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Les États-Unis sont trop englués dans leur propre dette pour venir en aide à l'Europe
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Super-commission

Après trois mois d'efforts, la "super-commission" composée de démocrates et républicains n'est pas parvenue lundi soir à se mettre d'accord sur la réduction de la dette américaine. Les États-Unis peinent désormais à assurer leur rôle de moteur de la croissance mondiale qui fut le leur pendant ces trente dernières années.

Nicholas Dungan

Nicholas Dungan

Nicholas Dungan est chercheur émérite à l'IRIS et conseiller spécial l'Atlantic Council à Washington DC.

Il est aussi écrivain.

Il est l’auteur d'une biographie d’Albert Gallatin : America’s Swiss Founding Father (Presses universitaires de New York University, septembre 2010).

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Atlantico : La "super-commission" chargée de réduire la dette des États-Unis a annoncé lundi ne pas être parvenue à un accord entre républicains et démocrates, après trois mois d'efforts. Quels est le rôle de cette "super-commission"? 

Nicholas Dungan : L’objectif de la "super-commission" était de présenter les recommandations qui éviteraient les coupes automatiques dans le budget des États-Unis en 2013. Cependant, son incapacité à fournir des recommandations ne limite pas la capacité du Congrès à remanier les coupes prévues d’ici 2013, soit après les élections présidentielles de novembre 2012.

Si sa réussite ne pouvait être durable, son échec ne peut pas non plus être durable. L’existence de la « super-commission » était une condition de l’acte du Congrès qui a permis le relèvement du plafond de la dette. Cette disposition était politiquement nécessaire lorsque la loi a été adoptée : c’était une manière de responsabiliser les deux partis politiques ainsi que les membres des deux assemblées, c'est-à-dire le Sénat et la Chambre des représentants. Cependant, sa réussite qui était considérée comme acquise dès le mois d’août n’est pas politiquement nécessaire.

Quels sont les raisons de cet échec ? Est-ce pour des raisons conjoncturelles en vue des élections présidentielles, ou bien existe-il un problème structurel sur le fait d’établir un compromis entre deux conceptions économiques ? 

La première raison de l’échec est la suivante : sa réussite n’était pas indispensable. Les membres de la "super-commission" pouvaient se permettre d’échouer car les conséquences de la non-réussite ne sont pas primordiales. Les coupes budgétaires ne rentreront en vigueur qu’en 2013. Le Congrès garde toute sa  liberté de les changer d’ici-là. Elles sont automatiques seulement si le ce dernier ne décide pas d’une autre mesure pour les mettre en place, ou si le Président y oppose son veto.

Les autres raisons de cet échec sont politiques car les républicains souhaitent tout mettre en œuvre pour éviter la réélection de Barack Obama. Ils le détestent viscéralement en tant qu’individu, en tant que personnage et en tant que président. Ils sont prêts à risquer très gros pour affaiblir Obama.

Il existe en plus du différend politique, un différend institutionnel. Aux États-Unis, nous avons un parlement qui élabore la politique, ce n’est pas le cas en France, en Allemagne, ou au Royaume-Uni. En Amérique, c’est au Congrès que la politique interne est élaborée. Constitutionnellement, la présidence élabore la politique diplomatique et la politique de défense mais elle possède très peu de capacité d’initiative concernant la politique interne. Il existe donc une tension institutionnelle entre ces deux entités. C’est un bras de fer entre le pouvoir des sénateurs et représentants et le pouvoir de la présidence.

C’est un aspect quasi permanent du système américain, cependant aujourd’hui les républicains et les démocrates ne communiquent plus. Auparavant, les membres des deux partis considéraient qu’ils faisaient tous partis d’un même groupe, il existait des points de divergences mais dans une atmosphère de civilité et de camaraderie. Aujourd’hui, l’hostilité a pris le dessus. Cela se retrouve notamment sur un point : le rôle d’appréciation de l’État. Les démocrates ont une conception de type social-démocrate en Europe. Les républicains, eux, considèrent que l’État est l’ennemi. Cette différence de conception existe depuis l’ère Ronald Reagan.

Par ailleurs, ces différends institutionnels se sont accrus à travers le serment donné par beaucoup de républicains par le biais du lobbyiste Grover Norquist. Son rôle est très important dans cette affaire. Ce dernier fait prêter serment aux élus républicains de ne jamais accepter d’accroissement d’impôts, quelle que soit la situation. Il a érigé en culte le non-accroissement des impôts.

Quelles sont les conséquences de cette situation pour les États-Unis?

Encore plus de stagnation, d’asphyxie et d’imprévisibilité économique.

L’idée erronée selon laquelle le secteur privé et le secteur public aux États-Unis sont fortement séparés persiste, or ce n’est pas le cas. L’activité du secteur privé dépend beaucoup de l’emploi des policiers, des instituteurs, et autres employés des différents gouvernements fédéraux. En même temps, il existe un réseau très dense entre le secteur privé et le secteur public par le biais des universités par exemple. L’imbrication est donc très dense entre le secteur public et privé, l’un affecte l’autre beaucoup plus que nous pouvons le penser lorsque l’on considère que les États-Unis sont un pays libéral à outrance.

Tout ce qui relève des infrastructures dépend souvent de l’un de ces trois niveaux publics : municipal, étatique ou fédéral. Tout ce qui est lié aux investissements à long terme dépend en partie des partenariats public-privés. Les deux aspects public et privé s’influencent donc mutuellement.

Le manque de visibilité concernant la politique économique générale engendre un immobilisme de la part des dirigeants d’entreprises. Le flou incite à la prudence et à l’inactivité. Les entreprises américaines ont des milliards de dollars de cash, mais au lieu de les investir sur des projets à long terme,  elles effectuent des rachats de leurs propres actions à la bourse, tout en supprimant des emplois. Elles sont incapables de prendre des décisions à long terme car il leur manque une visibilité sur l’évolution de l’économie.

Cette paralysie des institutions conduit donc à un manque de tonus dans le secteur privé et diminue les remèdes contre le sous-emploi.

Quelles sont les conséquences pour l'Europe et la France de cet échec de la "super-commission" ?

Les États-Unis ne seront plus un moteur de croissance tirant l’économie transatlantique et  encore moins l’économie mondiale  durant cette période de basse croissance.  Depuis trente ans, le consommateur américain était le moteur de la croissance mondiale. Cela n’est plus du tout le cas. La croissance européenne devra être relancée par des moyens internes à l’Europe.

La seconde conséquence sera l’attitude adoptée par le gouvernement américain vis-à-vis du problème de l’Euro. S’il existait une forme de prospérité générale, si les problèmes se limitaient à Europe, si tout allait bien aux États-Unis, alors les États-Unis auraient une attitude plus souple. Cependant, compte tenu de la situation, les Etats-Unis souhaiteront faire le moins possible au niveau politique et économique, y compris à travers les institutions internationales comme le Fonds monétaire (FMI) pour sortir l’Europe de cette spirale qu’est la crise de la zone euro.

Propos recueillis par Caroline Long

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