66 incidents militaires en 18 mois : les frictions Russie Otan dégénèrent<!-- --> | Atlantico.fr
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Les frictions entre la Russie et l'Otan dégénèrent.
Les frictions entre la Russie et l'Otan dégénèrent.
©Reuters

Risk

Depuis le début du conflit ukrainien, la zone n'a cessé de se militariser, à tel point qu'un rapport issu d'un groupe de recherche composé de militaires et d'anciens ministres des Affaires étrangères met en garde les Russes et les pays membre de l'OTAN contre un risque de guerre de plus en plus accru.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : A 66 reprises la guerre aurait pu éclater entre l'OTAN et la Russie lors des derniers 18 mois: les tensions, moins médiatisées, n'ont pas diminué depuis les accords de Minsk en avril dernier: comment se manifeste concrètement cette intensification de la préparation militaire, et quelle stratégie de la part des deux camps est mise en place?

Michael Lambert : On retrouve trois approches qui diffèrent, avec d’une part les Etats-Unis qui se préparent à un conflit avec la Russie, de l’autre l’Union européenne qui peine à concrétiser les négociations diplomatiques sur la création d’une Armée européenne, et la Russie qui s’avance lentement mais surement sur le continent.

Pour la Maison Blanche, il apparait comme de plus en plus évident qu’un conflit pourrait naitre avec le Kremlin en Europe de l’Est. Alors que Washington finance à plus de 70% le budget de l’OTAN, les Etats-Unis viennent également d’envoyer les Lockheed Martin F-22 Raptor - avions de chasse de 5ème génération - en Allemagne et en Pologne. Ainsi que deux drones Predator non armés MQ-1 en Lettonie.

L’Objectif, à terme, est d’entrainer les pilotes européens au maniement d’avions de 5ème génération, alors que l’Eurofighter et la Rafale ne sont que de génération 4 ++. Qui plus est, la perspective de création d’un avion de 5ème génération en Europe semble faible depuis que Dassault Aviation a refusé de rejoindre le programme Eurofighter pour des raisons que soulignent les rapports de Transparence International.

Pour ce qui concerne l’Union européenne, la Lituanie vient de mettre en place le service militaire obligatoire. La Pologne, les Pays-Baltes et la Finlande souhaitent moderniser leurs avions de chasse pour remplacer les F16 et Mig 29. Helsinki envisage également d’intégrer l’OTAN suite aux élections de début 2015.

En l’absence d’une Armée européenne depuis l’échec des négociations sur le projet de CED du Général De Gaulle en 1954, et avec la faiblesse des équipements Britanniques et Français par rapport à ceux dont dispose la Russie, il apparait comme évident que l’Union européenne se retrouve aujourd'hui sans défense dans la mesure où son influence depuis la chute de l’Union soviétique reposait essentiellement sur son soft power.

Qui plus est, les européens peinent à envisager la guerre comme une solution depuis le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’est pas le cas de Moscou.

Pour ce qui concerne le Kremlin, il apparaissait encore quelques années plus tôt comme impossible de s’opposer à l’OTAN en raison de l’application de l’Article 5 du Traité de Washington. Celui-ci stipule qu’en cas d’attaque contre un pays membre, tous les autres  participants au sein de l’Alliance engageront des représailles contre le ou les agresseurs. Une attaque contre les pays Baltes ou la Pologne reviendrait, dès lors, pour la Russie à entrer  en confrontation avec les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France et l’Allemagne, les trois premières disposant d’une force de frappe nucléaire.

Dans la pratique, on ignore cependant si Washington, Londres et Paris se décideront à attaquer une autre puissance nucléaire en cas d’agression contre un pays de taille modeste comme l’Estonie.

Le gouvernement russe, pleinement conscient du problème que représente l’Article 5, a développé un ensemble de stratégies pour contourner son application. C’est dans cette optique que Moscou a commencé à mettre en place le processus de Guerre hybride, qui n’est pas sans faire référence à celui de subversion pendant l’époque coloniale.

La Guerre hybride permet de ne pas identifier directement la Russie comme puissance hostile. Bien qu’étant présenté comme concept novateur en Europe, les soviétiques ont utilisé ce processus lors de la guerre avec la Finlande. La Russie n’a fait que reprendre le concept en l’appliquant aux Etats de facto (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud, Novorossia), en Géorgie en 2008, puis en Ukraine en 2014-2015.

Le Kremlin n’est pas naïf, celui-ci prépare également une confrontation directe avec les troupes de l’OTAN. C’est ce qui explique la modernisation de l’arsenal nucléaire russe, la production d’avions de chasse de 5ème génération, l’intensification de la production des systèmes anti-aérien de types S-400 et S-500, et la mise en avant du nouveau tank  T-14 Armata lors du défilé de Mai 2015.

L'Ukraine, point de départ des tensions opposants les Russes au bloc occidental, est entrée dans un processus de paix depuis 6 mois, et pourtant les forces alliées ne se sont pas retirées: l'Ukraine est-elle toujours l'enjeu de l'opposition entre les deux forces armées?

