70 ans de la Sécu : et au fait, ça se passe comment en Alsace-Moselle pour éviter les déficits abyssaux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le régime local d’Alsace-Moselle suscite des intérêts et des convoitises.
Le régime local d’Alsace-Moselle suscite des intérêts et des convoitises.
©Reuters

Les seuls à voir vert ...

Si le trou de la Sécurité sociale se creuse de jour en jour, les caisses de celle d'Alsace-Moselle sont au vert depuis plusieurs années. Les trois départements bénéficient d'un régime particulier et d'une culture qui fluidifient l'ensemble du système.

Sandrine Gorreri

Sandrine Gorreri

Sandrine Gorreri est directrice de la Rédaction du mensuel de la Fondation iFRAP, Société Civile.

Ses domaines de compétences sont la création d'entreprises et d'emploi, les retraites et les politiques du logement.

Sandrine Gorreri vient de signer avec Philippe François une étude pour la Fondation iFRAP : Logement, programme pour un quinquennat (mai 2012).

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Claude Le Pen

Claude Le Pen

Claude Le Pen est un économiste français, professeur à l'université Paris-Dauphine où il dirige le master d’économie de la santé. Il est président du Collège des économistes de la santé.

 
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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico :  Alors que le dispositif homologue national atteint des sommets en termes de déficit, la complémentaire santé avait en 2011 enregistré un bénéfice de 5 millions d'euros. Même si aujourd'hui ce déficit est à nuancer, leurs comptes sont plus positifs que ceux de l'ensemble du territoire. Comment leur culture peut-elle influer sur la bonne santé des caisses ?

Eric Verhaeghe : C'est vrai, le régime local d’Alsace-Moselle suscite des intérêts et des convoitises. Alors que la sécurité sociale est en déficit sur le reste du territoire, la « sécu alsacienne » affiche des résultats positifs. Le régime local d’Alsace-Moselle est géré par les seuls syndicats de salariés. Comme il n’est pas financé par les employeurs, ni par l’Etat, il ne comporte que des représentants des payeurs. Ce point modifie considérablement la donne par rapport à la Sécurité Sociale nationale, qui est pilotée par des fonctionnaires non assurés par les régimes qu’ils dirigent. Les mauvais esprits diront qu’il s’agit d’un élément de motivation pour éviter les déficits.

La sécurité sociale d’Alsace-Moselle est un fait un organisme complémentaire de remboursement, qui fonctionne comme une mutuelle ou une compagnie d’assurance. Il n’est donc pas possible d’y creuser des déficits financés par le contribuable. Chaque année, le régime doit présenter des comptes équilibrés sous peine de disparaître.

Claude Le Pen : Il faut d’abord rappeler ce qu’est ce régime d’Alsace-Moselle. Ces trois départements d’Alsace-Moselle ont bénéficié en 1883 de l’instauration dans l’Empire Allemand auquel ils appartenaient depuis 1870, du régime "bismarckien" d’assurance-maladie pour les tous salariés. Quand ces départements ont réintégré la France en 1918, ce régime, très favorable aux assurés, a été maintenu, comme il l’a encore été – à titre provisoire – en 1945, à la création de la Sécurité sociale et comme l’ont aussi été les fameux "régimes spéciaux" dont bénéficiaient avant guerre certaines professions privilégiées (cheminots, mineurs, pécheurs, etc.). Ce n’est qu’en 1998, soit 70 ans après le rattachement des trois départements à la France, que ce régime est sorti du provisoire et reçu sa forme, sinon définitive du moins actuelle, qui a été validée en 2001 par le Conseil constitutionnel.

Quelles sont les particularités de ce système de santé annexe au régime général ?

Sandrine Gorreri : Le régime local Alsace-Moselle est un régime d'assurance maladie autonome et obligatoire, complémentaire au régime général géré par la CNAM. Tous les salariés des entreprises implantées dans l'un des trois départements doivent y cotiser. Son histoire est liée au statut de cette région soumise au système de protection sociale allemand de 1870 à 1918. En 1945, les habitants firent le choix d'un système dérogatoire, l'estimant plus favorable puisqu'il prenait en charge la quasi totalité des dépenses contrairement au principe du ticket modérateur de la Sécurité sociale.

Il couvre 1,6 million de cotisants et 2,5 millions de bénéficiaires, tous salariés, chômeurs ou retraités. Les fonctionnaires en sont exclus ainsi que les professions libérales et les exploitants agricoles (qui ont eux-mêmes des régimes dérogatoires). Ce sont uniquement les cotisations salariés qui financent le régime. L'autonomie du système consacrée depuis 1994 se traduit par un conseil d'administration de 31 membres quasi exclusivement représentants d'organisations syndicales salariés, qui dispose de compétences assez larges en termes de niveau de prestations servies et de fixation du taux de cotisation, dans une fourchette fixée par décret entre 0,75 % et 2,5 %. Le taux a été abaissé en 2011 de 0,1 pt à 1,5% des rémunérations déplafonnées, des avantages retraite et des autres revenus de remplacement.

