Les Français de moins en moins allergiques au libéralisme : merci la pédagogie de François Hollande ou "merci" son bilan calamiteux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français sont de plus en plus allergiques au libéralisme.
Les Français sont de plus en plus allergiques au libéralisme.
©Pixabay

La grande confusion

Selon un sondage paru dans le Point jeudi 3 septembre, 71% des Français font confiance à leur entreprise pour gérer leur temps de travail, tandis que leur défiance envers l'Etat gagne du terrain.

Guillaume Sarlat

Guillaume Sarlat

Polytechnicien et Inspecteur des Finances, Guillaume Sarlat, a fondé et dirige à Londres une société de conseil en stratégie aux entreprises.

 

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Pascal Salin

Pascal Salin

Pascal Salin est Professeur émérite à l'Université Paris - Dauphine. Il est docteur et agrégé de sciences économiques, licencié de sociologie et lauréat de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

Ses ouvrages les plus récents sont  La tyrannie fiscale (2014), Concurrence et liberté des échanges (2014), Competition, Coordination and Diversity – From the Firm to Economic Integration (Edward Elgar, 2015).

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Atlantico : Le baromètre annuel du Cevipof "confiance politique" de cette année montre combien la défiance envers l'Etat gagne du terrain. Paradoxalement, les Français ont beaucoup d'attentes envers leurs représentants politiques. Dans le baromètre Itélé 2015 sorti au mois de janvier, si les Français adhèrent majoritairement aux principes du libéralisme (voir ici), ses déclinaisons suscitent beaucoup moins d'entrain. Dans quelle mesure le résultat du sondage des Echos illustre-t-il le succès de la pédagogie de Manuel Valls et d'Emmanuel Macron, ou bien peut s'expliquer par le bilan économique pour le moment désastreux du gouvernement ?

Pascal Salin : L'échec total des politiques économiques menées depuis l'élection de François Hollande, de même d'ailleurs que l'échec des politiques antérieures - qui ont toutes été anti-libérales, qu'elles soient décidées par des gouvernements de droite ou de gauche - crée évidemment une défiance à l'égard des politiciens. Mais on vit en même temps dans l'ambiguïté, par exemple en prétendant, comme on le fait souvent, que l'échec d'un Chirac ou d'un Sarkozy sont la preuve de l'échec du libéralisme. Ces présidents portent une lourde responsabilité non seulement parce qu'ils ont échoué, mais parce qu'en se disant hommes politiques de droite – ce qu'on assimile à tort à une position libérale – ils ont renforcé les confusions dans les esprits. Quant à Manuel Valls et Emmanuel Macron il est risible de les considérer comme des libéraux (si ce n'est en termes très relatifs par rapport à un Mélenchon). L'essentiel de leur politique – à l'exception de quelques petites mesurettes sans grande portée – a tourné le dos au libéralisme. Ils contribuent, eux aussi, par conséquent, à la confusion des idées.

>>> Lire aussi - Comment la France s’est enfermée dans une confusion mensongère entre austérité et libéralisme

Guillaume Sarlat : Le rapport des Français au libéralisme est extraordinairement brouillé par le discours des politiquesPour la droite, mais également désormais pour la gauche avec Hollande, Valls et Macron, l’économie française laisse très peu, trop peu de libertés aux acteurs économiques. Les symboles de ce manque de liberté qui sont cités sont toujours les mêmes : l’épaisseur du code du travail, les 35 heures, la "rente" de certaines professions (notaires, taxis). Pour la droite comme pour la gauche de François Hollande, c’est de là que viendraient tous les problèmes de la France depuis 30 ans.

Le remède face à la croissance molle, au chômage endémique et à l’appauvrissement et à la précarisation d’une partie de la population serait donc une plus grande liberté laissée aux acteurs économiques, et une diminution du périmètre de l’Etat.

Le problème, c’est que ce discours est en décalage total avec la réalité.En pratique, une large partie de l’économie est fortement libéralisée, et ce depuis 30 ans ; disons pour faire simple l’économie des grandes entreprises multinationales. Ces entreprises sont soumises aux règles sociales et fiscales, mais s’en accommodent facilement dès lors qu’elles sont présentes dans plusieurs pays et qu’elles peuvent recourir à l’externalisation et aux délocalisations. Et l’Etat, même s’il reste au capital de certaines ex-entreprises publiques, a abandonné toute velléité d’avoir une stratégie industrielle.

