Comment la France s’est enfermée dans une confusion mensongère entre austérité et libéralisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Les notions d'ultralibéralisme et d'austérité sont curieusement assimilées, alors même qu'elles n'ont pas grand-chose en commun.
Les notions d'ultralibéralisme et d'austérité sont curieusement assimilées, alors même qu'elles n'ont pas grand-chose en commun.
©www.flickr.com/photos/mindonfire/5024261419

Puisqu’on vous dit que non

Depuis plusieurs années, les notions d'ultralibéralisme et d'austérité sont curieusement assimilées, alors même qu'elles n'ont pas grand-chose en commun. Les politiques d'austérité découlent bien plus du domaine moral, issu de l'ordolibéralisme allemand, et ce, en totale opposition au libéralisme anglo-saxon.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Lors de la résolution de la crise grecque, les autorités américaines ont "sermonné" leurs homologues européens sur leur gestion du dossier, marquant une certaine différence entre les politiques d’austérité menées en Europe au nom du libéralisme, et le libéralisme anglo-saxon. Pourtant, il paraît difficile de penser que l'Europe ne soit pas libérale : l'un de ses mandats historiques étant de favoriser l'économie de marché. En quoi l'austérité n'est-elle pas une idée découlant naturellement de la logique libérale ?

Nicolas Goetzmann : Une grande confusion existe sur ce thème. La gauche accuse régulièrement la droite d’être "ultralibérale" et de favoriser les politiques d’austérité. Au même moment, le gouvernement de Manuel Valls continue de louer les vertus de la Loi Macron, et soutient le plan de résolution de la crise grecque, c’est-à-dire une austérité maximale. Il n’y a donc pas de réel débat sur ce point, en dehors de systématiquement accuser le "libéralisme" lorsque l’on évoque les politiques d’austérité. Certains l’assument, d’autres moins. Et c’est là que la confusion est la plus forte.

Parce que le "libéralisme" qui est ici incriminé est l’ordolibéralisme allemand, qui se caractérise par une forte rigueur budgétaire et une non intervention de principe des autorités monétaires, c’est-à-dire de la banque centrale. Parce que l’objectif est d’atteindre une stabilité quasi-parfaite des prix, une inflation la plus basse possible. L’ordo libéralisme fonctionne également avec une bonne dose de morale, notamment sur la question de la dette; il faut payer quoi qu’il en coûte. C’est également ce qui explique cette détestation de la dette. En allemand le mot "dette", schuld, signifie également "faute" ou "culpabilité". Au final, L’application d’une telle doctrine, et l’observation de ses résultats, a conduit à identifier le libéralisme avec souffrance des populations.

>>> Lire aussi - Les Français de moins en moins allergiques au libéralisme : merci la pédagogie de François Hollande ou “merci” son bilan calamiteux ?

A l’inverse, le libéralisme anglo-saxon est bien plus pragmatique. L’intervention des autorités monétaires en temps de crise est largement utilisée depuis les années 30, en lieu et place de l’austérité budgétaire qui a été menée en Europe. Ce que les européens savent peu, c’est que les Etats Unis ont bien réduit leurs déficits publics, tout comme l’a fait le Royaume Uni (dans une moindre mesure). Mais pour que la baisse des déficits n’ait pas d’impact sur la croissance, une relance monétaire a été mise en place. Afin d’absorber le choc. Une main prend, et une autre main donne. L’objectif, c’est que la politique appliquée fonctionne, et non qu’elle soit "morale" dans le sens ordolibéral.

C’est ainsi qu’en Europe, les deux mains, budgétaires et monétaires, sont "austéritaires", avec des résultats catastrophiques. Mais ce n’est en rien une surprise. L’idée que la croissance va surgir de nulle part, en pensant que l’austérité va créer de la "confiance" est totalement absurde.

