sociaux. Et c’est tant mieux. Dans un marché concurrentiel, l’enjeu n’est pas de freiner l’envie de s’exprimer des consommateurs citoyens, mais bien de limiter les possibilités de manipulation malhonnêtes et déloyales mises à la disposition des tricheurs potentiels.

Quelles pistes sont envisageables pour mettre fin à ces usurpations qui faussent le jeu de la concurrence ?

Le premier moyen est juridique. Dans tous les pays concernés, en commençant par la France, il existe des lois en matière de concurrence qu’il convient d’appliquer, avec une sévérité dissuasive. Le second levier d’action est l’autorégulation. Chaque plate-forme internet doit comprendre qu’il est de son meilleur intérêt de « faire le ménage » de la manière la plus efficace, pour conserver son propre crédit, donc son propre business. C’est donc à chaque acteur de fixer les règles dont dépent sa propre crédibilité.

La plupart des sites l’ont compris, et édictent des règles qui limitent considérablement les possibilités de fraude, à l’exemple d’AirBnB ou de BlablaCar. Les opinions émises sont nécessairement celles de vrais utilisateurs de ces services. En France, une norme tout à fait pertinente intitulée « Avis en ligne des consommateurs » a été publiée en 2013 par l’Afnor, pour aider chaque site à mettre en place les moyens les plus efficaces pour lutter contre les faux avis.

Comment envisagez-vous personnellement l’évolution à moyen terme de ce système qui repose sur des avis et recommandations ?

Aujourd’hui, il n’existe que deux niveaux de recommandation sociale : la recommandation émise par quelqu’un que vous connaissez de manière certaine (un vrai « ami », ou tout au moins « une vraie relation »), ou la recommandation émise par quelqu’un que vous ne connaissez pas ... Bonne nouvelle, nous faisons tous plus confiance au jugement de nos vrais amis qu’à celui d’inconnus, même illustres ! On peut penser que si vous voyez sur Trip Advisor le commentaire de votre meilleur ami, vous lui accorderez plus de crédit qu’au commentaire d’un inconnu, dont le profil peut être vrai ou faux.  Je pense que va progressivement émerger sur le net une troisième catégorie de recommandations que j’appelle « les avis certifiés ». Autrement dit les avis de personnes que vous ne connaissez pas, mais dont l’identité réelle a été certifiée par un site de confiance (ou un tiers de confiance). De la même façon qu’aujourd’hui Twiter ou Facebook certifient les comptes de personnalités par un petit label bleu associé à leur nom(pour identifier leur vrai compte par rapport à des comptes piratés, parodiques ou « fake »), on peut imaginer que des adresses mail de contributeurs soient certifiées.

Dès lors qu’une personne réelle a déjà produit des avis fiables sur un site donné, ou sur plusieurs sites crédibles, son adresse mail pourrait devenir certifiée. Ce qui ferait rentrer cette personne dans une catégorie intermédiaire de crédibilité, entre mes vrais amis que je connais, et des inconnus anonymes dont la fiabilité est moindre. On peut penser qu’à moyen terme, chacun d’entre nous sera doté d’un certain « coefficient de crédibilité » en fonction des avis que nous aurons accepté de donner en pratiquant le covoiturage ou en fréquentant tel hôtel ou tel restaurant. Reléguant ainsi les faux témoignages malhonnêtes dans les tréfonds du net, faute d’avoir été capable de les éradiquer totalement ! L’Internet ne sera malheureusement jamais plus honnête que notre société elle-même …

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