Par ailleurs, si la sphère publique est devenue si importante dans notre pays, ce n’est pas du fait du développement d’une bureaucratie kafkaïenne, même si l’administration pourrait sans aucun doute être plus efficace, mais de la création d’un Etat Samu social, qui recueille ceux, toujours plus nombreux, qui ne trouvent pas leur place dans le monde libéralisé des grandes entreprises.

Ce hiatus fondamental entre la réalité économique et sociale de notre pays, et le discours des politiques a plusieurs conséquences. D’abord, quand ils essayent de donner un contenu à leur plaidoyer pour plus de libéralisation, ils sont bien en peine ; ainsi, la loi dite Macron est totalement vide. Ensuite, quand ils tentent de diminuer le poids des dépenses publiques, c’est un casse-tête, car à chaque fois, des Français et des entreprises françaises dépendent de ces fonds pour survivre, et donc s’opposent légitimement à toute remise en cause de la situation existante. Enfin, cette situation conduit les politiques à paraître impuissants à répondre à leur propre constat, ce qui alimente la défiance, bien méritée, des Français à leur égard.

Comment le rapport des Français au libéralisme a-t-il évolué ces dernières années dans l'esprit des Français ?

Pascal Salin : Il y certainement une évolution importante des esprits en faveur de solutions libérales, comme le prouvent régulièrement toutes sortes de sondages. Un nombre croissant de gens, me semble-t-il, sont, par exemple, favorables à la liberté du temps de travail, à la diminution des impôts et même à la diminution de la progressivité de l'impôt sur le revenu. Mais malheureusement ils semblent moins convaincus de la nécessité de libéraliser des secteurs aussi importants que la médecine, l'assurance-maladie ou l'éducation, alors que, précisément, c'est parce que ces secteurs ont une importance vitale pour les individus qu'il conviendrait d'adopter des solutions libérales.

Les Français sont aussi souvent réticents à l'égard de la liberté des échanges. Ils sont souvent tentés de rendre l'Union européenne responsable de certaines de nos difficultés économiques, mais ils considèrent cette dernière comme un symbole du libéralisme, alors qu'elle est de plus en plus interventionniste et anti-libérale. Il y a en fait une ambiguïté majeure : alors que les Français sont de plus en plus favorables à des solutions libérales concrètes, ils restent profondément anti-libéraux en pensée. L'anti-libéralisme c'est ce qui leur a toujours été enseigné à l'école et à l'Université, ce qu'ils entendent dans les discours politiques, ce qu'ils lisent dans la plupart des journaux. C'est ainsi qu'on a même pu lire les propos invraisemblables de Marine Le Pen déclarant que les problèmes français venaient de ce que les socialistes étaient devenus ultra-libéraux depuis Mitterrand ! Qu'un leader politique puisse, en France, proférer de telles énormités est sans doute le reflet de l'inculture des Français en ce qui concerne le libéralisme.

Guillaume Sarlat :71% des Français interrogés par l’institut CSA se sont dit effectivement favorables à laisser les entreprises "fixer librement le temps de travail, par accord avec leurs salariés".

"Par accord avec leurs salariés" : tout est là. Les Français ne veulent évidemment pas d’une augmentation du temps de travail à conditions de travail et à rémunération inchangées ou moins bonnes. Par contre ils veulent pouvoir avoir une discussion sur le temps de travail.

Et le problème ici est qu’après 30 ans d’Etat Samu social en France, et notamment après 30 ans de nationalisation de l’ensemble de la protection sociale et de codification législative du droit social, les partenaires sociaux ont été réduits au rôle de figurant et n’ont plus de légitimité pour organiser et structurer ce dialogue.

Selon un sondage CSA pour Les Echos publié le 3 septembre (voir ici en pdf), 71% des Français seraient prêts à laisser leur entreprise fixer le temps de travail. Les sympathisants de droite comme de gauche partagent cette opinion. L'idée du libéralisme que se font les Français est-il en phase avec sa définition réelle ?

Pascal Salin : Pour ce qui les touche directement les Français sont prêts à revendiquer leur liberté de choix. Mais, d'une part, ils ne possèdent pas – ou peu – les instruments intellectuels qui leur permettraient de comprendre le fonctionnement réel d'une économie libre et, d'autre part, ils sont également prêts à refuser aux autres la liberté qu'ils réclament pour eux-mêmes. On souhaite payer peu d'impôts, mais que les autres en paient beaucoup, on souhaite être libéré de règlementations paralysantes, mais on souhaite que l'Etat intervienne pour imposer des règlementations aux autres. De cette contradiction il résulte évidemment une grande difficulté pour la mise en œuvre effective de politiques libérales. Les Français vivent sur toutes les idées fausses qu'on leur a indéfiniment enseignées, par exemple que le libéralisme défend les riches contre les pauvres, les patrons contre les ouvriers, etc. Ils n'ont malheureusement pas le courage de penser autrement. Il est d'ailleurs frappant qu'en raisonnant ainsi en termes de catégories collectives, les gens utilisent un mode de pensée de type marxiste, alors qu'un libéral ne met pas les individus dans des cases arbitraires, il réclame la liberté pour chaque individu et le respect de ses droits.

