50 000 emplois publics non déclarés… et pendant ce temps-là, voilà comment l’Urssaf et les RSI perdent le sens de la mesure dans le contrôle des entreprises privées<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Urssaf et les RSI perdent le sens de la mesure dans le contrôle des entreprises privées.
L’Urssaf et les RSI perdent le sens de la mesure dans le contrôle des entreprises privées.
©Flickr/Objectif Nantes

Fais ce que je dis, pas ce que je fais

A lui tout seul, le ministère de la Justice aurait employé plus de 40 000 personnes non déclarées.

Google et Yahoo, internet

Julien Boutiron

Julien Boutiron  est avocat au barreau de Paris. Il pratique le droit du travail au quotidien depuis plus de dix ans.

Il a écrit Le droit du travail pour les nuls, et tient un site internet.

 

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Cité par plusieurs médias, le rapport des inspections générales des Finances, des Services judiciaires et des Affaires sociales estime que près de 50 000 personnes seraient des "collaborateurs occasionnels du service public" employés par différents ministères, dont "40 500 pour le seul ministère de la Justice". Certains crient même au travail au noir. Qu'en est-il ? Y a-t-il d'autres exemples de dérives de ce type par l'Etat français ?

Jean-Yves Archer : Les situations décrites dans les rapports que vous mentionnez sont assez stupéfiantes car elles parcourent presque tout l'arc possible du non-respect du droit du travail. Effectivement certaines personnes sont des vacataires que l'on dit démunies de fiches de paie et donc de cotisations sociales. D'autres sont des contractuels quasi-permanents non régularisés à l'instar de ce qui se trouve encore trop fréquemment au sein du Ministère de l'Education nationale.

Clairement, le ministère de la Justice est en ligne de mire avec des dérives dont la cessation ("la remise d'équerre") coûterait entre 26 à 45 millions d'euros. La bonne conduite a un coût et il est clair que l'Etat s'en affranchit assez allègrement au détriment des intéressés et des organismes sociaux.

Par-delà l'aspect juridique, il y a bien entendu une dimension politique qui fait dire au magistrat honoraire Philippe Bilger que "si Madame Taubira donnait moins de leçons, à la droite et à la gauche qui ne lui plait pas, avec une pompe et une enflure orales qui impressionnent de moins en moins, elle aurait eu sans doute plus de temps et aurait pu consacrer plus d'énergie à la mise en ordre de la place Vendôme".

Dont acte, elle n'a guère été active sur ce dossier pas plus que ses prédécesseurs car il faut garder à l'esprit que ces dérives remontent aux années Perben, Dati, etc. et sont, selon les cas, effectivement qualifiables de travail dissimulé.

Si les Administrations centrales ne sont donc pas exemptes de reproches pour cause d'écarts avec le droit du travail, il faut aussi se référer aux pratiques hautement contestables de différentes entreprises publiques.

Il y a quelques années, la SNCF avait dû s'aligner sur des questions de conditions faites à des stagiaires. Mais l'exemple le plus inconcevable revient à La Poste qui a été condamnée à plusieurs reprises. Notamment pour des pratiques illicites de durée de CDD abusifs.

Ainsi, une postière de l'Ariège qui avait 32 ans d'ancienneté dont 22 ans effectués... en CDD (!) a obtenu 54 000 euros d'indemnités ainsi que la régularisation de ses cotisations retraite. L'arrêt de la Cour d'Appel de Toulouse (28 mars 2013) souligne notamment que la plaignante "est fondée à soutenir que l'attitude de La Poste (...) constitue une exploitation abusive contraire au principe d'égalité" (avec les employés en CDI). Autant dire que l'Etat est potentiellement en situation de péril contentieux du fait de ses pratiques illicites.

Pratiques que l'on retrouve, répétons-le, dans plusieurs jurisprudences dont celle issue d'un jugement du conseil des Prud'hommes de Montauban (27 mai 2013) qui a censuré l'attitude de l'employeur qui avait soumis à 120 CDD en 10 ans une postière. Là encore.

Ces dérives ne sauraient se justifier pour des raisons de service et sont directement constitutives d'un préjudice pour les intéressé(e)s.

Julien Boutiron : Les exemples ne manquent pas. Il est surtout étonnant de constater que l’Etat agit avec le principe particulier : "faites ce que je dis, pas ce que je fais". Il y a des mises aux normes en France dans beaucoup de domaines et l’Etat n’est pas en avant-garde quand il s’agit du respect des réglementations.

