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Ce rire qui peut changer le monde
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Pied de nez

One man shows, comédies à succès sur grand écran et programmes comiques à la télévision... Aujourd'hui, le rire semble être partout, comme une obligation mais aussi comme une force politique insoupçonnée. Mais pourquoi et de quoi rit-on en période de crise ?

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad est docteur en sociologie, chercheur au Ceaq-La Sorbonne, enseignant et responsable pédagogique au Cnam, et gérant d'une société industrielle (Ermatel).

Ses réflexions et ses recherches portent principalement sur les valeurs et les structures d’organisation de la société, avec une focalisation sur l’entreprise, à l’aune de la postmodernité.

Il a publié Le rire dans l’entreprise, chez l’Harmattan, en 2010.

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Le succès d'Intouchables étonne et questionne. Est-il légitime ? Comment peut-on encore rire par les temps qui courent ? N’est-on pas en crise, en guerre, au bord du gouffre ? L’explication donnée alors est que c’est un rire pour résister et lutter contre l’apocalypse annoncée.  Et s’il n’en était rien, et si ce rire, en fait, était le signe d’une mutation plus profonde ?

Le paradoxe à pointer est effectivement la concomitance du rire et de la crise. Mais, d’abord, de quelle crise parle-t-on ? Au-delà des crises économiques et financières qui sont devenues notre lot quotidien, il y a une crise autrement plus profonde, une crise sociétale qui remet en cause les valeurs fondatrices de la modernité. Cette modernité qui, rappelons-le, démarre à la Renaissance et porte les valeurs des Lumières. C’est cette période sociale qui arrive à saturation : ainsi le politique est impuissant, la famille est recomposée, la Science a généré Hiroshima et la vache folle tout en restant impuissante devant le sida et le cancer, et l’ascenseur social est en panne. Tout cela commence à être bien connu et bien analysé, du moins par ces sociologues dont la démarche se veut plus compréhensive qu’explicative.

Le rire est devenu omniprésent

Le paradoxe est que cette crise sociétale est accompagnée d’une carnavalisation généralisée de la société. Carnavalisation tellement évidente qu’à l’instar de la lettre d’Edgar Poe, nous ne la voyons pas. De tous côtés, et sans que l’on s’en rende compte, jaillissent d’incontrôlables éclats de rire, l’attitude humoristique étant devenue le mode de communication imposé à l’ensemble du monde social.


A la Gay Pride succède la Techno Parade, pour laisser place à la Fête de la musique, à la Nuit blanche et à toutes sortes de manifestations festives et ludiques. Il n’est pas possible de regarder la télé, d’écouter la radio, de lire le journal, sans fatalement tomber sur une émission axée sur le rire, une discussion à base de jeux de mots, un dessin humoristique. Les grands succès au cinéma sont des comédies, et les acteurs les plus bankables sont les comiques. Tout le monde s’y met. Je suis drôle, tu es drôle, nous sommes drôles. Le rire devient obligatoire, omniprésent et concerne tous les domaines de la vie sociale : publicité, télévision, cinéma, politique. Même l’entreprise s’y met, la bonne humeur doit être affichée et le fun est une valeur revendiquée.

Le rire comme renaissance


Nous retrouvons cette concomitance de la crise sociale et de la généralisation à chaque changement social majeur (les fêtes débridées de la décadence romaine, la carnaval à la Renaissance, etc.), et pour ce qui nous concerne un passage de la modernité à la postmodernité. Cette obligation de rire traduit le fait que les valeurs de la modernité sont en train d’éclater, qu’une période sociale est en train de mourir et qu’une autre est en train de commencer. Et si ce n’est pas dans les têtes, c’est déjà dans les faits. Le rire a ainsi cette caractéristique fondamentale de détruire et construire dans le même mouvement, d’être une violence fécondante. Autrement dit, mourir de rire équivaut à une renaissance. Ce n’est plus le rire de résistance à la Guy Bedos, rire critique qui veut changer les choses. Le rire que véhicule Intouchables ne revendique rien, il accepte le monde tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit. Un rire qui dit oui à ce qui est et qui fait avec. Rire pour ne pas mourir, réagir au désespoir par un rire libératoire et cathartique. Un rire vitaliste en somme.

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