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La politique de la jeunesse ne doit pas passer par la haine des vieux
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Vieux/Jeunes

Contrairement aux apparences, les jeunes ne sont pas victimes de l'égoïsme des vieux : ils bénéficient de leur grande sollicitude. Et au lieu de chercher des boucs-émissaires aux problèmes de la jeunesse, il faudrait s'appuyer sur le lien intergénérationel.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Il est de bon ton aujourd’hui de gloser sur la « fracture générationnelle » afin de nourrir un discours compassionnel sur les jeunes qui s’accompagne volontiers d’une incitation à la haine des vieux. Le titre édifiant de l’éditorial publié cette semaine par Le Monde - « Vieux, privilégiés, égoïstes » - ne fait à cet égard que reprendre la thèse du sociologue Louis Chauvel, complaisamment répercutée depuis quelques années par l’ensemble des médias. La sortie d’Arnaud Montebourg sur l’âge de péremption des députés illustre également la montée en puissance de cette nouvelle variante du jeunisme.

On observera cependant que la rhétorique anti-vieux n’est pas le fait des jeunes eux-mêmes, lesquels demeurent superbement indifférents (comme en témoigne du reste le sondage Ipsos paradoxalement publié par LeMonde à l’appui de son éditorial) à cette problématique du fossé des générations que l’on entend creuser à leur place. Lorsqu’un mouvement de révolte se produit, comme celui des « Indignados » espagnols, il s’attaque aux puissances occultes de la finance mondiale, non aux générations précédentes. Les partisans de la lutte des âges en sont pour leurs frais : l’objet de toutes leur sollicitude, les jeunes, demeurent à leurs yeux trop passifs, des vieux comme les autres finalement, incapables de se révolter contre les privilèges de leurs aînés.

Les quinquas sont aussi dans la génération jeunes !

La méprise sur la nature de la « fracture générationnelle » repose sur une confusion naïve et grossière entre les deux sens de la notion de « génération ». Celle-ci désigne en effet tantôt la position dans le cycle de vie (être jeune ou vieux), tantôt la « cohorte » (en ce sens, l’ensemble des individus nés au même moment appartiennent à la même génération tout au long du cycle de vie). La ligne de fracture historique passe entre les cohortes qui sont entrées dans la vie durant les Trente Glorieuses et celles qui sont arrivées à l’âge adulte avec la crise. Les premières ont bénéficié du plein-emploi et d’un Etat-providence florissant, les secondes subissent les effets de la croissance molle, du chômage de masse et de la crise des finances publiques.

La confusion entre générations historiques et âges de la vie conduit à passer sous silence deux aspects essentiels de la réalité. Elle occulte tout d’abord le fait que la « fracture générationnelle » n’est déjà plus un problème de « jeunes » : les quinquas et les quadras d’aujourd’hui sont eux aussi du mauvais côté de la ligne de démarcation. Rien n’interdit en outre d’imaginer, à moins d’être follement optimiste, que les historiens du futur puissent être conduits à considérer la situation des jeunes des années 2010 comme « privilégiée » au regard du sort des générations qui auront eu 20 ans en 2040 ou en 2050. Le problème de la fracture générationnelle n’est pas celui de la place ou de la condition faite aux jeunes, mais celui de la situation politico-économique du pays et de sa destinée historique.

L’autre grande donnée occultée est la force du lien intergénérationnel, qui apparaît d’autant plus solide et nécessaire que l’on s’enfonce dans la crise. Il rend la rhétorique anti-vieux vaine et dérisoire. On aura beau vouloir aiguiser la conscience générationnelle de la jeunesse, la guerre des générations n’aura pas lieu. Plutôt que de faire l’hypothèse d’une aliénation de la jeunesse, on peut à l’inverse présumer que les jeunes ont conscience du fait que le lien intergénérationnel joue essentiellement en leur faveur. Non seulement ils ne sont pas victimes de l’égoïsme des vieux, mais ils bénéficient de leur extrême sollicitude, et pas uniquement dans la sphère privée.

Jamais, par exemple, dans toute notre histoire, la dépense éducative n’a été aussi importante qu’aujourd’hui. La seconde vague de démocratisation de l’enseignement secondaire, qui a véritable ouvert à tous la perspective d’accéder à l’enseignement supérieur, s’est produite durant la décennie 1985-95, soit après la « fracture générationnelle ». Bien des réformes sont sans doute nécessaires pour parfaire l’équité générationnelle et, surtout, pour retrouver le dynamisme économique dont le pays a besoin, toutes générations confondues. Leur conception et leur réalisation ne requièrent toutefois pas de se fonder sur l’hypothèse absurde d’un complot ourdi par les vieux contre les jeunes. Croit-on sérieusement que parents et grands-parents réclament pour leurs enfants et petits-enfants un système éducatif inefficace, un marché du travail bloqué et la retraite à 75 ans ? Qui ne souhaite pour ses enfants (et ceux des autres) tout le bonheur du monde ?