En parallèle, l'URSSAF ou même l'organisme RSI semblent ne rien laisser passer aux patrons de petites ou moyennes entreprises. Comment l'expliquer ? Est-ce le besoin de "remplir les caisses" ? Ou doit-on y voir là des raisons culturelles, une suspicion générale, traditionnelle en France, à l'égard des patrons ?

Jean-Yves Archer : Le Cabinet Atequacy et la Junior Essec mènent chaque année une enquête sur la configuration des contrôles effectués par l'URSSAF. 78% des entreprises de plus de 5 000 salariés feraient ainsi l'objet d'un contrôle lors des quatre dernières années contre 67% des entreprises de 50 à 250 salariés.

L'économie rejoint ici la pleine logique. A partir du moment où le coup de massue fiscale du début du quinquennat a induit une stimulation du travail non déclaré (voir le secteur emblématique des services à la personne), il est prévisible de déceler plus de contrôles dans les secteurs de l'hôtellerie restauration et du bâtiment voire de certaines entreprises de main d'œuvre : call centers, etc.

De même, le poids réel des charges est un facteur répulsif pour certains employeurs qui ne déclarent pas "toutes" les heures de travail et se calent ainsi sur le minimum requis pour se couvrir en cas d'accident du travail.

Tant le RSI pour les artisans et les professions libérales que les URSSAF ont été actifs ces dernières années et sont parvenus à améliorer le rendement des contrôles notamment du fait de la complexité des lois sociales (voir nombreux contrôles sur les abattements Fillon).

Et pourtant Atequacy considère dans son étude publiée en novembre 2014 que "la fréquence des contrôles URSSAF diminue en 2014" ce que ne confirment pas certains réseaux d'experts-comptables.

Julien Boutiron : Pour remplir les caisses, certainement. On a coutume de dire que l’Etat est fauché depuis Philippe le Bel... Les besoins sont immenses et les ressources nécéssairement limitées. Et en effet, il existe aussi une explication d’ordre culturel, les patrons n’ont pas forcément bonne presse en France. Ce qui est également culturel, c’est la cassure entre les usagers et l’administration. Ces gens évoluent dans des mondes différents, ils ont des formations différentes aussi. 

Le RSI semble être un bazar assez impressionnant... C’est souvent le cas dans ce type de grandes organisations, sans réels responsables mais avec des responsabilités collectives ; tout le monde se renvoie la balle. A moins d’avoir de la chance et de tomber sur un agent compréhensif, on peut aussi facilement se retrouver devant une personne qui ne se sentira pas concerné par votre problème.

Il faut aussi garder à l’esprit que sans règle et sans sanction, beaucoup de citoyens vont rentrer dans la brèche. Pourquoi payer ses cotisations si aucune pénalité n’est appliquée en cas d’absence de paiement ? N’oublions pas que la France reste un pays latin, et un certain nombre de Français sont assez resquilleurs.

Néanmoins, en France, les règles sont trop nombreuses. On compte plus de 12.000 articles dans le Code du travail. Tous les connaître est impossible. Il y a tellement de règles que certaines ne sont plus respectées et même constamment violées par les entreprises. C’est le cas de textes en matière de CDD et CDI avec parfois des sanctions théoriques, qui ne sont alors pas appliquées. 

Cela renvoie à une société quelque peu hypocrite, dans l’illusion d’un objectif de perfection alors qu’au vue du nombre de règles, il n’est plus possible de les suivre.

A-t-on des exemples de contrôles particulièrement appuyés à l'égard des petits chefs d'entreprise ? 

Jean-Yves Archer : Les responsables de PME ou de TPE sont dans un étau : soit ils intègrent la paye, soit ils décident de l'externaliser et de se remettre à la compétence de leur expert-comptable. Dans ce dernier cas, ils sont tributaires de la qualité de service de leur prestataire et de la qualification de la main d'œuvre qui est affectée au suivi de leur dossier. Il y a parfois des déconvenues et des redressements URSSAF dont l'origine fondamentale ne se trouve pas chez le petit patron.

Techniquement, on retrouve là la notion de "perte de chance" s'il est avéré que le professionnel du chiffre est à l'origine d'erreurs manifestes et que son obligation de moyens n'a pas été respectée.