La différence entre les deux, finalement, c’est que les Etats Unis parviennent à des résultats convaincants avec une approche pragmatique, qui évite autant que possible une souffrance inutile de la population. L’Europe a fait le choix de sacrifier une génération pour obtenir des résultats qu’elle n’obtient pas.

Quelles sont les conséquences d’une assimilation du libéralisme aux politiques d’austérité ? 

Un traitement schizophrène. Lorsque des économistes américains font remarquer aux européens que la mise en place de politiques d’austérité sont contre productives et dangereuses, ces derniers sont régulièrement accusés d’être "de gauche" ou plus simplement d’être des irresponsables. Pourtant, la politique d’austérité européenne ne fait même pas débat aux Etats unis, elle est unanimement condamnée. Aussi bien par des personnalités de gauche, comme le Prix Nobel Paul Krugman, que par l’ancien Président de la réserve Fédérale, Ben Bernanke, qui peut difficilement être accusé de gauchisme. Même chose pour le Prix Nobel Milton Friedman, symbole même de l’ultralibéralisme, et profondément anti-keynésien qui a toujours été favorable à un interventionnisme monétaire en temps de crise. C’est lui le premier qui avait identifié la nature monétaire de la crise de 1929, en accusant directement les politiques de déflation menées ici et là, et notamment en France.

Or, depuis 2008, l’Europe est la zone qui est le moins intervenue en ce sens, c’est-à-dire au travers de sa banque centrale. Le plus drôle est toujours de lire qu’une telle intervention à travers la monnaie serait d’origine "keynésienne", c’est-à-dire une politique "de gauche" alors qu’il s’agit de la conséquence des écrits de Friedman, qui est considéré comme le "pire des méchants libéraux".

Le risque d’une telle assimilation entre austérité et libéralisme est de condamner définitivement l’idée même de libéralisme sur la base d’une confusion. Les résultats obtenus en Europe ne sont pas la conséquence d’un absolutisme libéral, ils sont la conséquence d’une "non pensée" économique totale et de l’ignorance. La zone euro a été bâtie sur des règles, maîtrise des prix, déficit budgétaire maximal de 3% et une dette maximale de 60%, qui n’ont aucune justification économique. Ce ne sont que des règles politiques de bon voisinage. Et les résultats sont là, la zone euro ne parvient pas à sortir de la crise, le niveau de dette est supérieur à 91% et le chômage est encore à 10.9% après 7 ans de crise. L’absence de remise en question de ce modèle est sidérant en ce sens.

Quelles sont les différences entre ces deux formes de libéralisme ? En existe-t-il d'autres ? Pour quels résultats ? 

A la fin 2009, Europe et Etats Unis affichaient un taux de chômage équivalent; 10%. Après plus de 5 ans, les résultats sont clairs : 5.1% de chômage en ce mois de septembre 2015 aux Etats Unis, ce qui a été rendu possible grâce à l’intervention de la Réserve fédérale américaine.

En Europe, avec une politique d’austérité, pourtant jugée "libérale" le résultat est un taux de chômage de 10.9%. La différence essentielle est le choix de la priorité. Aux Etats Unis, la priorité a été de lutter contre le chômage, alors qu’en Europe, il s’agissait d’abord de lutter contre les déficits. Le résultat final est intéressant. Parce que la lutte contre le chômage et pour la croissance aux Etats Unis a eu comme conséquence naturelle la baisse des déficits. Au total, le chômage aujourd’hui à 5.1% et les déficits de 2.8%.

A l’inverse, l’Europe a privilégie la lutte contre les déficits, ce qui a eu pour effet de faire augmenter le taux de chômage. Au final elle obtient 10.9% de chômage et 2.4% de déficits pour 2014.

Il n’y a donc aucun doute à avoir sur la doctrine la plus efficace. Mais la morale européenne a malheureusement toujours le dessus, au mépris de l’efficacité et du bien-être des populations. Le continent n’a pas progressé d’un iota depuis les années 30. 

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