Un troisième niveau d'assurance maladie

Le régime local Alsace-Moselle a fait le choix dans le cadre d'une gestion responsable des risques de ne pas couvrir le ticket modérateur sur les médicaments à service médical rendu faible. Les dépenses prises en charge sont celles au-delà de la couverture de base dans la limite du tarif conventionnel, ce qui exclut aussi les dépassements d'honoraires, les soins dentaires et l'optique. Ce qui explique que malgré l'existence de ce régime local, les populations concernées souscrivent également des mutuelles santé facultatives. La Cour des comptes qui s'est penchée sur les particularismes de ce régime à la demande du Sénat cite :"Les statistiques communiquées par les CPAM des 3 départements montrent que 81% des assurés du régime local disposent d'une couverture complémentaire facultative".

Claude Le Pen : La solution retenue a consisté à instaurer un double niveau d’assurance-maladie, le régime général à la base et, au-dessus, un "régime local" complémentaire obligatoire. Les ayants droits - c’est-à-dire les salariés résidents des trois départements ainsi que les salariés non résidents mais travaillant pour une entreprise ayant son siège social dans un des trois départements, soit près de 3 millions de personnes avec les familles et les retraités -  bénéficient d’abord de la Sécurité sociale de droit commun comme tous les Français. Cette Sécurité sociale est en déficit. Il faut être clair sur ce point : la Sécurité sociale n’est pas excédentaire en Alsace-Moselle ! Notre système centralisé et solidaire ne connaît d’ailleurs pas de déficit régional ou départemental de la Sécu : seul le déficit national est officiellement reconnu.

Le "regime local" prend la forme d’une assurance complémentaire obligatoire qui assure le différentiel de remboursement entre les prestations de la Sécurité sociale et celles de la région. C’est ainsi par exemple que les consultations chez le médecin généraliste sont remboursées à 90% contre 70% pour le régime général et que les séjours hospitaliers sont  pris en charge à 100%.

Ce "régime local" est financé par une cotisation sociale supplémentaire, qui est actuellement de 1,50% des rémunérations des ayants-droits, y compris les retraités. Les employeurs ne le financent pas. Il est autonome et géré par les représentants des assurés. Son budget annuel est un peu inférieur à 500 millions d’euros et il est tendanciellement à l’équilibre, légèrement excédentaire certaines années, légèrement déficitaire d’autres années, mais cela se compense

Comment expliquer l'équilibre de sont budget et ses performances ?

Sandrine Gorreri : Ce système s'appuie pour son fonctionnement sur l'assurance-maladie (pour le paiement des prestations) et à l'Acoss/Urssaf (pour l'encaissement des cotisations); Ce qui signifie que le régime local n'a pas à couvrir des frais de structures, il s'acquitte seulement d'un forfait de 0,5% des prestations servies auprès de chacun des organismes (1% au total). Et étant un régime obligatoire, il n'a pas, contrairement aux mutuelles, à couvrir des frais marketing ou communication pour recruter des adhérents. De ce fait, le coût de fonctionnement du régime, qui n'emploie que très peu de personnel en propre (5,2 agents équivalents temps plein), apparaît aujourd'hui réduit : environ 4 millions d'euros pour un peu plus de 450 millions d'euros de prestations servies.

Ce régime connaît donc une situation financière équilibrée comme en témoigne le bénéfice de 5 millions d'euros constaté en 2011, autorisant une baisse du taux de cotisation. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : tout d'abord son statut qui l'oblige à une situation financière équilibrée et à un minimum de réserves (8% des prestations), et d'autre part la situation de l'emploi en Alsace-Moselle, où les conditions économiques sont un peu meilleures que dans le reste de la France.

Eric Verhaeghe : Pour équilibrer les comptes, le régime local d’Alsace-Moselle ne multiplie pas les procédures interminables de décision. Il adapte en temps réel les remboursements et les prestations pour éviter sa faillite. Il peut par exemple décider de ne plus rembourser sa part pour les médicaments inutiles ou faiblement efficaces. Ces mesures d’économie sont décidées sans intervention de l’Etat, sans arbitrages par des élus qui craignent pour leur réélection. Bref, les assureurs sociaux y font leur métier d’assureur et ne se prennent pas au jeu de la politique. 

La dépolitisation des décisions constitue incontestablement une voie à suivre pour équilibrer les comptes sociaux. Pour y parvenir, l’interdiction de recourir à la dette joue un rôle essentiel: lorsque l’existence d’un régime est en jeu, les acteurs du système trouvent de meilleures raisons pour se responsabiliser que quand la contrainte n’existe pas. Le grand défaut de notre sécurité sociale est de reposer sur la fiction selon laquelle on peut indéfiniment continuer à raser gratis et que le « trou de la Sécu » est un simple jeu d’écriture. 

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