La vieillesse n'est plus synonyme de pauvreté

La question n’est pas de savoir s’il faut aider les jeunes, mais comment les aider. C’est à cette question qu’entreprend de  répondre le Conseil d’analyse de la société en publiant ces jours-ci son rapport sur la politique de la jeunesse, préfacé par Luc Ferry et rédigé par l’économiste Nicolas Bouzou[1]. Exposant de manière très pédagogique les données économiques du problème, celui-ci établit tout d’abord un diagnostic avec beaucoup de finesse et de précision. Il est vrai que l’effet générationnel cumulé à l’effet cycle de vie génère une situation dans laquelle les plus de soixante ans sont plus favorisés que les jeunes en termes de revenu, de patrimoine et de logement. La vieillesse n’est plus, comme l’écrivait encore Simone de Beauvoir en 1970, synonyme de pauvreté ; celle-ci touche désormais davantage les jeunes. Il n’en demeure pas moins que le misérabilisme n’est  pas justifié. Les tendances lourdes de l’histoire contemporaine bénéficient à la jeunesse : pacification des mœurs, disparition des guerres en Europe, démocratisation de l’enseignement, augmentation de l’espérance de vie, augmentation du pouvoir d’achat des ménages (qui a plus que doublé depuis 1960).

Le pessimisme des jeunes Français[2] ne s’explique pas par la baisse de leur niveau de vie dans l’absolu. Il est d’une part imputable au phénomène des « variations relatives des revenus » : le fait d’être pauvre mais de voir ses revenus progresser rend plus optimiste que de vivre plus aisément tout en voyant ses revenus stagner ou diminuer par rapport aux autres. D’autre part et surtout, les jeunes Français sont conscients de vivre dans un environnement économique plus exigeant et insécurisant, tandis que le problème de la dette publique affecte sans doute durablement les perspectives de croissance et de progrès du pays.

Le rapport a le grand mérite de concevoir sans démagogie une politique de la jeunesse qui s’accorde avec l’impératif de maîtrise des dépenses publiques. Il souligne, à travers les propositions qu’il décline un point essentiel : une politique de la jeunesse authentique n’est pas une politique qui cible les jeunes en tant que catégorie sociale, mais une politique qui accroît les chances des jeunes en améliorant l’efficacité du système éducatif, les performances économiques de la nation, le fonctionnement du marché du travail et celui du marché du logement. Cela conduit par exemple à préconiser la mise en place du contrat unique, afin de mettre un terme au dualisme du marché du travail, plutôt qu’une politique de discrimination positive réservant des emplois publics aux jeunes ; ou encore une politique de construction de logements plutôt que l’accroissement indéfini de l’aide au logement, qui alimente la hausse du prix des loyers.

La conception d’une politique plus favorable à la jeunesse actuelle et aux générations futures nécessite, ainsi que le souligne Luc Ferry dans sa préface, de prendre appui sur le lien intergénérationnel – au rebours de l’indignation morale contre ces « salauds de vieux », qui substitue à la réflexion authentiquement politique la vision étriquée d’un conflit générationnel fondé sur des intérêts catégoriels. Il semble malheureusement qu’une certaine gauche idéologique éprouve la nécessité irrépressible de désigner des boucs émissaires susceptibles de servir d’exutoire au ressentiment social. Elle n’a su jadis concevoir que l’on puisse abolir les privilèges sans couper la tête des aristocrates, ni que l’on puisse lutter contre la pauvreté sans abolir l’inégalité des fortunes ; voilà maintenant qu’elle suggère qu’on ne saurait aider les jeunes sans s’attaquer aux privilèges des vieux. Comme s’il suffisait, en quelque sorte, d’ôter le droit de vote aux plus de soixante ans pour que la croissance reparte, la dette disparaisse et qu’une classe politique enfin renouvelée sorte de son chapeau les réformes du système éducatif, du marché du travail et du système des retraites qui permettront aux nouvelles générations de voguer tranquillement sur le long fleuve de la vie. Bon sang, mais c’est bien sûr !

>> Voir aussi : La guerre générationnelle n'aura pas lieu (contrairement à ce que pense Le Monde)



[1] Nicolas Bouzou, Luc Ferry, La Politique de la jeunesse, Odile Jacob, 2011.

[2] Cf. La jeunesse du monde, Fondation nationale pour l’innovation politique, 2011. Cette étude permet de prendre la mesure de ce pessimisme en comparaison avec la vision de l’avenir des jeunes dans le monde.

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