Réfugiés : petit retour sur Marx Dormoy, le Front populaire et les flux migratoires des années 30<!-- --> | Atlantico.fr
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Marx Dormoy
Marx Dormoy
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La France à la hauteur de son Histoire ?

Dans les années 1930, la France a dû faire face à un flux massif de réfugiés politiques. Alors ministre de l'Intérieur, Marx Dormoy ordonne notamment aux préfets le 14 avril 1937 de "refouler impitoyablement tout étranger qui cherchera à s'introduire sans passeport ou titre de voyage valable ou qui n'aura pas obtenu de visa consulaire s'il est soumis à cette formalité".

Emmanuel Debono

Emmanuel Debono

Emmanuel Debono est historien (Institut Français de l'Éducation, ENS de Lyon). Il représente en France l'USC Shoah Foundation et anime le blog "Au cœur de l'antiracisme".

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Atlantico : Quelle a été l'attitude du ministre de l'intérieur de l'époque ?

Emmanuel Debono : En 1937, la France est sous pression migratoire. Ce sont des milliers de réfugiés juifs d’Europe de l’Est qui pénètrent en France, souvent illégalement, depuis plusieurs années, fuyant des régimes qui institutionnalisent  ou tolèrent l’antisémitisme, tels que la Roumanie, la Pologne et bien sûr l’Allemagne nazie. Cet afflux massif, dans une France fragile économiquement, qui ne compte alors que 42 millions d’habitants, inquiète les pouvoirs publics, d’autant que les réfugiés tendent à se concentrer dans la capitale. En avril 1937, le ministre de l’Intérieur socialiste du gouvernement Camille Chautemps, Marx Dormoy, cherche à contrôler efficacement les flux migratoires, en exigeant des entrants qu’ils se soient soumis à un contrôle administratif. Il réaffirme le rôle de l’échelon consulaire, à une époque où cette représentation française est présente dans de nombreuses villes européennes. C’est un moyen d’exercer un filtre sans faire obstacle, théoriquement, aux demandes des réfugiés. Évidemment, dans la pratique, cela complique la tâche de ceux qui fuient l’antisémitisme et ses manifestations économiques, notamment les politiques de numerus clausus ou les mesures de boycottage antijuif. Difficultés économiques et antisémitisme sont souvent mêlés.

Ce que craint aussi Dormoy, c’est la concentration de Juifs allemands à la frontière franco-allemande, source de tensions à ses yeux. C’est la raison pour laquelle, en mars 1937, les préfets se sont vus ordonner de surveiller de près ces réfugiés et, au besoin, de les déplacer d’autorité.

Dormoy veut distinguer les  "indésirables ", c’est-à-dire les immigrés économiques, qui encombrent à ses yeux l’économie française, des réfugiés politiques auxquels la France reconnaît traditionnellement le droit d’asile. Son discours répressif, réitéré au début du mois de juillet 1937, tient à opérer ce distinguo. Mais dans les faits, encore une fois, l’administration ne respecte pas toujours le tracé théorique de cette ligne de partage entre immigrés économiques et réfugiés politiques.

Quelles étaient les caractéristiques de ces réfugiés ? Que fuyaient-ils, et dans quelles proportions étaient-ils ?

Il y a plusieurs vagues de réfugiés dans les années 1930. La persécution hitlérienne provoque des séries de départ : avec l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, après le rattachement de la Sarre au Reich en janvier 1935, après l’annexion de l’Autriche (Anschluss) en mars 1938, celle des Sudètes en octobre 1938 ou encore avec la Nuit de Cristal en novembre de la même année.

À l’été 1933, au paroxysme de la crise, la France atteint le nombre de 25 000 réfugiés, et elle se trouve au premier rang des pays d’accueil. Après un reflux au cours des années suivantes, certains réfugiés poursuivant leur exil vers d’autres continents, notamment l’Amérique, l’effectif atteint 30 000 début 1939. Il faut ajouter la présence, souvent illégale, des réfugiés juifs des pays d’Europe de l’Est et de dizaine de milliers d’Espagnols, fuyant la guerre civile. À l’été et l’automne 1937, ce ne sont pas moins de 15 à 18 000 réfugiés, dont la très grande majorités sont Polonais, qui arrivent en France avec des visas touristiques, profitant de la tenue de l’Exposition universelle.

Comment cette gestion pour le moins radicale était-elle perçue par l'opinion ?

Il peut paraître excessif de parler de  "gestion radicale ". Il faudrait davantage parler de gestion volontariste voire autoritaire, le gouvernement français cherchant à encadrer et rationaliser les flux en distinguant notamment les  "indésirables " des  "utiles ". Philippe Serre, sous-secrétaire d’État à l’immigration, envisage à la même époque (1937-1938) un plan visant à déplacer les immigrés juifs illégaux vers des régions françaises dépeuplées, afin de soulager les centres urbains où la concurrence économique se fait sentir. Le plan sera emporté dans la chute du Front Populaire mais il ne pouvait pas déplaire aux syndicats de l’habillement et de la métallurgie, entre autres, qui se plaignaient de ces artisans et ouvriers juifs travaillant à vil prix, au mépris des accords syndicaux.

De nombreuses études historiques ont témoigné de la xénophobie, diffuse dans l’opinion publique, caractérisant les années 1930. Hormis quelques associations humanitaires engagées aux côtés des étrangers, peu s’offusquaient des mesures de refoulement prises par les pouvoirs publics.

Quelle était la teneur des débats autour de ces réfugiés, quels étaient les arguments invoqués par les partisans de l’accueil et ceux soutenant Marx Dormoy ?

La présence étrangère, qui ne se limite pas aux réfugiés juifs, est source de bien des tensions dans la France des années 1930 qui connaît une résurgence très forte de l’antisémitisme, en particulier depuis l’arrivée de Léon Blum à la présidence du Conseil, en mai 1936. Avec le temps, les partisans de l’accueil se réduisent à quelques organisations militantes proréfugiés, telles que la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ou la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA). Il y a également de nombreuses associations juives, notamment consistoriales, qui sont au première loge pour prendre en charge les arrivants : elles jouent un rôle décisif pour fournir une aide matérielle aux réfugiés ainsi qu’une aide juridique face à une administration tatillonne et souvent peu compréhensive. Les partisans de l’accueil mettent en avant l’opportunité que constituent ces hommes et ces femmes pour les secteurs de l’économie nationale en manque de main d’œuvre. Ils font preuve de prudence, en raison du chômage. Il souligne également l’intérêt des avoirs financiers des réfugiés, susceptibles d’être investis, ou encore, sur un autre plan, leur patriotisme d’adoption, qui se vérifiera bien souvent au moment de la déclaration de guerre en septembre 1939.

Face à ce pôle humanitaire, les discours antisémites et xénophobes se libèrent, avec leur cortège de stéréotypes traditionnels. Au-delà de la concurrence déloyale, dont beaucoup d’entre eux sont accusés, il existe aussi une méfiance à l’égard de ces étrangers dont une partie vient d’Allemagne et qui pourrait dissimuler en son sein des espions.

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