Guillaume Sarlat : Les Français perçoivent, à raison, qu’il n’est pas raisonnable de vivre durablement avec un niveau de dépenses publiques tel que celui d’aujourd’hui, avec des dépenses publiques égales à 57% du PIB et des dépenses sociales à 33% du PIB. Ils demandent donc, à juste titre, moins d’intervention de l’Etat dans la sphère sociale.

Dans le même temps, la plupart des Français sont confrontés au quotidien à la brutalité du libéralisme dans la sphère économique, et ils constatent, là aussi de manière presque quotidienne en ce moment, l’impuissance sur le plan économique de l’Etat, qui n’arrive pas à empêcher la disparition des grandes entreprises françaises (Alcatel, Alstom, Areva…), et qui ne sait plus définir une stratégie industrielle.

C’est pourquoi les Français demandent à la fois moins d’Etat dans le domaine social, et plus d’Etat dans le domaine économique. C’est ce qui ressort très clairement notamment du sondage "Les Français et le libéralisme" réalisé par l’Ifop pour iTele et l’Opinion en mai 2015.

En quoi le débat public français peut-il participer à parasiter une bonne compréhension du libéralisme, très souvent confondu par exemple avec le capitalisme ? Et qu'est-ce qui retient les Français d'y adhérer vraiment, le libéralisme a-t-il un avenir en France ?

Pascal Salin : Je ne ferais pas pour ma part d'opposition entre libéralisme et capitalisme. Le capitalisme est au fond l'application des principes libéraux dans le domaine spécifique de l'économie et je crois utile de le définir comme un système de droits de propriété légitimes. Mais dans ce domaine aussi il existe des confusions car on assimile facilement capitalisme et grandes entreprises (par exemple le CAC 40). Dans le monde très politisé où nous nous trouvons les politiciens ont une grande influence pour déterminer la pensée dominante et même le langage. Or l'antilibéralisme est un peu leur fonds de commerce : ils auraient une place bien réduite dans une société véritablement libérale. Ils la présentent donc comme un épouvantail. Mais ce qui est regrettable c'est que les enseignants ou les journalistes soient beaucoup trop rarement capables de se libérer de cet esclavage idéologique à l'égard des politiciens. Le problème français est d'abord un problème intellectuel et culturel. De ce point de vue il est malheureusement vain de penser que la vie des Français puisse s'améliorer fondamentalement à courte échéance. En effet, pour que la révolution des politiques économiques puisse se produire il faudrait d'abord une révolution intellectuelle. Or il faut du temps et du courage pour oser "penser autrement".

Guillaume Sarlat : Comme je le disais précédemment, c’est depuis 30 ans le développement de ce que j’appelle le libéralisme à la française, ce retrait total de l’Etat d’une partie de l’économie, très inefficace économiquement et socialement, et pas assumé politiquement, qui pollue totalement le débat sur le libéralisme en France. Et l’épisode actuel Hollande / Valls / Macron, avec son discours totalement creux des "réformes" libérales nécessaires, et les désillusions qu’il suscite, ne fait que rajouter à la confusion.

Pour que le libéralisme ait de l’avenir en France, c’est-à-dire si on veut passer progressivement d’une logique d’Etat Samu social, prenant en charge directement les individus, à une logique d’individus autonomes, le cas échéant avec l’aide de l’Etat, il faut que l’Etat reprenne la main sur l’économie.

Politique monétaire, investissement public, orientation de l’investissement privé et du crédit bancaire, responsabilisation des entreprises sur leur comportement social, stratégies industrielles : l’Etat français a aujourd’hui presque tout lâché, soit en confiant ces compétences à l’Europe, soit en les abandonnant purement et simplement.

C’est en reprenant la main sur l’économie que l’Etat pourra stimuler la croissance et l’emploi, et qu’il donnera suffisamment confiance, de nouveau, aux Français, pour qu’ils acceptent que l’Etat Samu social diminue. Sinon, si la défiance envers l’économie reste trop forte, les Français resteront crispés, et c’est bien compréhensible, sur leurs acquis et préfèreront le statu quo.

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