A l’heure actuelle, il apparait comme objectivement impossible pour l’Ukraine de pouvoir satisfaire aux standards pour intégrer l’Union européenne et l’OTAN. L’objectif de la Russie est de conserver un conflit ouvert avec Novorossia, de manière à empêcher la reprise économique, et ainsi amener la population ukrainienne à se lasser et à finalement voter pour un gouvernement pro-russe dans les années à venir. Une stratégie sensiblement similaire à celle de l’après Révolution Orange en 2004.

La Russie, comme elle le fait dans cinq des six Etats du Partenariat oriental, attend juste un changement de gouvernement pour intégrer l’Ukraine dans l’Union eurasiatique.

Dans la mesure où l’Union européenne ne peut rivaliser avec son soft power face au hard power du Kremlin, et en l’absence de stratégie efficace pour contrecarrer le processus de Guerre hybride. Il apparait comme évident que l’Ukraine, si elle garde un conflit gelé sur son territoire, ne pourra pas s’extraire de l’influence du Kremlin.

Qu’entraînerait une conquête de l'Europe orientale par la Russie ?

L’Europe et les Etats-Unis défendent des principes que sont la Démocratie et la Liberté. Une progression de la Russie reviendrait à nier les libertés fondamentales des individus dans les Etats conquis. Cela marquerait également le retour de la religion orthodoxe dans des pays comme l’Estonie, le manque de respect à l’égard du Droit des femmes, le retour du racisme assumé, la xénophobie, le retour de la corruption et du clientélisme, et donc une misère économique palpable.

Ces propos peuvent sembler relever du stéréotype, mais il semble important de mentionner que le gouvernement russe n’a jamais reconnu les deux millions de viols commis par l’Armée rouge en Europe de l’Est, pas plus que les massacres des soldats polonais, ni le souhait d’acculturation du peuple estonien.

La Russie se fixe aujourd'hui comme objectif de s’opposer à l’Occident, et l’identité occidentale marque elle-même une rupture avec l’obscurantisme du Moyen-Age. Une progression des standards de Moscou reviendrait à un retour à l’époque féodale et à l’obscurantisme. C’est la raison pour laquelle il est essentiel d’envisager, par tous les moyens, de lutter contre toute potentielle tentative d’ingérence de la Russie en Union européenne ou dans le monde, au risque de voir disparaitre ces deux valeurs que sont la Démocratie et la Liberté.

Le rapport établi par ce groupe de spécialistes de la défense et préconisant une désescalade dans les démonstrations de force a-t-il une chance d’aboutir ?

On est dans le cadre assez classique d’un équilibre de Nash, il est donc impossible de voir les tensions s’apaiser en diminuant nos mesures coercitives vis-à-vis de la Moscou.

Les Etats-Unis et l’Union européenne ont déjà accepté de négocier, sans aucun résultat.

Dans le contexte actuel qui veut que la Russie soutienne l’ensemble des régimes dictatoriaux à travers le monde, et souhaite s’opposer aux valeurs fondamentales de la civilisation occidentale par l’usage de la force, comme elle l’a fait en Géorgie et en Ukraine, il me semble cohérent de préparer la confrontation. C’est du moins ce que font les Etats-Unis et les Etats d’Europe de l’Est.

Il semble également important de mentionner que le Kremlin est le principal pays fournisseur d’armes de guerre au Moyen-Orient et en Afrique, ce qui fait de Moscou un responsable direct du maintien de l’Etat Islamique et de la crise migratoire qui touche l’Europe depuis 2014-2015.

Il ne semble plus question d’éviter un conflit avec les russes, mais de s’y préparer, ce qui s’apparente à la réaction la plus logique contre une puissance hostile et nuisible pour l’ordre mondial.

Comme le mentionnait Benjamin Franklin en 1755 They who can give up essential liberty, to obtain a little temporary safety, deserve neither liberty nor safety. Il semble alors pertinent de savoir si l’Europe, à l’image des Etats-Unis, est enfin prête à envisager toutes options pour préserver ses principes fondateurs face aux initiatives de Vladimir Poutine. L’Europe est une superpuissance face à la Russie qui représente à peine 35% du budget militaire des Etats membres, il lui manque juste des personnes compétentes pour donner naissance à une Armée européenne et parvenir à aider les pays qui sollicitent notre aide pour les libérer de l’emprise Eurasienne.

Un problème essentiel en Europe de l’Ouest semble être la présence de personnes qui ne considèrent toujours pas la Russie comme une puissance hostile, à l’image du Front National en France et de certaines personnes qui travaillent au Ministère des Affaires étrangères et au Ministère de la Défense française et britannique. Il semble essentiel de caractériser Moscou comme puissance ennemie pour s’apprêter à lutter contre elle, et cesser de nier la réalité de ce qui semble évident pour un citoyen européen vivant en Europe de l’Est. 

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