Dans le cas où la paie et ses annexes demeurent en interne, l'entrepreneur doit avoir une grande rigueur pour suivre ce qu'il faut bien appeler l'instabilité législative sociale à la française.

Si 55% des entreprises redressées le sont à moins de 30 000 euros, 4% d'entre elles subissent un redressement supérieur à un demi-million d'euros.

Julien Boutiron : Les réglementations à respecter sont telles, qu’un inspecteur du travail qui se rend en entreprise peut très facilement "aligner" un patron ou alors décider de fermer les yeux sur une multitude de choses. C’est un peu à la tête du client, et la chance joue son rôle.

Si vous ne payez pas à temps vos charges à l’URSSAF en tant que chef d’entreprise, la sentence tombe de suite et il vous faudra vous acquitter d’une pénalité de 10%, alors que dans le même temps, de nombreuses personnes attendent des sommes dues de la part de l’Etat. Ce dernier n’est donc pas exemplaire. Et il lui est toujours difficile d’accepter que l’on paye en différé. Dans la rubrique de l’excès de zèle, je pense à quelqu’un qui ne mettrait pas toujours à jour le document unique de sécurité simplement en l’actualisant. Ainsi, même s’il n’apporte aucune modification sur le fond, il peut être sanctionné. Je pense aussi à un de mes clients dont le salarié avait eu un accident du travail en montant sur une échelle qui appartenait à une autre entreprise présente également sur le chantier, ce chef d’entreprise a eu des ennuis judiciaires à cause de cette situation. 

Il faut savoir que les inspecteurs du travail peuvent dresser un procès-verbal quand ils constatent une infraction et l’envoyer au procureur qui décidera de poursuivre ou pas l’entreprise. Cela peut donc se régler au tribunal correctionnel.

Ce qui est scandaleux c’est la multitude de chantiers en France dans lesquels travaille un nombre conséquent de travailleurs d’Europe de l’est, où le droit n’est pas respecté, avec des temps de travail colossaux en travaillant le dimanche ce qui constitue une concurrence déloyale pour les entreprises françaises qui essaient de respecter les règles.

L'Etat, par le biais des organismes de contrôle, a-t-il les moyens de contrôler également les grosses entreprises ?

Jean-Yves Archer : Le contrôle des obligations sociales des grandes entreprises est nécessairement plus complexe puisque le nombre de textes qui s'appliquent est très nettement supérieur. D'où l'importance – à titre d'incise – de la réforme des effets de seuils sociaux que la récente Loi Rebsamen a laissée de côté et lourdement négligée.

Dans les grands groupes, les contrôleurs URSSAF ne sont pas aussi outillés que dans les PME. Il leur est délicat de vérifier les avantages en nature et les frais professionnels qui représentent 52% des incriminations (selon Atequacy) surtout si certaines pièces comptables font l'objet d'un archivage dématérialisé ou concernent des déplacements professionnels à l'étranger.

De plus, les méandres organisationnels sont tels qu'un salarié (cadre) peut à la fois être titulaire d'un contrat de travail mais détenir un ou plusieurs mandats sociaux dans des filiales. D'où des régimes indemnitaires cumulables et distincts.

De même, les contrôleurs URSSAF ont parfois des difficultés avec le contrôle des Comités d'entreprise. Si la fonction du CE est d'organiser la gestion des œuvres sociales de manière non lucrative, bien des exemples (de grandes entreprises y compris publiques : Air France, EDF, etc) de contrôles URSSAF montrent qu'il peut se glisser des rémunérations déguisées (alors exemptes – à tort – de cotisations sociales) et de vrais compléments de salaires non négligeables ou autres irrégularités légales.

Au plan général, les Commissaires aux comptes (s'il y a obligation d'en nommer un) ne font, de par la loi, que des audits ponctuels et ne sauraient apporter leur certification à toutes les écritures sociales d'un groupe ou de ses établissements.

Pourtant, du fait de l'importance de certains contentieux sociaux qui affectent le principe de l'image fidèle et de la sincérité initiale des comptes (du fait des provisions pour risques qu'ils induisent), il est probablement regrettable que notre Code de commerce (qui compte, lui aussi, 3 000 pages...) n'élargisse pas les prérogatives des CAC compte-tenu des enjeux précités.

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